Cassation 3ème Civile 16 novembre 2023 n° 22-19422 Publié
Le litige est très banal.
Des locataires, après avoir quitté les lieux, réclame la restitution du dépôt de garantie. Le bailleur refuse en invoquant des désordres locatifs. Par jugement du 25 mars 2022, rendu en dernier ressort, le tribunal judiciaire d'Orléans fait droit à la demande des locataires et condamne bailleur à leur restituer le dépôt de garantie, augmenté des majorations de retard.
En l'absence d'un état des lieux de sortie, le tribunal judiciaire a retenu qu'étaient avérés certains des désordres affectant le jardin et qu'alléguait le bailleur, mais que la production d'une seule facture globale de remise en état ne lui permettait pas d'évaluer le montant du préjudice.
Une telle motivation du tribunal était erronée et méconnaissait l'office du juge. Selon une jurisprudence ancienne et constante, le refus du juge d'évaluer un préjudice dont il constate la réalité dans son principe est assimilable au déni de justice de l'article 4 du code civil (notamment, Civ, 3ème, 25 mai 2023, n° 21-20643 Publié ; Civ, 1ère, 8 février 2023, n° 21-24991). C'était donc le moyen soumis à la Cour de cassation par le pourvoi du bailleur.
La Cour ne conteste pas le bien-fondé de ce moyen mais le rejette tout de même au motif que, quoiqu'il en soit, le bailleur ne justifiait d'aucune de ses demandes puisqu'il ne produisait pas un état des lieux de sortie établi conformément aux prescriptions légales. Il ne pouvait donc pas obtenir la réparation des dégradations locatives. La Cour, comme l'y autorise l'article 620 du code de procédure civile, peut en effet rejeter un pourvoi si elle est en mesure de substituer à un motif erroné, un motif de pur droit qui justifie la décision contestée.
Il résultait des énonciations du jugement que le bailleur, qui connaissait la date de départ des locataires, n'avait pris aucune mesure pour établir un état des lieux amiable et contradictoire, et n'avait pas davantage fait appel à un commissaire de justice. L'état des lieux qu'il avait soumis au juge n'avait été établi que par ses soins.
1. Il incombe au bailleur de justifier des sommes qu'il entend retenir sur le montant du dépôt de garantie (Civ, 3ème, 15 février 2012, n° 11-13014 Publié), comme bien entendu de toute autre créance qu'il alléguerait.
Aux termes de l'article 3-2 de la loi 6 juillet 1989, l'état des lieux obligatoire d'entrée ou de sortie est établi, lors de la remise ou de la restitution des clés, contradictoirement et amiablement par les parties ou par un tiers mandaté par elles. À défaut de pouvoir l'être ainsi, cet état des lieux est établi par huissier de justice, à l'initiative de la partie la plus diligente, à frais partagés par moitié entre le bailleur et le locataire et à un coût fixé voie réglementaires.
Selon une jurisprudence constante, un constat établi par huissier de justice, même non contradictoirement dressé, vaut comme preuve dès lors qu'il a été régulièrement communiqué et soumis à la libre discussion des parties (par exemple, Civ, 3ème, 3 décembre 2020, n° 19-20790 ; Civ, 3ème, 12 janvier 2017, n° 15-23083 ; Civ, 1ère, 31 mai 2007, n° 06-10080 ; Civ, 1ère, 12 avril 2005, n° 01-15507 Publié).
Au demeurant, un état des lieux établi contradictoirement n'est pas une preuve irréfragable de l'état des locaux mais peut être contesté par une preuve contraire (Civ, 3ème, 23 mai 2002 n° 00-13144, Publié).
Le code civil, à l'article 1731, dispose que « s'il n'a pas été fait d'état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives... ». A défaut de preuve contraire, le locataire doit alors les rendre dans le même état, sous réserve de ce qui a pu survenir par vétusté ou force majeure (article 1730 du même code, par exemple Civ, 3ème, 23 janv. 2007, n° 05-21.232). Mais, ajoute l'article 3-2 de la loi du 6 juillet 1989, cette présomption ne peut être invoquée par celle des parties qui a fait obstacle à l'établissement de l'acte ou à sa remise à l'une des parties.
2. Au départ du locataire, la loi et la jurisprudence mettent à la charge du bailleur une obligation de diligence minimale. Par exemple, un bailleur ne saurait se prévaloir d'un état des lieux établi plus de deux mois après la libération des lieux, alors que ce bailleur avait été informé par le congé de la date de cette libération (Civ, 3ème, 5 février 2014, n° 13-10804, Publié).
Au nombre de ces diligences, figure l'obligation d'établir un état des lieux contradictoire et, à défaut, celle de recourir à un huissier de justice. Ce que dit l'arrêt commenté, qui se déduit des textes et des principes applicables, mais que la Cour de cassation n'avait pas encore eu l'occasion de dire aussi nettement, c'est « qu'un état des lieux de sortie établi unilatéralement par le bailleur, sans recours à un commissaire de justice, et dont le défaut de contradiction est dû à sa carence, ne peut faire la preuve de dégradations imputables au locataire ».
Le bailleur doit donc en premier lieu, s'il a été informé de la date de départ de ses locataires, tout tenter pour établir un état des lieux amiable et contradictoire, et il doit pouvoir en justifier devant le juge le cas échéant saisi. En second lieu, ce n'est que si ces efforts ont été vains, qu'il peut valablement confier à un huissier de justice le soin d'établi cet état des lieux, qu'il devra communiquer à l'ancien locataire.
Si l'une de ces diligences manque, le bailleur ne sera pas admis à rapporter, par d'autres moyens, la preuve des dégradations locatives dont il se plaint.
En revanche, si le locataire n'a communiqué au bailleur aucun moyen de le joindre après son départ, ou si, informé des date et heure de l'état des lieux, il s'abstient, sans motif légitime, d'y prendre part, l'état des lieux, par suite établi par huissier de justice, sera recevable comme preuve et opposable au locataire (pour un précédent non publié Civ, 3ème, 17 mars 2016, n° 14-15325).
3. On notera qu'en bail commercial, la loi Pinel du 18 juin 2014 a rendu obligatoires les états des lieux d'entrée et de sortie et posé pour leur réalisation, des règles analogues à celles de la loi du 6 juillet 1989 (article L145-40-1 du code de commerce). Les règles énoncées dans l'arrêt commenté sont applicables.
S'agissant des baux professionnels, l'article 57 B de la loi 23 décembre 1986, créé par la même loi Pinel, a posé des règles identiques.
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