Vente immobilière : les délais de réflexion et de rétractation
- camille7694
- 13 août
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La loi se méfie des coups de cœur et entend protéger les acquéreurs contre les imprudences que peut susciter l'enthousiasme. L’article L 271-1 du code de la construction et de l’habitation (CCH) institue au profit de l’acquéreur immobilier non professionnel d'un immeuble d'habitation, le délai de rétractation de dix jours.
Une telle disposition n'est pas d'inspiration civiliste, car elle déroge aux principes généraux du droit des contrats. Mais elle répond à la préoccupation légitime de protéger la partie présumée la plus faible qui fonde tout le droit de la consommation et ses dérivés. Même si, évidemment, cela n'est pas toujours la réalité, l'acquéreur est a priori la partie faible au contrat de cession immobilière.
Le droit de rétractation a été créé par la loi du 31 décembre 1989 qui a institué les procédures de prévention et de règlement des situations de surendettement des particuliers et des familles. Le délai de rétractation ne concernait que les actes sous seing privé et était alors de sept jours. La loi SRU du 13 décembre 2000 a complété le texte, en instituant, pour les actes dressés en la forme authentique qui n'ont pas été précédés d'un contrat préliminaire, un délai de réflexion différant la signature de cet acte de sept jours. Les modalités de mise en œuvre de ces droits réflexion et rétractation, ont été aménagées par la loi ENL du 13 juillet 2006.
La loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, a porté les délais de rétractation et de réflexion de sept à dix jours. Enfin, la loi ELAN du 23 novembre 2018 a précisé et développé certaines prescriptions formelles. Le texte est complété par les dispositions réglementaires des articles D271-6 et D271-7 du CCH.
Ce dispositif, bien connu et apparemment simple, a posé en jurisprudence différentes difficultés et il a fallu aux juges préciser les conditions d'application de ces droits de rétractation et de réflexion.
Les cessions immobilières concernées par les dispositions de l'article L271-1 du CCH
Le texte du CCH mentionne les actes se rapportant à la construction ou l'habitation d'un immeuble d'habitation. La jurisprudence retient en conséquence que la protection de la loi ne concerne que les opérations se rapportant aux immeubles destinés à l'habitation exclusivement.
La protection de la loi ne joue pas si l'immeuble concerné est à usage mixte, par exemple commercial et d'habitation, ou professionnel et d'habitation (Civ, 3ème, 30 janvier 2008, n° 06-21.145, Publié). De même pour la cession d'un terrain à bâtir, même si l'immeuble à construire est à usage d'habitation (Civ, 3ème, 4 février 2016, n° 15-11.140, Publié), ou pour une propriété agricole avec pension équestre (Civ, 3ème, 24 septembre 2013, n° 12-24.511).
Les actes ouvrant droit à la protection de la loi
Pour le droit de rétractation :
La loi énumère tous les actes qui ont pour objet soit l'acquisition soit la construction d'un immeuble d'habitation, mais aussi la souscription de parts donnant vocation à l'attribution en jouissance ou en propriété d'immeubles d'habitation, les contrats de vente d'immeubles à construire, et ceux de location accession à la propriété immobilière.
Pour le droit de réflexion : les mêmes actes s'ils n'ont pas été précédés d'un contrat préliminaire ou d''une promesse synallagmatique ou unilatérale, à l'occasion desquels l'acquéreur a bénéficié du droit de rétractation (la loi ne lui accorde pas de seconde chance).
Seuls les avenants substantiels à l'acte doivent être notifiés pour l'exercice des droits de l'article L271-1 du CCH (Civ, 3ème, 13 février 2020, n° 19-11.208).
L'exclusion des professionnels
Cette exclusion de principe est un choix du législateur. Dans la plupart des cas, l'application de la règle ne pose pas difficulté. Ainsi, un promoteur immobilier est évidemment un professionnel (Civ, 3ème, 16 février 2022, n° 20-23.237). Mais nombre de situations particulières ont conduit à s'interroger sur la notion de non professionnel.
Le droit de la consommation est familier de cette opposition particuliers/professionnels, les premiers seulement, présumés parties faibles, pouvant prétendre aux dispositifs de protection légale.
Il est certain que, pour l'application de l'article L271-1 du CCH, les sociétés commerciales sont toutes, quelle que soit leur forme juridique et leur objet social, considérées comme professionnelles.
C'est moins évident pour les SCI, spécialement celles dites familiales, constituées par exemple, pour l'acquisition et la gestion d'une résidence de famille. La jurisprudence a tranché par référence à l'objet social de la SCI.
Pour l'acquisition en 2008 de la célèbre villa Léopolda à Villefranche Sur Mer, les parties s'étaient accordées, suivant promesse synallagmatique de vente, sur le prix de 390 millions d'euros. L'acquéreur a versé une indemnité d'immobilisation de 39 millions d'euros, mais a, par la suite, refusé de régulariser la vente, au motif allégué qu'il n'avait pas bénéficié du droit de rétractation. Il a assigné pour obtenir la restitution de l'indemnité d'immobilisation.
