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La construction d'un ouvrage sur le terrain d'autrui

  • camille7694
  • 13 août
  • 11 min de lecture
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Les règles civiles de l'accession aux choses immobilières

 

Il arrive qu'une personne construise un ouvrage, ou réalise des plantations sur un terrain qui ne lui appartient pas. La raison peut en être que cette personne se croit chez elle sur la foi d'un titre translatif de propriété dont elle ignore les vices. Le constructeur peut être aussi de mauvaise foi. La question est encore posée lorsqu'un locataire réalise seul d'importantes améliorations ou transformations dans les lieux loués.

 

Les règles civiles de l'accession immobilière, relativement complexes et parfois contre-intuitives, règlent le sort de ces constructions et plantations, les droits respectifs du tiers-constructeur et du propriétaire du sol.

 

Selon une jurisprudence ancienne et constante, ces règles ne sont pas d'ordre public. Elles ont un caractère supplétif, en ce sens qu'elles ne s'appliquent que si les parties ne se sont pas spécialement accordées sur le sort de la construction (Civ, 3ème, 19 février 1975, n° 73-13.998).

 

Le droit d'accession au choses immobilières selon le code civil

 

Le code civil énonce le principe de l'accession de plein droit du propriétaire du sol à la propriété de toutes constructions réalisées sur son terrain :

 

            Article 551 du code civil : « tout ce qui s'unit et s'incorpore à la chose appartient au propriétaire » ;

 

            Article 553 du même code : toutes constructions, plantations et ouvrages sur un terrain sont présumés appartenir au propriétaire de ce terrain, à moins de la preuve contraire.

 

Le code civil, dans son article 555, ouvre ensuite des options au propriétaire du terrain :

 

            Si le tiers-constructeur a financé les constructions, ouvrages ou plantations, le propriétaire du terrain a le choix, soit d'en conserver la propriété, soit d'obliger le tiers à les enlever.

 

            Si ce tiers-constructeur était de mauvaise foi, c'est à dire qu'il n'ignorait pas construire sur le terrain d'autrui, le propriétaire du terrain peut exiger l'enlèvement des constructions. Le tiers-constructeur doit s'exécuter sans pouvoir réclamer d'indemnité. Il peut en outre être condamné à payer des dommages-intérêts.

 

            Si, au contraire, le propriétaire entend conserver ces constructions, il doit régler au tiers-constructeur, que celui-ci ait été de bonne ou de mauvaise foi (Civ, 3ème, 29 avril 2009, n° 08-11.421, Publié) : soit une somme égale à l'augmentation de valeur dont a bénéficié son fonds à raison de la construction, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d'œuvre. Cette option n'appartient qu'au propriétaire du terrain, le juge ne pourrait se substituer à lui (Civ, 3ème,  13 octobre 1999, n° 97-18.010, Publié).

 

            Toutefois, si le tiers-constructeur évincé était de bonne foi, c'est à dire s'il ignorait construire sur le terrain d'autrui, le propriétaire du fonds ne pourra exiger la suppression de la construction mais devra régler à ce dernier soit l'augmentation de valeur de son fonds, soit le coût des matériaux et le prix de la main-d'œuvre.

           

L'accession opère en principe de plein droit et immédiatement. Elle n'est pas subordonnée à une action du propriétaire du sol (Civ, 3ème, 27 mars 2002, n° 00-18.201, Publié).

 

Mais celui-ci peut y renoncer. Conformément au principe selon lequel la renonciation à un droit ne peut pas être équivoque, il est jugé que la renonciation au droit d'accession n'est valable que si elle est claire et non équivoque (Civ, 3ème, 4 mars 2021, n° 19-26.343).

 

L'action en indemnisation du constructeur évincé contre le propriétaire du fonds a le caractère d'une action personnelle (Civ, 3ème, 13 mais 2015, n° 13-26.680, Publié). La recevabilité de cette action n'est pas subordonnée à l'éviction du tiers-constructeur (Civ, 3ème, 21 septembre 2023, n° 22-15.359, Publié).

 

En revanche, l'obligation d'indemniser le constructeur est attachée au fonds et l'action en indemnisation doit être dirigée, si l'immeuble a été vendu, contre l'acquéreur et non contre l'ancien propriétaire (Civ, 3ème, 3 décembre 2015, n° 11-19.783).


