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Qui peut exercer l'action en expulsion ?

  • camille7694
  • 7 août
  • 4 min de lecture
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À la question : qui peut exercer l'action en expulsion ? on répondra intuitivement : le propriétaire des lieux. On aura tort. La bonne réponse est : toute personne qui a un intérêt légitime au succès d'une telle action, conformément à l'article 31 du code de procédure civile (CPC).

 

Cet article 31 du CPC dispose que : « l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé ».

 

La loi attribue-t-elle à certaines personnes qualifiées le soin d'agir en expulsion d'un occupant sans droit ni titre ? Non, elle aurait pu le faire, mais ne l'a pas fait.

 

C'est ce que vient nous rappeler, en substance, un arrêt du 14 novembre 2024 de la troisième chambre de la Cour de cassation (n° 23-13.884, Publié).

 

1.  Dans cette affaire, une société civile d'exploitation agricole (SCEA) a pris à bail rural différentes parcelles appartenant à différents bailleurs. Il est apparu qu'une exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) occupait ces parcelles et soutenait être elle-même titulaire de baux. La SCEA l'a sommée de libérer les lieux, puis, sur le fondement de l'article 1240, c'est à dire une faute délictuelle de l'EARL, l'a assignée aux fins d'expulsion. Le tribunal judiciaire a fait droit à cette demande, après avoir écarté la fin de non recevoir opposée par l'EARL à l'action de la SCEA, au motif que cette dernière n'avait pas qualité pour agir en expulsion, en lieu et place des bailleurs.

 

La cour d'appel de Colmar (arrêt du 26 janvier 2023 n°20/01156) a, sur la demande d'expulsion, fait droit au moyen de l'EARL, selon lequel la SCEA n'avait pas qualité pour agir. Elle relève que la SCEA se prévaut de baux dont découlent un droit de jouissance à son bénéfice et une obligation de délivrance à la charge des bailleurs. Seuls ces derniers ont qualité pour agir en expulsion. En outre, la SCEA ne peut utilement se prévaloir de l'article 1240 du code civil, puisque l'expulsion n'est pas une modalité de réparation.

 

Sur les droits de chacune des entités, la cour d'appel de Colmar a dit que les baux de l'EARL devaient prévaloir sur ceux de la SCEA.

 

Le pourvoi de la SCEA a contesté ces deux chefs du dispositif de l'arrêt.

 

2. Sur sa qualité pour agir en expulsion contre un occupant dont elle contestait le titre, la SCEA invoquait une violation de l'article 31 du code de procédure civile. La Cour de cassation fait droit à ce moyen et casse au visa de ce texte. Elle retient que la loi ne limite pas le droit d'agir en expulsion à des personnes déterminées, tel le propriétaire. La SCEA avait bien un intérêt légitime au succès de sa prétention.

 

Cette doctrine avait précédemment été exprimée par un arrêt Civ, 2ème, 22 février 2007, n° 06-11.838, Publié. Dans cette affaire, il s'agissait d'une action en nullité de la saisie de la nue-propriété de valeurs immobilières engagée par l'usufruitier. La Cour a constaté qu'une telle action n'était pas réservée à des personnes qualifiées et, sur le fondement de l'article 31 du code de procédure civile, a cassé l'arrêt de la cour d'appel qui avait dit le contraire.

 

Il faut reconnaître qu'en matière de baux, l'arrêt commenté n'apporte pas grand chose de déterminant aux droits du preneur. Celui-ci, empêché de jouir du bien pris à bail, peut sur le fondement d'un manquement à l'obligation de délivrance, sommer le bailleur d'agir pour faire cesser le trouble de jouissance et, accessoirement, de l'indemniser. Mais dans certaines situations pratiques, tel le cas de figure traité par l'arrêt commenté, où les parcelles en cause appartenaient à différents bailleurs, le droit d'agir en expulsion reconnu au preneur peut être de nature à simplifier le litige et rapprocher son dénouement.

 

3.  Devant la Cour de cassation, le second moyen du pourvoi de la SCEA contestait le chef de dispositif de l'arrêt de la cour d'appel donnant date certaine et antériorité aux baux verbaux invoqués par l'EARL. En application de l'article L411-4 du code rural, en cas de baux successifs portant sur les mêmes biens consentis à des preneurs différents, le bail ayant acquis le premier date certaine est opposable aux autres.

 

La violation de l'article 1328 du code civil, dans sa version applicable à la date du litige (devenu 1377 à l'occasion de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats) est retenue par la Cour de cassation.

 

Ce texte dispose que l'acte sous seing privé n'acquiert date certaine que dans trois situations limitativement énumérées par le texte : 1) du jour où il a été enregistré, 2) du jour de la mort d'un signataire, 2) du jour où sa substance est constatée dans un acte authentique.

 

La cour d'appel avait accordé date certaine et antériorité aux différents baux verbaux consentis à l'EARL sur le fondement de différentes circonstances de faits dont elle avait déduit une certitude. Pour la Cour de cassation, qui s'inscrit ainsi dans une jurisprudence ancienne et constante, ces considérations étaient inopérantes dès lors qu'aucune des trois situations visées à l'article 1377 n'avait été relevée.


Camille Terrier

 

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