L'acquéreur était une société foncière dont l'objet social était l'acquisition, l'administration et la gestion par location ou autrement de tous immeubles et biens immobiliers meublés et aménagés. Mais cette personne morale soutenait que le caractère professionnel de l'acte en cause ne pouvait être déduit de ce seul objet social statutaire, les juges devant rechercher, concrètement, au regard de son activité réelle, si l'acte avait ou n'avait pas un caractère non professionnel. Or, cette société foncière n'avait été créée pour l'acquisition de la villa Leopolda et n'avait pas eu d'autre activité.
Mais les juges ont disqualifié cette façon de raisonner et ont opté pour la simplicité. Il suffisait de relever que l'acte en cause avait un rapport direct avec l'objet social de la personne morale qui s'était portée acquéreur, pour en déduire à bon droit que cet acquéreur n'était pas non professionnel et, partant, ne pouvait bénéficier des dispositions de l'article L271-1 du CCH (Civ, 3ème, 24 octobre 2012, n° 11-18.774, Publié).
Ainsi, les SCI, notamment familiales, qui se portent acquéreur d'un immeuble d'habitation, ne bénéficient pas de la protection de la loi lorsque l'acte d'acquisition est en rapport direct avec leur objet social, ce qui est nécessairement le cas (pour confirmation : Civ, 3ème, 16 septembre 2014, n° 13-20.002).
La définition du professionnel et celle du non professionnel à l'article préliminaire du code de la consommation, créé par l'ordonnance du 14 mars 2016, est peu utile à cet égard mais non contradictoire avec la jurisprudence évoquée.
Toutefois, les parties à l'acte peuvent valablement conférer à l'acquéreur professionnel le droit de rétractation de l'article L271-1 du CCH (Civ, 3ème, 5 décembre 2019, n° 18-24.152, Publié), le juge pouvant être appelé à vérifier que les stipulations de l'acte sont à cet égard claires et sans ambiguïté. Dans un tel cas, le fondement juridique de l'exercice de la rétractation ne réside pas dans les dispositions du CCH, mais exclusivement dans les stipulations contractuelles.
La notification de l'acte au bénéficiaire de la protection légale
Aux termes du texte, l'acte est notifié à l'acquéreur par lettre recommandée avec avis de réception ou, précise la loi, « par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise ».
Selon une modification du texte opérée par la loi SRU du 13 décembre 2000, lorsque l'acte est conclu par l'intermédiaire d'un professionnel mandaté pour prêter son concours à la vente, cet acte peut être remis directement au bénéficiaire du droit de rétractation. Mais des garanties formelles sont prévues par l'article D271-6 du CCH : l'acte lui-même doit reproduire les dispositions de l'article L271-2 du même code relatives aux versements d'argent permis ou interdits à cette occasion, et l'acquéreur doit y inscrire de sa main les mentions prévues par le texte, attestant qu'il a bien compris les modalités d'exercice du droit de rétractation.
La jurisprudence antérieure à la loi SRU interdisait ce type de notification en raison du risque que le document soit antidaté, et la Cour de cassation juge encore que la remise de l'acte en main propre, si elle n'est pas constatée par un acte ayant date certaine, ne satisfait pas aux exigences de l'article L271-2 et ne fait pas courir le délai de rétractation (Civ, 3ème, 18 novembre 2009, n°08-20.912).
Il ne saurait être trop recommandé, dans toutes les situations, de privilégier la forme de la lettre recommandée, papier ou électronique.
Le texte légal dispose plus généralement que tous les actes, préliminaires ou définitifs, sous seing privé ou en la forme authentique, « indiquent, de manière lisible et compréhensible, les informations relatives aux conditions et aux modalités d'exercice du droit de rétractation ou de réflexion ». Il sanctionne même tout manquement à cette obligation d'information d'une amende administrative de 3000 euros pour une personne physique et de 15 000 € pour une personne morale (dernier alinéa de l'article L271-1 du CCH). L'amende est prononcée et recouvrée selon les modalités prévues par les articles L522-1 du code de la consommation. Il est presque impossible d'obtenir des statistiques sur le prononcé de ces amendes, mais il semble que cela soit tout à fait exceptionnel, à supposer qu'une amende de ce type ait jamais été prononcée.
Le délai de dix jours du droit de rétractation court à compter du lendemain de la réception de la lettre recommandée ou de la remise en main propre de l'acte. Conformément à l'article 642 du code de procédure civile, ce délai de rétractation ou de réflexion de dix jours expire le dernier jour à 24 heures, et s'il s'agit d'un samedi, d'un dimanche ou d'un jour férié, il est prorogé jusqu'au premier jour ouvrable suivant.