Les travaux de rénovation ou d'amélioration sont exclus du domaine de l'accession

 

Le régime de l'accession ne peut se rapporter qu'à des constructions, ouvrages ou plantations neufs, et non pas à des travaux réalisés sur un existant, quelle que soit l'importance de ces travaux et l'état de cet existant.

 

Civ, 3ème, 9 septembre 2021, n° 20-15.713, Publié : « des travaux exécutés sur une construction préexistante avec laquelle ils s'identifient ne relèvent pas des dispositions de l'article 555 du code civil, lesquelles ne concernent que des constructions nouvelles pouvant être l'objet d'une accession au profit du propriétaire du sol ».

 

Les travaux d'amélioration, de réhabilitation ou de rénovation, jusqu'au relèvement d'une ruine, réalisés par le tiers sur le terrain d'autrui, relèvent ainsi du régime classique des impenses, c'est à dire des frais de conservation d'un bien immobilier qu'expose le détenteur de ce bien pour le compte du propriétaire.

 

Ce régime, d'origine doctrinale, est assez couramment mis en œuvre par les juges qui distinguent les impenses nécessaires à la conservation de l'existant, celles qui sont seulement utiles et accroissent la valeur de la chose, et celles qui sont voluptuaires, c'est à dire de pur embellissement et d'agrément.

 

S'agissant des impenses nécessaires, le tiers-constructeur est souvent considéré comme agissant pour le compte du propriétaire et doit donc être intégralement indemnisé. Pour les impenses utiles, les juges appliquent des règles comparables à celles de l'accession. En revanche, si la qualification de dépenses voluptuaires est retenue, le tiers-constructeur n'a doit à aucune indemnité et peut même être condamné à rétablir les lieux en leur état antérieur.

 

Exclusion de l'empiétement partiel sur le terrain d'autrui

 

Si la construction en cause n'est que partiellement implantée sur le terrain d'autrui et, pour le reste sur un terrain appartenant au constructeur (par exemple un mur implanté à cheval sur la ligne séparative, le surplomb d'un immeuble sur la parcelle voisine etc.), le sort de cette construction ne relève pas des règles de l'accession, mais de celles de l'empiétement  (Civ, 3ème,  19 décembre 1983, n° 82-15.670, Publié ; Civ, 3ème, 8 octobre 2015, n° 13-25.532 ; Civ, 3ème, 20 juin 2019, n° 18-13.242).

 

Le régime spécifique de l'empiétement découle de l'article 545 du code civil, selon lequel « nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ». La bonne ou mauvaise foi du constructeur est indifférente. Si un empiétement en surface, en surplomb ou en sous-sol est caractérisé, quelle que soit son importance et quand bien même il ne pourrait en résulter aucun préjudice, le juge doit faire droit à la demande de démolition ou de remise en état, sur le fondement de ce seul texte (Civ, 3ème, 21 décembre 2017, n° 16-25.406, Publié). La Cour de cassation n’a jamais faibli dans la mise en œuvre de cette jurisprudence qui peut-être, dans certaines circonstances, d'une extrême sévérité pour l'auteur de l'empiétement.

 

La notion de tiers-constructeur de bonne ou de mauvaise foi

 

Le tiers qu'évoque l'article 555 du code civil est une personne qui ne dispose d'aucun droit sur le sol.

 

Les juges se réfèrent à l'article 550 du code civil, selon lequel « le possesseur est de bonne foi quand il possède comme propriétaire, en vertu d'un titre translatif de propriété dont il ignore les vices (autrement dit d'un titre putatif). Il cesse d'être de bonne foi du moment où ces vices lui sont connus ». Le tiers-constructeur, qui ne peut pas produire un titre putatif, ne peut pas être considéré de bonne foi au sens des règles de l'accession. La jurisprudence est ancienne et constante (notamment : Civ, 3ème, 29 mars 2000, n° 98-15.734, Publié).

