Bail d'habitation : la restitution du dépôt de garantie, un piège pour le bailleur
- camille7694
- 9 juil.
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À Paris, 8000 appartements disparaissent chaque année du parc locatif privé (Le Monde du 20 juin 2025). Les causes en sont identifiées, parmi lesquelles l'augmentation du nombre de résidences secondaires, l'interdiction à la location des logements classés G, les obstacles à l'accès des locataires à la propriété, une rentabilité locative médiocre etc. Il est douteux que le futur statut du bailleur privé, annoncé en grande pompe pour 2026, change grand-chose à la situation puisqu'il ne s'agira que de renouveler un dispositif type Pinel, avantages fiscaux contre travaux de rénovation et loyers en dessous du prix de marché.
Mais de nombreux propriétaires bailleurs mettent aussi en cause des déséquilibres législatifs structurels qui favorisent les locataires devant les juges et font de la gestion locative une activité parfois difficile, décevante et onéreuse.
Les pièges ouverts par le législateur sous les pas des bailleurs dans la phase de restitution du dépôt de garantie, en sont un exemple frappant depuis que certains locataires ont appris à les utiliser délibérément contre les bailleurs.
1. L'article 22, septième alinéa de la loi du 6 juillet 1989 dispose que : « à défaut de restitution dans les délais prévus, le dépôt de garantie restant dû au locataire est majoré d'une somme égale à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard. Cette majoration n'est pas due lorsque l'origine du défaut de restitution dans les délais résulte de l'absence de transmission par le locataire de l'adresse de son nouveau domicile ».
Cette disposition a été introduite par la loi ALUR du 24 mars 2014. Auparavant, le texte prévoyait qu’« à défaut de restitution dans le délai prévu, le solde du dépôt de garantie restant dû au locataire, après arrêté des comptes, produit intérêt au taux légal au profit du locataire ».
Le délai maximal de restitution du dépôt de garantie par le bailleur était, avant la loi ALUR de deux mois à compter de la restitution des clés par le locataire.
La loi ALUR a prévu deux délais distincts :
Un mois à compter de la remise des clés lorsque l'état des lieux de sortie est conforme à l'état des lieux d'entrée, autrement dit lorsque le bailleur n'a pas émis de réserves sur l'état de réparations locatives des locaux loués ;
Deux mois, dans le cas contraire.
Ainsi, depuis la loi ALUR, lorsque le dépôt de garantie n'est pas restitué, ou ne l'est que partiellement après déduction des sommes restant dues au bailleur au titre des réparations locatives ou des loyers et charges le plus souvent, soit au plus tard au terme du premier mois après la remise des clés, soit au terme du second mois, selon que l'état des lieux de sortie est ou non conforme à l'état des lieux d'entrée, le dépôt de garantie est majoré d'une somme égale à 10 % du loyer mensuel pour chaque mois commencé en retard.
Bien entendu, si aucune restitution n'est due au titre du dépôt de garantie, la majoration légale est sans objet. C'est évident, mais la Cour de cassation a dû le rappeler (Civ, 3ème, 24 juin 2019, n° 17-31.286).
Dans les autres cas, la majoration court donc de plein droit à l'issue du délai de un ou deux mois suivant la remise des clés. Un tribunal de proximité qui avait considéré que ce point de départ doit être la date de signification de la décision se prononçant sur la restitution du dépôt de garantie, au motif qu'il serait inéquitable de faire supporter au bailleur les aléas liés au déroulement de l'instance judiciaire, a vu sa décision cassée (Civ, 3ème, 22 juin 2022, n° 21-14.525).
En conséquence, en l'absence de remise des clés au bailleur, soit en mains propres, soit lettre recommandée (LRAR), constatée par le juge, la majoration de l'article 22 ne court pas (Civ, 3ème, 14 novembre 2019, n° 18-17.729). Dans une telle circonstance, le bailleur doit le cas échéant demander au juge de procéder à la recherche sur la restitution des clés. Une telle recherche n'interviendra pas d'office (Civ, 3ème, 20 mai 2021, n° 20-12.864).
2. La loi prévoit une exception à la majoration de plein droit du dépôt de garantie à restituer : cette majoration légale n'est pas due lorsque le défaut de restitution du dépôt de garantie tient à ce que le locataire n'a pas transmis à son ancien bailleur l'adresse de son nouveau domicile.
