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L'acte de notoriété acquisitive

  • camille7694
  • il y a 3 jours
  • 8 min de lecture

Un arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2024 (Civ, 3ème, 10 octobre 2024, n° 23-17458, Publié) appelle l'attention sur l'acte de notoriété, dressé par notaire aux fins de contribuer à établir la preuve d'une possession utile pour prescrire la propriété d'un bien immobilier.

 

1. On rappellera que la prescription (ou usucapion dans la langue universitaire) est un moyen d'acquérir la propriété d'un bien ou d'un droit par l'effet de la seule possession (articles 712 et 2258 à 2277 du code civil).

 

Cette possession doit, selon la formule de la loi, être « continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire » (article 2261). La durée de cette possession doit être, en matière immobilière, de 30 ans, et il importe peu que le possesseur soit de bonne ou de mauvaise foi, ou de 10 ans si le possesseur est de bonne foi et peut se prévaloir d'un juste titre, c'est à dire d'un acte qui, si son auteur avait été le véritable propriétaire, aurait régulièrement transmis la propriété du bien au possesseur (sur le juste titre, voir l'arrêt Civ, 3ème, 13 janvier 1999, n° 96-19735, Publié).

 

En pratique, celui qui revendique un droit de propriété sur le fondement de la prescription doit établir en premier lieu qu'il n'est pas entré en possession pour autrui (par exemple, en exécution d'un bail, ou comme usufruitier, ou en vertu d'un acte de simple tolérance) et a pris possession sans violence. Il doit ensuite rapporter la preuve des actes matériels de possession utile, c'est à dire répondant aux qualificatifs de l'article 2261, étant entendu que le possesseur actuel qui prouve avoir possédé anciennement est présumé avoir continué de possédé. Il est jugé de manière constante, comme cela découle de l'article 712 du code civil, que la prescription acquisitive peut valablement être opposée à un titre (Civ, 3ème, 17 décembre 2020, n° 18-24434, Publié).

 

2.  À la différence de l'acte de notoriété en matière successorale (qui est obligatoire pour les successions d'une certaine importance et fait preuve de la qualité d'héritier : article 730-1 du code civil), aucun texte ne régit le régime de l'acte de notoriété acquisitive. Sauf, à titre transitoire, pour la Corse et certains départements et territoires d'outre-mer.

 

Pour ce qui concerne la Corse, la loi n° 2017-285 du 6 mars 2017 visant à favoriser l'assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété (en Corse, pour des raisons historiques, plus du tiers des parcelles sont possédées sans titre), organise un régime de prescription acquisitive renforcée et dispose que « Lorsqu'un acte notarié de notoriété porte sur un immeuble situé en Corse et constate une possession répondant aux conditions de la prescription acquisitive, il fait foi de la possession, sauf preuve contraire. Il ne peut être contesté que dans un délai de cinq ans à compter de la dernière des publications de cet acte par voie d'affichage, sur un site internet et au service de la publicité foncière...).

 

Ainsi, l'acte de notoriété vaut titre de propriété s'il n'a pas été victorieusement contesté dans un délai de cinq ans à compter de sa publication, ce qui est une dérogation majeure au droit commun de la prescription acquisitive.

 

La loi prévoit un retour à la normale nationale le 31 décembre 2027, mais cette échéance pourrait être repoussée à 2037.

 

Par ailleurs, la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer, prévoit des dispositions analogues pour la Guadeloupe, la Martinique, la Réunion, la Guyane, Saint-Martin et Mayotte.

 

Le décret n° 2017-1802 du 28 décembre 2017 réglemente le contenu des actes de notoriété mentionnés par ces deux textes, par référence aux dispositions du code civil relatives à la prescription acquisitive, et les modalités de leur publication (cumulativement le fichier immobilier, l'affichage en mairie, la publication sur le site internet des préfectures et des collectivités) faisant courir le délai de contestation.