Les cours et tribunaux veillent à ce que les droits de l'acquéreur ne puissent être compromis à l'occasion de cette notification. La notification doit être effective à l'intéressé (Civ, 3ème, 7 novembre 2012, n° 11-22.186). Ainsi la notification par lettre recommandée n'est régulière que si la lettre est remise à son destinataire ou à son représentant muni d'un pouvoir à cet effet (Civ, 3ème, 30 septembre, 2021 n° 20-18.303 ; Civ, 3ème, 21 mars 2019, n° 18-10.772, Publié ; Civ, 3ème, 12 octobre 2017, n° 16-22.416, Publié).
Il a été jugé que l'agent immobilier, mandataire du vendeur et rédacteur de l'acte, a le devoir de vérifier la sincérité, au moins apparente, de la signature figurant sur l'avis de réception de la lettre recommandée adressée aux acquéreurs (Civ, 3ème, 21 mars 2019, n° 18-10.772, Publié, précité).
Si deux personnes, par exemple deux époux, sont acquéreurs et signataires de l'acte, cet acte doit être adressé personnellement à chacun d'eux. A défaut, c'est à dire si une lettre unique a été libellée au nom des deux, l'avis de réception de la lettre unique doit être signé par l'un et l'autre (Civ, 3ème, 26 novembre 2014, n° 13-24.294 ; Civ, 3ème, 9 juin 2010, n° 09-14.503), sauf, bien entendu, si l'un des époux est mandaté par l'autre à cette fin.
En revanche, conformément à la règle générale, la notification est régulière si le destinataire, bien qu'informé de la mise en distribution du courrier, s'abstient d'aller retirer son pli, comme l'y invite pourtant l'avis de passage (Civ, 3ème, 14 février 2018, n° 17-10.514, Publié).
La sanction du défaut de notification régulière
Une jurisprudence ancienne et constante veut que la conséquence d'une notification irrégulière de l'acte est que le délai de rétractation ou de réflexion n'a pas commencé à courir, et ne court pas aussi longtemps qu'une notification régulière n'est pas intervenue (Civ, 3ème, 30 janvier 2019, n° 17-25.952, Publié ; Civ, 3ème, 30 septembre 2021, n°20-17.846).
Dès lors que le délai n'a pas couru en raison d'une notification irrégulière, l'exercice du droit de rétractation peut valablement intervenir à n'importe quel moment (Civ, 3ème, 25 mai 2011, n° 10-14.641, Publié).
Toutefois, la signature par l'acquéreur de l'acte authentique de vente, sans réserve quant à l'irrégularité de la notification du droit de rétractation prévue à l'article L271-1 du CCH et attaché au du contrat préliminaire, vaut renonciation à se prévaloir de cette irrégularité (Civ, 3ème, 7 avril 2016, n° 15-13.064, Publié).
L'exercice de la faculté de rétractation ou de réflexion
L'acquéreur, conformément aux prévisions de l'article L271-1 du CCH, exerce le droit de rétractation ou de réflexion selon le parallélisme des formes, c'est à dire par lettre recommandée avec accusé de réception, ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise, le destinataire étant soir le vendeur, soit son mandataire désigné à cette fin.
La date de la rétractation est celle de l'expédition de la lettre recommandée, le texte ayant été édicté pour la protection de l'acquéreur (Civ, 3ème, 5 décembre 2007, n° 06-19.567, Publié).
Il n'est pas recommandé, compte tenu des enjeux, de se borner à l'envoi d'un courriel. Certes, la Cour de cassation paraît l'avoir admis (Civ, 3ème, 2 février 2022, n° 20-23.468), mais c'est après avoir constaté que le notaire mandaté par le vendeur pour recevoir la notification de la rétractation attestait l'avoir bien reçue. En effet, un courriel ne présente pas les garanties que la lettre recommandée électronique qui, selon l'article L100 du code des postes et des communications électroniques, a la même valeur que la lettre recommandée papier, et peut donc être utilisée pour toutes les notifications prévues par l'article L271-1 du CCH.
Dans le cas de co-aquisition, l'exercice du droit de rétractation par l'un seul des co-acquéreurs entraîne l'anéantissement du contrat dont l'autre ou les autres co-acquéreurs ne peuvent plus se prévaloir (Civ, 3ème, 4 décembre 2013, n° 12-27.293, Publié).
Aucune raison ou explication n'est requise de la part de l'auteur de la rétractation.
L'auteur de la rétractation dispose-t-il d'un droit de remord ?
La question s'est posée, mais dans la logique de la Cour de cassation, selon laquelle l'exercice du droit de rétractation entraîne l'anéantissement du contrat, il n'est pas possible qu'un remord de l'acquéreur puisse faire revivre ce contrat, même si le délai de dix jours n'est pas encore écoulé (Civ, 3ème, 13 mars 2012, n° 11-12.232, Publié ; Civ, 3ème, 13 février 2008, n° 06-20.334, Publié).
Camille Terrier
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