 

En conséquence, n'a pas la qualité de tiers-constructeur de bonne foi celui qui construit sur le terrain d'autrui avec l'autorisation du propriétaire mais sans titre translatif de propriété ; il en découle que le propriétaire peut exiger la destruction de l'immeuble qu'il a autorisé (dans le cas d'une personne qui avait construit une maison sur un terrain appartenant à sa fille : Civ, 3ème, 15 avril 2021, n° 20-13.649, Publié). C'est dans la logique de l'article 550, mais poussée jusqu'à l'absurde. Auparavant, la Cour de cassation affirmait le contraire : celui qui construit sur le terrain d'autrui avec l'autorisation du propriétaire est présumé de bonne foi (Civ, 3ème, 17 décembre 2013, n° 12-15.916, Publié ; Civ, 3ème, 3 novembre 2016, n°15.22.692). En conséquence, le propriétaire ne pouvait requérir la destruction des ouvrages dont il avait autorisé la construction, solution qui pouvait paraître raisonnable, mais qui est aujourd'hui caduque.

 

Le titre putatif, de nature à établir la bonne foi du tiers-constructeur, peut ne pas émaner du véritable propriétaire mais, par exemple, d'un tiers se croyant tel (Civ, 3ème, 14 mars 2024, n° 22-12.258).

 

Toutefois, si, dans le cours de la construction, le propriétaire du terrain fait sommation au tiers d'avoir à cesser les travaux, en établissant ses droits sur le sol, ce dernier, s'il passe outre, cesse d'être de bonne foi pour la partie de la construction édifiée postérieurement à cette sommation (Civ, 3ème, 30 novembre 1988, n° 87-12.387, Publié).

 

Quelques cas particuliers

 

Les distinctions opérées par l'article 555 du code civil selon que le tiers-constructeur est de bonne foi ou non, ne sont pas applicables lorsque ce tiers et le propriétaire du fonds sont, soit liés par un contrat (un bail, par exemple), soit liés par une situation de droit qui interdit au tiers-constructeur de se croire propriétaire du sol. Ce dernier est donc présumé de mauvaise foi, selon la jurisprudence récente de la Cour de cassation (arrêt précité du 15 avril 2021 n° 20-13649, Publié). Le propriétaire du terrain dispose donc du droit d'option entre, soit la conservation de l'immeuble et l'indemnisation du constructeur, soit la destruction de cet immeuble aux frais du constructeur.

 

Ainsi, lorsque l'usufruitier construit sur le terrain du nu-propriétaire, l'accession s'opère au bénéfice de ce dernier, mais seulement à l'extinction de l'usufruit (Civ, 3ème, 19 septembre 2012, n° 11-15.460, Publié).

 

Les règles de l'article 555 du code civil, sont applicables aux concubins dont l'un construit sur le terrain de l'autre, et en l'absence d'une convention particulière réglant le sort de cette construction (Civ, 3ème, 16 mars 2016, n° 15-12.384, Publié).

 

Lorsque l'un des époux construit sur un terrain appartenant en propre à son conjoint et que celui-ci décide d'en conserver la propriété, il doit indemniser le constructeur, qu'il ait été de bonne ou de mauvaise foi (Civ, 3ème, 13 janvier 1999, n° 96-12.077). Mais le montant de l'indemnisation n'est pas évalué selon les principes posés par l'article 555 du code civil. Ce sont les règles de l'article 1469 du code civil relatives à la liquidation et au partage de la communauté qui s'appliquent (Civ, 3ème, 25 avril 2006, n° 04-11.359, Publié).

 

Les constructions réalisées dans les lieux loués par le preneur à bail

 

Quelle que soit la nature du bail, le preneur à bail est présumé tiers-constructeur de mauvaise foi au sens de l'article 555 du code civil, quand bien même le bailleur a autorisé les constructions. Le propriétaire peut donc exiger la remise en état des lieux, ce qui est une déclinaison du principe posé par l'article 1730 du code civil, selon lequel le locataire doit rendre au bailleur la chose telle qu'il l'a reçue. Il est vrai que le plus souvent, les parties au contrat de bail s'accordent sur le sort de ces constructions, en dérogeant, si elles le souhaitent, aux règles de l'article 555.

 

Alors qu'en principe l'accession s'opère de plein droit et immédiatement, il en va différemment lorsque le constructeur est le preneur à bail : l'accession s'opère à la fin de ce bail, sauf convention contraire. Le constructeur en demeure le seul propriétaire de l'ouvrage jusqu'à l'échéance de ce bail. Il en découle que si la construction a été détruite avant même la fin du bail, le propriétaire ne peut prétendre à aucune indemnité (Civ, 3ème, 2 avril 2003, n° 01.17.017, Publié ; Civ, 3ème, 5 janvier 2012, n° 10-26.965, Publié).

