Le droit de préférence du locataire commercial
- camille7694
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Cour de cassation 19 juin 2025 n° 23-19292, Publié
L'article L.145-46-1, alinéa 1er, du code de commerce, créé par la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux petites entreprises (dite loi Pinel), dispose que lorsque le propriétaire d'un local à usage commercial ou artisanal envisage de vendre celui-ci, il en informe le locataire par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, ou remise en main propre contre récépissé ou émargement. Cette notification vaut offre de vente.
Le dernier alinéa du texte introduit cinq catégories d'exceptions à ce droit dit de préférence du locataire commercial :
Cession unique de plusieurs locaux d'un ensemble commercial,
Cession unique de locaux commerciaux distincts,
Cession d'un local commercial au copropriétaire d'un ensemble commercial,
Cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux,
Cession d'un local au conjoint du bailleur, ou à un ascendant ou un descendant du bailleur ou de son conjoint.
Dans le cas d'un droit de préférence conventionnel, il avait été jugé que le propriétaire n'est pas tenu de diviser son bien pour le céder à des acquéreurs distincts (Civ, 3ème, 9 avril 2014, n° 13-13.949 Publié).
Ce texte est d'ordre public (Civ, 3ème, 28 juin 2018, n° 17-14.605, Publié).
La complexité rédactionnelle de cet alinéa a posé beaucoup de difficultés pratiques touchant à la sécurité des transactions immobilières. Si le droit de préférence du locataire commercial n'est pas purgé avant la vente, ce dernier peut requérir l'annulation de cette vente. Si au contraire, le notaire évince un tiers acquéreur en conférant au locataire commercial un droit de préférence dont il n'est pas titulaire, c'est l'acquéreur évincé qui peut agir en annulation de la vente.
Il est permis de voir dans l'arrêt commenté un effort de rationalisation et de simplification, dans la ligne de ses arrêts du 17 mai 2018 (n° 17-16.113, Publié) et du 29 juin 2022 (n°21-16.452, Publié) selon lesquels le droit de préférence du locataire commercial ne s'applique pas lorsque l'acte de vente porte sur un immeuble dont le local pris à bail ne constitue qu'une partie.
En réalité, ces deux derniers cas de figure s'inscrivaient précisément dans l'une des exceptions légales, la cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux distincts, loués à des preneurs différents. Tel n'était pas le cas dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt commenté.
1. Une organisation syndicale a donné à bail commercial des locaux à usage de bureaux situés dans un immeuble où elle est propriétaire de plusieurs lots. Elle vend à un tiers ces différents lots, incluant le local commercial donné à bail.
La locataire l'assigne, ainsi que le tiers acquéreur, pour n'avoir pas été mise en mesure d'exercer son droit de préférence, n'ayant pas été destinataire d'une offre de vente. Elle demande la nullité de cette vente.
2. Le premier juge avait considéré l'action de la locataire prescrite sur le fondement de l'article L145-60 qui prévoit que toutes les actions exercées sur le fondement du statut des baux commerciaux se prescrivent par deux ans.
La cour d'appel, en revanche, a sobrement écarté la prescription biennale. Elle a relevé que s'agissant de locaux à usage de bureaux, c'est volontairement que les parties avaient soumis leurs relations contractuelles au statut des baux commerciaux, en visant les dispositions de ce statut relatives à la durée du bail, aux modalités du congé donné par le locataire et au droit à renouvellement.
Ces motifs tels que formulés paraissent critiquables. Même si la Cour de cassation n'a pas encore eu l'occasion de le dire, il semble assez probable que toute action fondée sur le droit de préférence de l'article L.145-46-1 du code de commerce relève de la prescription biennale. Toutefois, l'arrêt commenté ne traite pas cet aspect du litige.
3. La vente contestée par la locataire portait sur 4 lots, 3 à usage de cave et de box, et le quatrième constitué d'une surface de bureau qui avait été divisée de fait et dont une partie seulement, la plus grande, avait été donnée à bail commercial, l'autre partie n'ayant pas fait l'objet d'une location.
La cour d'appel, pour dire que la locataire ne disposait pas du droit de préférence, s'est référée à deux des cinq exceptions prévues à l'article L.145-46-1 du code de commerce :
Cession unique de plusieurs locaux d'un ensemble commercial,
Et cession unique de locaux commerciaux distincts.
En réalité, la première de ces deux exceptions était inopérante, les locaux vendus ne relevaient pas d'un ensemble immobilier pouvant être défini comme un « ensemble commercial » au sens de la loi.
La seconde l'était tout autant, la cession ne portant pas sur deux ou plus locaux commerciaux distincts.
L'auteur du pourvoi faisait en effet valoir qu'aucune des exceptions légales au droit de préférence n'était applicable. La vente portait sur le local commercial et quelques lots secondaires ou annexes dont aucun n'avait lui-même un caractère commercial.
4. Pour rejeter le pourvoi, la Cour de cassation aurait pu se borner à reprendre la doctrine de l'arrêt du 17 mai 2018, évoqué plus haut, qui, sans s'embarrasser des exceptions littérales énumérés à l'article L.145-46-1, affirme tout bonnement que le droit de préférence du locataire commercial ne s'applique pas lorsque l'acte de vente porte sur un immeuble dont le local pris à bail ne constitue qu'une partie. Cette interprétation rejoignait d'ailleurs le texte du projet du gouvernement dont il faut bien reconnaître que les travaux parlementaires ont ensuite dégradé la logique et la cohérence.
En l'espèce, pour parvenir au même résultat, la Cour a préféré se fonder expressément sur l'une des exceptions légales, la cession globale d'un immeuble comprenant des locaux commerciaux mais en lui faisant dire ce que, clairement, le texte ne dit pas : que cette exception s'applique même si l'immeuble vendu ne comporte qu'un seul local commercial dès lors que le local pris à bail ne constitue qu'une partie de l'immeuble ou de l'ensemble des lots vendus.
Nonobstant ces différences de motivation, l'arrêt commenté rejoint précisément l'arrêt du 17 mai 2018. Même si les règles classiques de l'interprétation de la loi par le juge ont été peut-être excédées, la matière des exceptions au droit de préférence est ainsi simplifiée et clarifiée : ce droit de préférence du locataire commercial s'applique à la condition que la vente ne porte que sur le local loué.
La pratique dira si cette doctrine assure des équilibres satisfaisants, ou est trop restrictive quant à l'exercice des droits reconnus au locataire commercial.
Camille Terrier
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