 

Depuis longtemps, la majorité des litiges en matière de prescription acquisitive vient des départements et territoires visés par ces deux lois de 2017, mais, à notre connaissance, ces dispositions législatives n'ont pas encore suscité de jurisprudence des cours d'appel ou de la Cour de cassation, à l'exception d'un arrêt tout récent de la Cour de cassation (28 novembre 2024 n° 23-14.640, Publié) qui a retenu que la loi du 28 février 2017, ne prévoyant pas d'application rétroactive de ses dispositions, n'était pas applicable auX actes de notoriété acquisitive publiés avant son entrée en vigueur.

 

En France continentale, l'acte de notoriété acquisitive peut, à l'initiative du bénéficiaire, faire l'objet d'une publication au bureau des hypothèques, mais cela n'est pas une obligation et les effets en sont limités.

 

3. En pratique (hors le cas de ces départements et collectivités), l'acte de notoriété est établi par notaire à l'occasion de la vente d'un bien, lorsque le vendeur ne peut justifier de la propriété de ce bien par un titre, ou encore lorsque ce bien est revendiqué auprès du possesseur par la personne qui s'en dit le véritable propriétaire.

 

L'acte mentionne les déclarations des témoins entendus par le notaire et rassemble les éléments de nature à corroborer ces témoignages. Le notaire doit énumérer précisément les actes matériels et immatériels réalisés par le possesseur. Il doit vérifier que cette possession est utile dans les termes du code civil, et n'a jamais été contredite ou viciée.

 

Le prix de cette prestation est fixé selon un barème publié à l'article A444-66 du code de commerce, section tarifs des notaires. Il s'agit d'un émolument proportionnel à la valeur du bien en cause.

 

4.  Il est acquis depuis longtemps que l'acte de notoriété, s'il est un acte authentique, ne fait foi que jusqu'à preuve contraire et, en cas de litige, ne peut faire preuve à lui seul d'une possession utile pour prescrire (notamment, Civ, 3ème, 4 octobre 2000, n° 98-11780, Publié ; Civ, 3ème, 27 avril 1983, n° 82-11511, Publié). L'acte n'est pas créateur de droit, il ne peut substituer la preuve des faits matériels de possession (Civ, 3ème ; 30 juin 1999, n° 97-11.388, Publié ; Civ, 3ème, 11 juin 1992, n° 90-16.439, Publié).

 

Mais si un acte de notoriété lui est soumis à l'appui d'une revendication de propriété, le juge doit en apprécier la valeur probante.

 

Ainsi, par un arrêt du 4 octobre 2000 (n° 98-11.780, Publié), la Cour de cassation a annulé un arrêt de cour d'appel qui, saisie d'une revendication de propriété au bénéfice de la prescription acquisitive trentenaire, avait dit nul et non avenu l'acte de notoriété acquisitive constatant cette prescription et établi par notaire, alors que si cet acte ne peut établir par lui-même la prescription, il appartient au juge d'en apprécier la valeur probante quant à l'existence d'actes matériels de nature à caractériser la possession invoquée.

 

Cette cassation est intervenue au visa de l'article 1353 du code civil (devenu la matière du nouvel article 1382, à l'occasion de l'ordonnance du 10 février 2016), selon lequel « les présomptions qui ne sont point établies par la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet les preuves testimoniales, à moins que l'acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol » (dans le même sens : Civ, 3ème, 11 juillet 2019, n° 18-14.503).

 

5. Dans l'affaire jugée par l'arrêt commenté du 10 octobre 2024, un acte de notoriété acquisitive dressé par notaire avait conféré à une personne la qualité de propriétaire d'une parcelle par prescription. La commune avait assigné cette personne aux fins de voir annuler l'acte de notoriété et juger qu'elle était elle-même propriétaire, cette parcelle étant un bien sans maître (article 713 du code civil).

 

La cour d'appel avait fait droit à la demande de la commune, en retenant, pour annuler l'acte, qu'il n'était confirmé par aucun autre élément. Son arrêt est cassé, car elle aurait dû analyser les témoignages contenus dans l'acte de notoriété pour en déterminer la valeur probante quant à l'existence d'actes matériels de nature à caractériser la possession invoquée.

 

Une cour d'appel qui, à l'inverse, avait donné tous ses effets, sans plus d'analyse, à un acte de notoriété constatant une acquisition par prescription, aux motifs qu'il s'agit d'un acte notarié qui vaut jusqu'à inscription de faux, a vu son arrêt cassé pour n'avoir pas analysé et apprécié la réelle portée probatoire de cet acte (Civ, 3ème, 12 septembre 2024, n° 23-11543, Publié).