A notre connaissance, il n'existe pas (encore) de jurisprudence sur les conditions d'application de ce texte. On ne peut qu'évoquer les interrogations qu'il suscite.
A priori, si le bailleur affirme être demeuré dans l'ignorance de la nouvelle adresse de son locataire, et dès lors qu'on ne peut exiger de quiconque une preuve négative, il appartiendra à ce dernier d'établir qu'il a pris soin de faire connaître au bailleur sa nouvelle adresse, conformément à la dernière phrase de l'article 22, alinéa 3.
La loi se réfère à la communication par le locataire au bailleur de l'adresse de son nouveau domicile qui ne peut être que sa nouvelle adresse postale.
Qu'en est-il si le bailleur n'a connaissance que de l'adresse mail et/ou d'un numéro de téléphone ? Les juges exigeront-ils que le bailleur, s'il dispose d'un moyen de communication avec son ancien locataire, prenne l'initiative de lui demander son adresse postale, alors que le texte ne semble pas lui en faire l'obligation ?
Si l'ancien locataire, plusieurs mois après la remise des clés, fait connaître au bailleur sa nouvelle adresse, la majoration opère-t-elle ab initio, en prenant en compte les mois écoulés avant cette communication ? Ou court-elle seulement à compter de la date de cette communication ?
3. Lorsqu'est en cause la régularisation des charges, le législateur a dû prendre des dispositions spécifiques.
L'article 22, alinéa 5 de la loi du 6 juillet 1989 dispose que dans les immeubles collectifs, soit les parties conviennent amiablement de solder tous leurs comptes au moment de la remise des clés, soit « le bailleur procède à un arrêté de comptes provisoire et peut, lorsqu'elle est dûment justifiée, conserver une provision ne pouvant excéder 20 % du montant du dépôt de garantie jusqu'à l'arrêté annuel des comptes de l'immeuble. La régularisation définitive et la restitution du solde, déduction faite, le cas échéant, des sommes restant dues au bailleur et des sommes dont celui-ci pourrait être tenu en lieu et place du locataire, sont effectuées dans le mois qui suit l'approbation définitive des comptes de l'immeuble ».
Autrement dit, la régularisation des charges peut être subordonnée à l'approbation des comptes de l'immeuble. Dans ce cas, le bailleur peut conserver au plus 20 % du dépôt de garantie jusqu'à l'arrêté annuel des comptes. Puis, dans le mois de la régularisation du compte de charges, il doit restituer à l'ancien locataire le solde du dépôt de garantie. C'est à partir de là que court la majoration de l'alinéa 7 du même article 22.
Cette disposition a encore peu retenu l'attention des juridictions. La difficulté du texte tient évidemment à ce que des retenues sur le dépôt de garantie peuvent être opérées au titre des réparations locatives, et/ou au titre de la régularisation définitive des charges. Mais les points de départ des délais de restitution prévus par la loi sont différents.
Il a été jugé, dans une espèce où le juge avait retenu que le montant des réparations locatives excédait celui du dépôt de garantie mais que le bailleur était débiteur d'une somme au titre de la régularisation des charges, que la majoration de l'article 22 alinéa 7 ne pouvait courir à compter du délai de deux mois après la remise des clés (Civ, 3ème, 31 mai 2019, n° 17-18.069, Publié). Dans cette affaire, les comptes des parties faisaient apparaître que certes le montant des travaux locatifs excédait celui du dépôt de garantie, mais qu'en prenant en compte la régularisation des charges et le solde dû au locataire, il subsistait une certaine somme à restituer sur le dépôt de garantie.
Mais, avec cet arrêt, la Cour de cassation est loin d'avoir fait le tour du problème. Imaginons qu'un bailleur retienne le dépôt de garantie au double titre des réparations locatives et de la régularisation des charges. Le montant des réparations locatives avérées est inférieur à celui du dépôt de garantie : la majoration court à compter des deux mois après la remise des clés. Puis la régularisation des charges épuise ce qui reste dû sur le dépôt de garantie : le juge reconnaitra-t-il qu'aucune restitution n'est due et que la majoration devient sans objet ?
