Vente immobilière : le régime des conditions suspensives stipulées dans le compromis de vente
- camille7694
- 7 août
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Pour des raisons pratiques, il est d'usage en matière de vente immobilière de rédiger un avant contrat précédant l'acte authentique. En particulier lorsque l'acheteur ou le vendeur entendent stipuler des conditions suspensives (ou résolutoires), cette étape est une nécessité. Mais d'autres raisons pratiques, touchant notamment aux techniques notariales, le commandent.
Cet avant contrat a, bien entendu, tous les caractères d'un contrat et peut être :
Soit une promesse unilatérale de vente ou d'achat
La promesse unilatérale est définie à l'article 1124 du code civil comme un « contrat par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire ».
L'option doit être levée dans un certain délai, et à défaut qu'elle le soit par le bénéficiaire dans ce délai, les deux parties reprennent leur pleine liberté.
En matière immobilière et à peine de nullité, la promesse unilatérale de vente (non pas celle d'achat) doit être constatée par acte authentique ou par acte sous seing privé enregistré dans les dix jours de son acceptation (articles 1589-2 du code civil et L290-1 du code de la construction et de l'habitation). Si la durée de validité de la promesse unilatérale est supérieure à 18 mois, une indemnité d'immobilisation d'un montant minimal de 5 % du prix de vente doit être déposée entre les mains du notaire, à peine de nullité de cette promesse (article L290-2 du code de la construction et de l'habitation).
L'article 1589-1 du code civil énonce qu'est frappé de nullité tout engagement unilatéral d'achat d'un bien ou d'un droit immobilier pour lequel il est exigé ou reçu de celui qui s'engage un versement quel qu'il soit.
Soit une promesse synallagmatique de vente
Aux termes de l'article 1589 du code civil, « la promesse de vente vaut vente, lorsqu'il y a consentement réciproque des deux parties sur la chose et sur le prix ». En pratique, cet acte est couramment désigné comme le compromis. Il est l'outil le plus habituel des transactions immobilières. Le propriétaire s'engage à vendre, l'acheteur s'engage à conclure cette même vente. Les effets du contrat sont généralement reportés à la signature de l'acte authentique.
Le compromis vaut vente pour le vendeur comme pour l'acheteur. Mais la loi a aménagé certaines portes de sortie avant la confirmation par acte authentique.
Certes, il est d'usage que les parties conviennent que l'acheteur verse un acompte comme avance sur le prix. Le contrat peut aussi stipuler une clause pénale et/ou une clause de dédit.
Mais chacun sait que l'acheteur non professionnel est protégé contre un excès d'enthousiasme par le droit de rétractation qu'il peut exercer dans le délai de dix jours, selon les conditions et modalités prévues à l'article L271-1 du code de la construction et de l'habitation.
Par ailleurs, l'article 1584 du code civil dispose que « la vente peut être faite purement et simplement, ou sous une condition soit suspensive, soit résolutoire ». L'intérêt de l'une ou l'autre des parties peut donc être assuré par la stipulation dans l'acte de conditions dites suspensives.
Les compromis de vente immobilière conclus sous condition résolutoire sont en réalité peu courants, les exemples qu'on en donne parfois étant en réalité des modalités de condition suspensive.
Le code de la consommation, dans ses dispositions relatives au crédit immobilier, prescrit que l'acte écrit doit indiquer si le prix sera payé, en tout ou partie, avec ou sans l'aide d'un prêt immobilier (article L313-40). Lorsque l'acquéreur déclare recourir à un emprunt, l'acte est obligatoirement conclu sous la condition suspensive d'obtention de ce prêt. La durée de validité de cette condition suspensive ne peut être inférieure à un mois (L313-41). En cas de défaillance de la condition suspensive, les sommes versées par l'acquéreur doivent lui être immédiatement et intégralement remboursées, sans retenue ni indemnité à quelque titre que ce soit (même article).
La nature des conditions suspensives
Usuellement, ces conditions sont nombreuses et diverses et peuvent se rapporter à l'obtention par l'acquéreur d'un financement, ou d'une autorisation d'urbanisme ou d'une autorisation de travaux du syndicat de copropriété, au non-exercice d'un droit de préemption, etc. Elles peuvent être stipulées en faveur de l'acquéreur (le plus souvent), mais aussi en faveur du vendeur ou des deux parties en même temps. Elles sont (de préférence) assorties d'un délai pour leur accomplissement.