 

Il a été jugé qu'une présomption de propriété s'attache à la possession rapportée par l'acte de notoriété et que celui qui fait opposition à l'encontre d'un acte de notoriété doit être en mesure de justifier d'un titre de nature à contredire cette présomption (Civ, 3ème, 14 janvier 2015, n° 13-22.256, Publié ; cette décision, toutefois, se rapporte à un litige survenu en Corse où, même avant la loi de 2017, la prescription acquisitive, comme remède au désordre foncier, était considérée avec une faveur particulière).

 

6. La publication de l'acte de notoriété à la conservation des hypothèques (hors les périmètres géographiques visés par les loi n° 2017-256 du 28 février 2017 et n° 2017-285 du 6 mars 2017), présente l'avantage différé de rendre publique la revendication de propriété au titre de la possession et de caractériser certaines des conditions de l'article 2261 du code civil. Le bénéfice peut s'en dégager au terme du délai pour prescrire, soit 10 ou 30 ans plus tard, courant à compter de la date de cette publication (pour un exemple : Civ, 3ème, 17 octobre 2007, n° 16-17.220, Publié).

 

En outre, si plusieurs possesseurs du même immeuble sont en concurrence, le premier d'entre eux qui publie son acte de notoriété acquiert un avantage qui peut être déterminant.

 

Il est curieux de relever la publication sur certains sites préfectoraux (par exemple de l'Essonne, du Loiret, du Loir-et-Cher...), d'actes de notoriété acquisitive établis pour des biens situés en métropole continentale, qui se réfèrent à des dispositions légales et réglementaires qui ne sont applicables qu'en Corse et dans certains des départements et territoires d'outre-mer. Il est exclu que puisse avoir un quelconque effet, l'avertissement inscrit dans les actes publiés, selon lequel une contestation ne peut intervenir que dans le délai de cinq ans à compter de la publication.

En réalité, hors les territoires concernés par le dispositif législatif transitoire, il n 'existe pas en l'état de délai pour contester une prescription acquisitive non consacrée par une décision judiciaire définitive, en raison du caractère imprescriptible du droit de propriété.

 

Un acte de notoriété acquisitive peut donc être contesté devant le juge judiciaire, lorsque cet acte comporte des irrégularités, ou lorsque les faits qu'il rapporte sont insuffisants à établir une possession utile pour prescrire. Il appartient au demandeur de rapporter la preuve de ses allégations, puisque l'acte de notoriété ne fait foi que jusqu'à preuve contraire.

 

Il a été jugé que lorsque le tribunal rejette la contestation d'un acte de notoriété acquisitive, il peut ordonner la publication de sa décision à la conservation des hypothèques (Civ, 3ème, 14 janvier 2015, n° 13-22.256, Publié). Il peut aussi ordonner la rectification sur tel ou tel point, de l'acte de notoriété qui lui est déféré (par exemple, Civ, 3ème, 3 juillet 2012, n° 11-10.459) et, le cas échéant, son annulation pure et simple.

 

7.  Le notaire, rédacteur d'une acte de notoriété acquisitive qui se révèle erroné et a donc porté tort à un tiers, peut engager sa responsabilité pour faute délictuelle vis à vis de ce tiers, s'il disposait d'éléments de nature à le faire douter de la véracité des énonciations dont on lui est demandé de faire état, mais il n'a pas à rechercher les origines de propriété du bien en cause qui ne sont pas susceptibles de contredire la possession attestée (Civ, 3ème, 22 janvier 2014, n° 12-26.601).

 

Vis à vis de ses clients, le notaire pourrait, dans certaines circonstances, se voir reprocher un manquement au devoir d'information et de conseil.

 

Mais la portée réduite de l'acte de notoriété acquisitive rend sans doute difficile d'établir un préjudice en lien direct avec une faute du notaire. En pratique, lorsque la responsabilité de l'officier ministériel est retenue, les faits en cause sont périphériques à l'établissement de l'acte de notoriété lui-même.


Camille TERRIER



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