La cohabitation intergénérationnelle et solidaire ou le contrat de cohabitation
- camille7694
- 13 août
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A ce jour (30 mars 2025), le dispositif de la cohabitation intergénérationnelle institué par la loi ELAN du 23 novembre 2018, ne paraît pas avoir suscité de conflits qui auraient donné lieu à une quelconque décision judiciaire. C'est tant mieux car cela peut être le signe que l'institution fonctionne à la pleine satisfaction de toutes les parties. Cela pourrait aussi traduire le fait qu'elle serait assez peu usitée, et possiblement le fait que les parties sont généralement accompagnées par des structures associatives qui peuvent contribuer à prévenir ou régler amiablement les éventuelles difficultés.
On cherchera vainement un bilan quantitatif des contrats de cohabitation intergénérationnelle. En revanche, des travaux de recherche qualitative ont été conduits sur échantillons (en particulier : « Le potentiel économique de la cohabitation intergénérationnelle Solidaire, Caractéristiques des publics concernés et effets socio-économiques », Ikpidi Badji, Jérémy Brémaud, Jérôme Hubert, Christine Le Clainche, mai 2022).
On retiendra notamment que la durée moyenne d'un contrat de cohabitation intergénérationnelle est de l'ordre de 7 à 8 mois, ce qui est cohérent avec la situation du public visé.
Ici, ce sont les aspects juridiques qui nous intéresseront au premier chef.
1. Le législateur de 2018 a créé un nouveau type de contrat pour les personnes âgées de plus de 60 ans, propriétaires de leur logement ou locataires dans le parc social ou privé, qui souhaitent louer ou sous-louer à une personne de moins de trente ans, une partie de leur logement en échange d'une contribution modeste. C'est le contrat dit de cohabitation qui n'est pas la seule initiative des pouvoirs publics en faveur de l'accès au logement des jeunes actifs et qu'on ne confondra pas avec le contrat de colocation.
L'intention est indiscutable : il s'agit tout à la fois de combattre l'isolement des plus âgés et de faciliter l'accès des plus jeunes, étudiants et jeunes actifs, à un logement décent.
2. Le contrat de cohabitation est défini aux articles L631-17 à 631-19 du code de la construction et de l'habitation (CCH). Pour le parc social, le droit au contrat de cohabitation est encore évoqué à l'article L442-8-1, II, du CCH.
Ce contrat peut trouver à s'appliquer que les lieux soient la propriété de la personne de plus de 60 ans, ou qu'ils soient pris à bail. Mais sa portée est différente dans l'un et l'autre cas.
3. Les règles légales propres à ce contrat de cohabitation, applicables quel que soit le statut des locaux, sont les suivantes :
La personne qui accueille doit être âgée d'au moins 60 ans ; la personne reçue doit avoir moins de de 30 ans.
Le contrat de cohabitation n'est pas soumis à la loi du 6 juillet 1989, mais seulement au règles générales relatives aux contrats posées par les articles 1101 et suivants du code civil ; le maintien dans les lieux n'est jamais assuré au locataire ou sous locataire ; la durée du contrat de cohabitation est librement fixée, de même que la contrepartie financière à laquelle s'engage la personne accueillie ; la loi dit seulement que cette contrepartie doit être modeste ; elle inclut le cas échéant une contribution au charges. Le plus souvent en pratique, est évoquée une fourchette de loyer entre 150 et 350 euros par mois.
Le versement d'un dépôt de garantie peut être prévu par le contrat. Les états des lieux d'entrée et de sortie sont recommandés.
Le local peut être loué vide, mais, le plus souvent, il le sera meublé. La contrepartie modeste inclut la majoration du prix de la location des meubles prévue à l'article L442-8-3-1 du CCH.
Cette contrepartie est évidemment soumise à l'impôt, sauf si le local loué constitue la résidence principale du sous-locataire ou sa résidence temporaire s'il s'agit d'un travailleur saisonnier, et que le prix de la location a été fixé dans des limites raisonnables (article 35 bis du code général des impôts ; un loyer raisonnable, en sens de ce code, a été fixé pour 2023 à 199 euros par m2 de surface habitable et par an en Île-de-France et de 147 euros dans les autres régions). Par ailleurs, le locataire peut bénéficier de l'aide personnalisée au logement (APL).