La condition, selon la définition générale de l'article 1304 du code civil, est suspensive « lorsque son accomplissement rend l'obligation pure et simple ». Cet accomplissement doit dépendre « d'un événement futur et incertain » et ne peut être potestative, c'est à dire ne dépendant que de la volonté de l'une des parties à l'acte.
Dans le langage du code civil, des tribunaux et des notaires, la condition suspensive est dite accomplie lorsque, par exemple, la condition d'obtention d'un prêt ou d'un permis de construire est satisfaite, ce prêt ou ce permis ayant été obtenu. Elle est dite défaillie dans le cas contraire, par exemple si la demande de prêt présentée dans les conditions spécifiées au compromis n'a pas été acceptée.
En effet, l'article 1304-6 du code civil dispose que « l'obligation (celle de conclure la vente) devient pure et simple à compter de l'accomplissement de la condition suspensive. (…) En cas de défaillance de la condition suspensive, l'obligation est réputée n'avoir jamais existé ».
Lorsque l'acte prévoit un certain délai pour l'accomplissement de la condition, la condition est défaillie si elle ne s'est pas accomplie au terme de ce délai, ou si les démarches prescrites à l'acte dans la perspective d'accomplir la condition n'ont pas été réalisées conformément au calendrier spécifié (Civ, 2ème, 11 mai 2011, n° 10-14.536, Publié). Ce délai conventionnel peut être toutefois prorogé par avenant à l'acte.
A défaut de délai prévu dans l'acte, la condition sera considérée défaillie lorsque, le cas échéant sous le contrôle du juge, il apparaîtra certain qu'elle ne s'accomplira pas (article 1176 du code civil).
La défaillance d'une condition entraîne la caducité de la promesse de vente
Une jurisprudence constante et ancienne veut que la défaillance de la condition suspensive au terme du délai prévu pour sa réalisation, ou son accomplissement après le délai spécifié à l'acte, ont pour effet automatique la caducité de la promesse (Civ, 3ème, 9 mars 2017, n° 15-26.182, Publié ; Civ, 3ème, 29 mai 2013, n° 12-17.077, Publié).
Autrement dit, le contrat est censé n'avoir jamais existé et les sommes versées en exécution de ce contrat doivent être restituées. Cette jurisprudence a été consacrée à l'article 1304-4 du code civil, créé par l'ordonnance de 2016 et applicable à toutes natures de conventions, selon lequel : « une partie est libre de renoncer à la condition stipulée dans son intérêt exclusif, tant que celle-ci n'est pas accomplie ou n'a pas défailli ».
Il est jugé que lorsqu'une promesse de vente prévoit qu'une condition suspensive, stipulée dans l'intérêt exclusif d'une partie, doit être réalisée dans un délai déterminé, cette réalisation ne pourra plus intervenir après la date prévue pour la régularisation de la vente par acte authentique (Civ, 3ème, 29 mai 2013, n° 12-17.077, Publié).
Le renoncement à la condition suspensive
Toutefois, la jurisprudence admet que les parties peuvent renoncer au bénéfice d'une condition suspensive de manière à ne pas encourir la caducité. Mais deux conditions doivent être satisfaites :
En premier lieu, il faut que la condition suspensive ne soit ni accomplie ni défaillie. C'est la lettre de l'article 1304 du code civil venu consacrer une jurisprudence constante. En conséquence, si l'acte prévoit un délai pour l'accomplissement ou la défaillance de la condition, la renonciation n'est opérante que si elle intervient avant le terme de ce délai.
Lorsque l'acte ne prévoit aucun délai pour la réalisation de la condition suspensive, il s'en déduit que les parties sont convenues d'un délai raisonnable, que les juges, éventuellement, seront appelés à fixer (Civ, 3ème, 20 mai 2015, n° 14-11.851, Publié).
En second lieu, pour qu'une partie puisse renoncer valablement à une condition suspensive ou s'en prévaloir, il faut que cette condition ait été stipulée à son bénéfice exclusif (Civ, 3ème, 17 novembre 2009, n° 08-20.721 ; Civ, 3ème, 20 juin 2006, n° 05-12.319).