Ou bien, supposons que la régularisation des charges ajoutée aux retenues pour réparations locatives n'épuise pas le dépôt de garantie : quel sera le point de départ de la majoration, celui de l'alinéa 7 ou celui de l'alinéa 5 de l'article 22 ?
4. Il a été jugé que l'ancien locataire peut obtenir non seulement la majoration du dépôt de garantie si les conditions légales sont réunies, mais aussi, en application du principe de réparation intégrale du préjudice, des dommages et intérêts s'il est en mesure de démontrer l'existence d'un préjudice indépendant du seul retard dans la restitution du dépôt de garantie (Civ, 3ème, 1er juin 2022, n° 21-13.245).
Selon la jurisprudence, il n'est pas possible de cumuler la majoration de l'article 22 alinéa 7 et les intérêts moratoires au taux légal de l'article 1153, alinéa 3 du code civil. Mais la somme que le bailleur est condamné à régler produit les intérêts moratoires à compter du jugement la liquidant (Civ, 3ème, 15 novembre 2018, n° 17-26.986, Publié).
5. On sait que la restitution du dépôt de garantie a toujours été une source de difficultés et de conflits entre locataires et bailleurs. Il n'est pas douteux que certains bailleurs ont pris avantage de leur position pour spolier certains locataires en leur refusant ou en retardant sans raisons suffisantes la restitution de ce dépôt de garantie. La menace d'assortir les sommes à restituer des intérêts au taux légal n'a jamais été pour le locataire un réel levier en raison de la faiblesse du taux. Il était donc légitime que le législateur intervienne, mais il ne semble pas avoir bien mesuré les implications du texte qu'il a adopté.
En effet, la pénalité de 10 % du loyer mensuel pour chaque mois commencé en retard revêt un caractère automatique censé lui donner un plein effet dissuasif. Elle s'applique même si la somme à restituer sur le montant du dépôt de garantie est résiduelle. La sanction financière du bailleur est ainsi déconnectée du montant de la créance du locataire et donc du préjudice que lui cause le défaut de restitution.
En outre, le locataire a le loisir d'accroitre cette pénalité et de s'enrichir par un effet d'aubaine en retardant délibérément jusqu'à la limite de la prescription triennale la saisine du juge.
Supposons un loyer en principal de 1 000 euros. Le bailleur informe son ancien locataire, qui a pris soin de lui communiquer sa nouvelle adresse, de ce qu'il retient le dépôt de garantie de 1 000 euros en raison de l'état du logement contradictoirement constaté lors de la remise des clés. L'ancien locataire n'élève pas d'objection. Mais à la veille de la prescription, il assigne son ancien bailleur en restitution du dépôt de garantie.
L'ancien locataire tente ainsi sa chance. Il est acquis que le bailleur doit justifier des sommes qu'il retient sur le dépôt de garantie (Civ, 3ème, 15 février 2012, n° 11-13.014, Publié), sans toutefois devoir présenter des factures acquittées (Civ, 3ème, 16 septembre 2008, n° 07-15.789).
Si le bailleur ne parvient pas à justifier dans leur intégralité les retenues auxquelles il a procédé sur le montant du dépôt de garantie et que le juge le condamne à restituer ne serait-ce que 5 ou 10 % de ce dépôt de garantie, le locataire aura droit au remboursement de cette somme ainsi qu'au paiement d'une « indemnité » de 3 600 euros (100x12x3).
6. C'est à peu près ainsi que se présentait une affaire soumise à la Cour de cassation en 2018 et on perçoit la perplexité de la 3ème chambre civile à son examen.
Un bailleur est condamné à payer à son ancien locataire, d'une part, 177 euros au titre du dépôt de garantie, après déduction des réparations locatives et des charges impayées, d'autre part la somme de 1 900 euros au titre de la majoration de retard. Devant la Cour, il a demandé le renvoi au Conseil constitutionnel de l'article 22, alinéa 7 de la loi du 6 juillet 1989, l'estimant contraire au droit de propriété ainsi qu'aux principes de proportionnalité et d'individualisation des peines.