Les parties peuvent prévoir, en complément de la contrepartie financière modeste, la fourniture par la personne de moins de trente ans de menus services ; cette activité ne peut avoir de but lucratif, est exclusive de toute lien de subordination et ne relève pas du code du travail, c'est à dire qu'il ne crée pas de lien de subordination entre les parties. Les exemples généralement donnés de ces menus services se rapportent aux tâches domestiques les plus courantes, accomplies dans le cadre d'une cohabitation bienveillante. Ces menus services peuvent réduire le loyer à une somme symbolique.
Lorsque l'une des parties décide de mettre un terme au contrat, elle doit respecter un préavis d'un mois. Elle ne semble pas devoir faire état de motifs particuliers.
Le bailleur ou sous bailleur est tenu de toutes les obligations de l'article 1719 du code civil : délivrance et entretien de la chose louée, jouissance paisible de cette chose par le locataire ou sous locataire.
4. Si les locaux sont loués, les règles suivantes sont aussi applicables :
La personne qui accueille doit préalablement informer son bailleur de son intention de conclure un contrat de cohabitation ; le bailleur ne peut pas s'y opposer. Il est ainsi dérogé à la prohibition de principe de la sous-location, sauf accord écrit du bailleur compris sur le prix du loyer, posée à l'article 8 de la loi du 6 juillet 1989.
Le sous-locataire n'a aucun lien de droit avec le bailleur et ne peut revendiquer aucun droit personnel auprès de lui ; les relations entre l'occupant et le sous-locataire ne sont pas régies par la loi du 6 juillet 1989.
Pour les logements du secteur social, où la prohibition de la sous location est renforcée, l'article L.442-8 du CCH prévoyant même une amende de 9000 euros, la dérogation est exprimée à l'article L442-8-1, II, du même code, qui prévoit aussi l'information préalable de l'organisme bailleur.
Pour ces logements du parc social, la contrepartie financière est calculée dans les conditions prévues à l'article L442-8-1 du CCH, dernier alinéa du II ; le sous-loyer est fixé selon la surface occupée par la personne de moins de trente ans, au prorata du loyer et des charges tels que fixé au bail ; une éventuelle révision du sous-loyer intervient au même moment et selon les mêmes proportions que le loyer du bail principal.
5. La loi renvoie à une charte réglementaire, laquelle a été édictée par un arrêté du 13 janvier 2020. Au-delà d'une paraphrase de la loi, cette charte se rapporte surtout au rôle des structures associatives qui se donnent pour mission de promouvoir le contrat de cohabitation auprès des personnes qui peuvent être intéressées, auprès des bailleurs et, en particulier, des personnes morales qui gèrent un parc de logements sociaux et leur assigne des lignes directrices.
Pour les pouvoirs publics, l'accompagnement associatif des contrats de cohabitation paraît une nécessité, certainement à juste titre en raison des difficultés de toutes sortes, notamment relationnelles, et tenant notamment au partage des espaces non privatifs de la vie quotidienne, qui peuvent surgir lors de l'exécution du contrat.
6. Une proposition de loi a été déposée au Sénat au cours de la précédente mandature, en novembre 2023 (on en ignore le sort), pour modifier le dispositif. Les évolutions législatives envisagées étaient notamment les suivantes :
Plafonner, selon les territoires, la contribution modeste versée par le jeune occupant (qui n'est pas le loyer raisonnable de l'article article 35 bis du code général des impôts) ;
Permettre aux parties de substituer complètement à une contrepartie financière, la fourniture de menus services ;
Étendre au contrat de cohabitation, la dérogation, introduite par la loi ELAN pour le contrat de colocation avec baux séparés, à la règle de l'article L126-17 du CCH que la division d'un local en plusieurs logements pour l'habitation doit respecter les normes des logements neufs, c'est à dire une surface de 14 m2 et un volume de 33m3. La norme, pour le contrat de cohabitation, comme pour le contrat de colocation avec baux séparés, devrait être de 9 m2 et 20 m3. Il s'agit là sans doute d'apaiser certaines craintes, car il ne paraît pas manifeste qu'il faille considérer qu'un contrat de cohabitation réalise une division du logement au sens de l'article L126-17 du CCH. Plus plausiblement, ce sont les normes du droit commun de la décence qui doivent être respectées.