 

Par fin du bail, il faut entendre, non pas la fin des relations contractuelles et le départ du locataire, mais la fin de la période locative en cours. Il a toujours été jugé qu'un bail renouvelé est un nouveau bail. Toutefois, les parties peuvent convenir que l’accession s’opérera en fin de jouissance, ou au départ du locataire (Civ, 3ème, 17 janvier 1999, n° 97-11.197).

 

En matière de bail commercial, la date à laquelle le bailleur devient propriétaire des constructions ou améliorations réalisées par le preneur et peut les prendre en compte dans la fixation du loyer est, sauf accord contraire des parties, différée au second renouvellement qui suit ces travaux (article R145-8 du code de commerce : Civ, 3ème, 27 septembre 2006, n° 05-13.981, Publié).

 

Dans le cas d'un bail emphytéotique (articles L451-1 et s. du code rural), ou d'un bail à construction (articles L251-1 et s. du code de la construction et de l'habitation), les constructions réalisées par le preneur reviennent en fin de bail au propriétaire du sol qui ne doit aucune indemnité, à moins que les parties en soient convenues autrement (Civ, 3ème, 12 mars 1970, n° 67-14.067, Publié).

 

L'exercice par le propriétaire du droit d'option de conserver ou non les constructions effectuées sur son terrain

 

En principe, le propriétaire du terrain ne peut pas être privé du droit d'option que lui confère l'article 555 du code civil de conserver ou non les constructions. En conséquence, viole ce texte la cour d'appel qui condamne un propriétaire à payer au voisin évincé une indemnité pour le dédommager des travaux effectués au motif qu'il n'a pas exercé le choix qui lui était offert et qu'il appartient au juge de trancher en choisissant la solution la plus équitable (Civ, 3ème, 24 octobre 1990, n° 89-12.280, Publié).

 

Toutefois, l'inertie du propriétaire qui s'abstiendrait d'exercer son droit d'option peut maintenir le constructeur dans une position difficile. Il est donc admis que le tiers-constructeur puisse enjoindre le propriétaire de prendre parti. Si le propriétaire ne défère pas à une injonction d'avoir à prendre parti, le juge peut en déduire qu'il est réputé avoir renoncé à son droit d'option et accueillir favorablement la demande d'indemnisation du constructeur (Civ, 3ème, 9 décembre 2009, n° 07-18.371).

 

Le droit d'option quant aux modalités d'évaluation de l'indemnité due au tiers-constructeur lorsque le propriétaire décide de conserver les constructions

 

Aux termes de l'article 555, alinéas 3 et 4, du code civil, l'indemnité due au tiers-constructeur évincé est, au choix du propriétaire, égale soit à la plus-value résultant pour le fonds des constructions réalisées, soit au coût des matériaux employés augmenté du prix de la main-d'œuvre.

 

Cette indemnité est évaluée soit à la date du remboursement effectif, soit, si le juge est saisi, à la date où il statue (Civ, 3ème, 22 février 2016, n° 04-19.852, Publié). Le prix des matériaux, celui de la main-d'œuvre sont donc actualisés. S'agissant de la plus-value, il n'est pas tenu compte de l'état du marché immobilier à l'époque de la construction.

 

Toutefois, la jurisprudence exclut que le temps écoulé puisse aboutir à un renversement de la situation. Le tiers-constructeur, créancier de la valeur des constructions, ne peut être condamné à compenser une moins-value résultant des constructions à la date où le juge statue (Civ, 3ème, 12 octobre 2011, n° 10-18.175, Publié).

 

Le choix ouvert par l'article 555 du code civil des modalités de l'indemnisation du tiers-constructeur est une prérogative discrétionnaire du propriétaire du sol. Ce dernier n'a donc pas à le justifier. Il arrêtera évidemment la solution la plus avantageuse.

 

Le juge ne peut priver le propriétaire du droit d'option en choisissant à sa place la modalité de calcul de l'indemnisation (Civ, 3ème, 13 octobre 1999, n° 97-18.010, Publié) et même si l'option choisie est la plus avantageuse pour le propriétaire (Civ, 3ème, 4 mai 2006, n° 05-13.330, Publié). Toutefois, le propriétaire qui s'abstiendrait de manière dilatoire de répondre à une injonction du tiers-constructeur d'avoir à trancher l'option, pourrait engager sa responsabilité.


Camille Terrier


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