La Cour de cassation retient qu'en effet « que la question (de constitutionnalité) présente un caractère sérieux en ce que, fixée indépendamment du montant du dépôt de garantie à restituer après compensation des sommes dues par le preneur et sans que le juge puisse tenir compte des circonstances à l'origine du retard de paiement ni de la bonne ou mauvaise foi du bailleur, la majoration prévue par l'article 22 de la loi du 6 juillet 1989 pourrait être qualifiée de sanction ayant le caractère d'une punition contraire, par son automaticité et l'absence de pouvoir de modulation accordé au juge, aux exigences de proportionnalité et d'individualisation des peines qui découlent de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » (Civ, 3ème, 13 décembre 2018, n° 18-17.729).
Le Conseil constitutionnel a déclaré le texte conforme à la Constitution. Il a retenu d'abord que la majoration n'est pas une peine mais la réparation du préjudice subi par le locataire. Ensuite, « ...en prévoyant que cette majoration est égale à une somme forfaitaire correspondant à 10 % du loyer mensuel en principal, pour chaque période mensuelle commencée en retard, le législateur s'est fondé sur un élément en lien avec l'ampleur du préjudice, dans la mesure où le montant du loyer mensuel est pris pour référence comme plafond du dépôt de garantie, et a pris en compte la durée de ce préjudice » (Décision n° 2018-766 QPC du 22 février 2019).
Cette réponse du Conseil paraît un peu simple et commode, car il n'est pas douteux que dans l'esprit même du législateur la majoration en question est à la fois une sanction pour le bailleur qui retient sans juste motif le dépôt de garantie et qui serait nécessairement de mauvaise foi, et une réparation pour l'ancien locataire qui en attend le remboursement. Le quantum de la majoration dépend non pas du montant de la somme à restituer mais du montant du loyer mensuel, lequel peut être sans rapport avec ce montant, comme dans le cas d'espèce soumis au Conseil.
D'ailleurs, même après cet arrêt, la Cour de cassation a continué d'évoquer la majoration du dépôt de garantie comme une pénalité (Civ, 3ème, 31 mai 2019, n° 17-18.069, Publié).
7. En réalité, les principes en cause ici n'ont pas une valeur constitutionnelle. Sont en jeu, non pas les règles relatives à la sanction ou au droit de propriété, mais plutôt le principe civil de la réparation intégrale du préjudice, qui exclut que l'indemnisation d'un préjudice puisse conduire à un enrichissement, d'une part, et le pouvoir du juge d'apprécier souverainement la réalité d'un préjudice et le montant de la réparation, de l'autre.
Le texte serait moins discutable si le législateur, libéré d'un parti-pris défavorable au bailleur, avait pris certaines précautions. On se bornera à deux suggestions.
En premier lieu, il conviendrait de distinguer les bailleurs de bonne et de mauvaise foi. Que le juge soit en désaccord partiel avec la valeur des réparations locatives avancée par le bailleur, ne suffit pas à établir la mauvaise foi de ce dernier. La majoration du dépôt de garantie à restituer par référence au loyer mensuel ne devrait pouvoir être opérée que si le juge caractérise, au regard des circonstances concrètes, la mauvaise foi du bailleur.
En second lieu, s'il apparaît que le dépôt de garantie doit être restitué en tout ou partie mais que le bailleur n'est pas de mauvaise foi, on peut concevoir qu'une majoration automatique intervienne mais par référence, non pas au loyer, mais à la somme due par le bailleur et dont celui-ci a retardé le remboursement. La somme à restituer effectivement pourrait être augmentée de 10 % par mois dès l'écoulement du délai d’un ou deux mois après la remise des clés. C'est déjà un taux d'intérêt très confortable...
Ainsi, le législateur pourrait remplir son objectif d'inciter les bailleurs à restituer dans les meilleurs délais ce qu'ils doivent sur le dépôt de garantie, sans donner l'impression de les pourchasser d'une secrète vindicte.
Dans l'attente d'une éventuelle modification de la loi, le conseil à donner aux bailleurs en cas de réserves sur l'état de réparations locatives des locaux loués et de rétention du dépôt de garantie, est d'utiliser le délai de deux mois à compter de la remise des clés pour faire constater l'état du logement et faire évaluer aussi sérieusement que possible le montant des réparations locatives par un ou plusieurs professionnel, de manière à disposer d'éléments de preuve indiscutables justifiant la décision de non restitution (totale ou partielle) de la caution.
Camille TERRIER



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