Ces évolutions projetées étaient plutôt modestes, mais elles traduisent sans doute certaines des difficultés rencontrées dans la pratique de ces contrats, difficultés liées notamment à la surface et au confort du logement loué ou sous-loué.
7. Les occupants propriétaires, particulièrement dans les grandes villes, accueillent depuis longtemps des étudiants ou de jeunes actifs. Qu'apporte le contrat de cohabitation, au regard du droit commun d'une location par un propriétaire d'une partie de son logement ? Une considérable simplification du cadre juridique applicable.
En droit commun, le propriétaire qui loue pour l'habitation à titre de résidence principale une partie de son logement, doit établir un bail de location meublée et produire les diagnostics immobiliers obligatoires (DPE, plomb, amiante, risques). La pièce ou partie de logement donnée à bail doit répondre aux critères de décence et à ceux de salubrité (surface de 9 m2, hauteur sous plafond d'au moins 2,2 m, volume habitable d'au moins 20 m3, performances énergétiques, sécurité du locataire, équipement du logement etc.). Le bail meublé est conclu pour un an au minimum (neuf mois si le locataire est étudiant). Le loyer est libre ou réglementé selon la commune. Un dépôt de garantie, de deux mois de loyer au plus, peut être requis.
Enfin, à l'initiative du locataire, le bail se termine à tout moment sous réserve d'un préavis d'un mois. Le bailleur peut, avec un préavis de trois mois, donner congé à l'échéance du bail pour l'un des trois motifs légaux : pour habiter, pour vendre, ou pour motif légitime et sérieux.
La simplification qui découle du contrat de cohabitation opère donc principalement au bénéfice du bailleur ou sous bailleur, et au détriment de la personne de moins de trente ans. Cette personne est privée du droit au maintien dans les lieux et des règles protectrices relatives à la résiliation du bail, même si, bien entendu, dans les équilibres recherchés, ce déficit de droits est compensé par de notables avantages.
8. En bonne logique juridique, ce sont les conditions d'âge qui peuvent être à l'origine de difficultés. Certes, l'âge limite de 30 ans a été fixé par le législateur avec une certaine marge de sécurité, du moins s'il s'agit d'un étudiant. Mais nombre de jeunes actifs peuvent excéder cet âge.
Sa situation précaire peut conduire le locataire, aussitôt passé l'âge de 30 ans mais maintenu ou laissé dans les lieux, à demander la requalification du contrat de cohabitation, en principe devenu caduc, en contrat de bail meublé. Le bailleur se trouverait confronté à une situation qu'il n'a pas voulue et qui peut lui être très dommageable.
Lorsque la personne de plus de 60 ans est elle-même locataire, et que le sous locataire dépasse l'âge limite de 30 ans, le bailleur pourra être tenté de reprendre la pleine gestion de son bien, et refuser la sous location en utilisant toutes les prérogatives que lui confère la loi du 6 juillet 1989, y compris en poursuivant la résiliation du bail principal si le locataire en titre ne défère pas. Dans le secteur social, compte tenu de la portée renforcée de la prohibition de la sous location, ce pourrait assez logiquement être la règle.
En définitive, être partie à un contrat de cohabitation implique un engagement sans rapport avec celui d'un bail de droit commun. Il faut entre ces parties des affinités solides et la pleine détermination à nouer une relation durablement bienveillante et altruiste, comme l'énoncent certains modèles de contrat préconisés par les associations.
Ces modèles de contrat sont prolixes sur les obligations générales qui pèsent sur les parties. Ceux consultés ne prévoient rien de précis sur les conditions de dénouement du contrat lorsque le locataire ou sous locataire dépasse l'âge de trente ans. C'est certainement là, la principale faiblesse du dispositif.
Camille Terrier
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