Lorsqu’une partie entend faire reconnaître en justice la caducité de l'acte ou, au contraire, ses pleins effets, les juges sont donc amenés à déterminer si cette partie est le bénéficiaire exclusif de la condition suspensive, le vendeur ou l'acheteur. Bien entendu, les juges se fondent sur les stipulations du contrat que, si nécessaire, ils interprètent souverainement (Civ, 3ème, 20 avril 2022, n° 21-13.187).
La jurisprudence a posé la règle que l'acquéreur n'a pas d'autre choix que de, soit se prévaloir de la caducité de la promesse ou du compromis, soit d'y renoncer et de poursuivre la vente aux conditions prévues. Il ne peut, par exemple, demander la réalisation forcée de la vente moyennant une réduction du prix (Civ, 3ème, 31 mars 2005, n° 04-11.752, Publié, dans le cas d'une condition suspensive relative à l'absence de servitude sur le fond, défaillie).
La responsabilité d'une partie dans la défaillance d'une condition
Pour que la défaillance d'une condition suspensive puisse entraîner la caducité du compromis de vente, encore faut-il que la partie qui l'invoque ne soit pas personnellement responsable de cette défaillance.
Aux termes de l'article 1304-3 du code civil « la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l'accomplissement ».
Si elle en est responsable, la défaillance de la condition n'entraîne pas la caducité, la vente doit être réitérée par acte authentique. À défaut, la partie responsable pourra être assignée en vente forcée ou pourront être actionnées les stipulations punitives ou compensatoires de l'acte, telles la clause pénale et l'indemnité d'immobilisation versée à la signature du compromis, voire la responsabilité contractuelle de la partie fautive.
Celle des parties qui invoque la défaillance fautive de la condition doit se conformer au principe de bonne foi (Civ, 3ème, 5 octobre 2010, n° 09-16.563) et rapporter la preuve du comportement fautif de l'autre partie (Civ, 3ème, 6 octobre 2010, n° 09-69.914, Publié). Mais, dans la réalité judiciaire, la charge de la preuve est renversée : il appartient à celle des parties dont le comportement fautif est allégué de démontrer qu'elle s'est scrupuleusement conformée à ses obligations contractuelles.
Les juges vont confronter le comportement et les diligences de cette partie aux stipulations de l'acte, entendues généralement de manière littérale (Civ, 3ème, 1er février 2024, n° 22-23.834 ; Civ, 3ème, 23 juin 2010, n° 09-15.939, Publié). Plus ces diligences sont précises, nombreuses et détaillées, plus les risques encourus par l'acquéreur sont importants.
Dans le cas d'une condition suspensive d'obtention d'un prêt bancaire, l'acquéreur doit présenter à l'organisme de crédit une demande de prêt conforme aux caractéristiques spécifiées dans le compromis et il lui incombe de l'établir (Civ, 3ème, 30 janvier 2008, n° 06-21.117, Publié).
Il doit agir dans le délai prévu à l'acte (Civ, 3ème, 13 janvier 1999, n° 97-14.349, Publié).
Il doit solliciter autant d'organismes de crédit que spécifié à l'acte (Civ, 3ème, 4 juillet 2024, n° 22-12.043).
Il doit agir personnellement et ne peut se substituer une autre personne dans la demande de prêt (une SCI par exemple), sauf si la faculté lui en a été ouverte dans l'acte (Civ, 3ème, 27 février 2013, n° 12-13.796, Publié).
Il doit solliciter un prêt à un taux correspondant aux caractéristiques de la promesse de vente (Civ, 3ème, 20 novembre 2013, n° 12-29.021, Publié).
Il a été jugé toutefois que le prêt accordé à un montant inférieur au montant maximal prévu par une promesse de vente est conforme aux stipulations contractuelles (Civ, 3ème, 14 janvier 2021, n° 20-11.224, Publié).
Il doit, dans le délai prescrit par l'acte, justifier de ses diligences en produisant le dossier présenté à l'appui de la demande de prêt ainsi que les réponses ou les attestations des organismes de crédit sollicités (Civ, 3ème, 20 octobre 2021, n° 20-20.264).
Selon une jurisprudence constante, la condition suspensive d'obtention d'un prêt est réputée accomplie dès la délivrance d'une offre ferme et sans réserve caractérisant l'obtention d'un prêt conforme aux stipulations contractuelles. Tel n'est pas le cas lorsque l'attestation n'évoque qu'un accord de principe (Civ, 3ème, 7 novembre 2007, n° 06-17.413, Publié).
Toutefois, la jurisprudence réserve à l'acquéreur peu diligent une étroite issue : sa faute dans la défaillance de la condition suspensive de prêt peut n'être pas caractérisée s'il est en mesure de démontrer que, s'il avait présenté un demande conforme aux caractéristiques stipulées dans la promesse, cette demande aurait été rejetée (Civ, 3ème, 30 janvier 2020, n° 18-25.970 ; Civ, 3ème, 12 septembre 2007, n° 06-15.640 Publié : dans cette affaire, alors que l'acte mentionnait la condition suspensive d'un prêt remboursable sur 15 ans, l'acquéreur avait fait une demande de prêt sur 12 ans, qui avait été rejetée ; cet acquéreur avait été en mesure de produire un document détaillé de la banque, selon laquelle une demande sur quinze ans aurait été pareillement rejetée).
Il va de soi, mais la Cour de cassation a souhaité tout de même l'exprimer, qu'un événement extérieur au comportement de la partie en cause, qui ferait obstacle à la réitération de la vente, tel l'exercice de son droit de préemption par la commune, n'autorise par les juges à décider que l'indemnité d'immobilisation reste acquise au promettant, cet événement n'étant pas imputable au bénéficiaire (Civ, 3ème, 15 décembre 2010, n° 09-15.211, Publié).
La prescription de l'action en restitution des sommes versées lorsque la défaillance des conditions suspensives est intervenue
Par arrêt du 11 juillet 2024 (n° 22-22.058, publié), la Cour de cassation a tranché une hésitation sur le point de départ de la prescription de cette action en paiement.
Aux termes de l'article 2224 du code civil, « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ».
Dans un arrêt du 1er octobre 2020 (n° 19-16.561, Publié), la Cour avait jugé que l'expiration du délai fixé pour la réitération de la vente par acte authentique ouvrait le droit, pour chacune des parties, soit d'agir en exécution forcée de la vente, soit d'en demander la résolution et l'indemnisation de son préjudice, et que le point de départ du délai de prescription était le jour où le titulaire du droit apprenait le refus de son cocontractant d'exécuter son obligation de signer l'acte authentique de vente.
Par analogie, il se déduisait de cette jurisprudence que la prescription de l'action en restitution courait à compter du jour où le créancier apprenait que son débiteur refusait de restituer les fonds.
Mais une telle doctrine était peu conciliable avec la lettre de l'article 2224 du code civil. L'incertitude est désormais levée. Le point de départ du délai de prescription de l'action en remboursement des sommes versées est le jour où la condition suspensive a défailli, ce dont il découlait en application de l'article L313-41 du code de la consommation évoqué plus haut, que ces sommes étaient remboursables sans délai.
Le sort de l’agent immobilier en cas de défaillance d'une condition suspensive
Aux termes de l'article 6 de la loi Hoguet du 2 janvier 1970, aussi longtemps que la vente n'est pas conclue par acte définitif constatant l'accord des parties, l’agent immobilier n’a pas droit aux honoraires stipulés dans son mandat.
Tel est la situation dans le cas d'une promesse unilatérale de vente qui ne comporte pas l'engagement du bénéficiaire d'acquérir, et d'un compromis comportant des conditions suspensives dont l'accomplissement n'a pas été constaté par la réitération de la vente.
Toutefois, si la partie bénéficiaire de la condition suspensive en a empêché l'accomplissement par sa faute (article 1304-3 du code civil), l'agent immobilier peut prétendre à des dommages et intérêts du fautif, soit de son mandant sur le fondement de la responsabilité contractuelle (Civ, 1ère, 1er décembre 1987, n° 84.17.276, Publié), soit de l'autre partie qui n'est pas le débiteur des honoraires, sur le fondement de la responsabilité délictuelle (Assemblée Plénière, 9 mai 2008, n° 07-12.449, Publié ; Civ, 1ère, 18 décembre 2014, n° 13-23.178).
Camille Terrier
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