1. En principe, le loyer du bail renouvelé ou révisé doit correspondre à la valeur locative, laquelle est déterminée, sauf convention contraire des parties,
par
1) Les caractéristiques du local considéré,
2) La destination des lieux,
3) Les obligations respectives des parties,
4) Les facteurs locaux de commercialité,
5) Les prix couramment pratiqués dans le voisinage (article L145-33 du code de commerce et R145-2 et suivants du même code).
Toutefois, l’article L145-34 du code de commerce soumet la variation du loyer applicable lors de la prise d’effet du bail commercial renouvelé à la règle du plafonnement (si la durée du bail initial n’est pas supérieure à 9 ans ou si, par l’effet d’une tacite reconduction, elle n’excède pas 12 ans). Par l'effet du plafonnement, le montant du nouveau loyer ne peut excéder la variation de l'indice trimestriel applicable (indice des loyers commerciaux ou indice des activités tertiaires). Les baux emphytéotiques ne sont pas concernés, ni les baux relatifs à des locaux à usage de bureaux.
Mais la règle du plafonnement est écartée en cas de modification notable, au cours du bail à renouveler, d'un ou de plusieurs des quatre premiers éléments de la valeur locative mentionnés à l'article L145-33 :
Les caractéristiques du local considéré,
La destination des lieux,
Les obligations respectives des parties,
Et les facteurs locaux de commercialité.
Dans ce cas, le loyer du bail renouvelé est fixé selon la valeur locative, telle qu'elle résulte de ces modifications. Toutefois, la loi Pinel du 18 juin 2014 est venue limiter l'ampleur de l'augmentation à 10% du loyer acquitté au cours de l'année précédente (c'est le plafonnement du déplafonnement, comme on l'a dit, article 145-34, dernier alinéa du code de commerce).
Par ailleurs, s'agissant de la révision triennale du loyer, l’article L145-38 stipule que la variation du loyer ne peut excéder celle de l’indice, à moins que ne soit rapportée la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative (notamment Civ, 3ème, 20 mai 2015, n° 13-27367 Publié).
Le retour à la valeur locative peut entraîner aussi bien une augmentation du loyer qu'une baisse de ce loyer lorsque cette valeur locative est inférieure au loyer en cours. Pour la fixation du loyer révisé, cette baisse peut être subordonnée à la preuve d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité défavorable à l'activité commerciale, mais non pour la fixation du loyer du bail renouvelé, celui-ci étant un nouveau bail.
2. Aux termes de l'article R145-6 du code de commerce, les facteurs locaux de commercialité dépendent principalement de l’intérêt que présentent pour le commerce considéré :
La ville, le quartier ou la rue,
Le lieu de son implantation,
La répartition des diverses activités dans le voisinage,
Les moyens de transport,
L’attrait particulier de l’emplacement du commerce ou des sujétions qui s’y attachent,
Les modifications durables ou provisoires de ces éléments.
Seuls les éléments survenus au cours du bail expiré peuvent être pris en considération, et non pas ceux antérieurs au bail expiré, ni ceux à venir, aussi certains ou inéluctables qu'ils paraissent.
L'article 145-38 mentionne la nécessité d'une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité. Cette notion exclut en particulier tout comparatif avec les loyers pratiqués dans le voisinage. Une baisse de son loyer commercial obtenue par un concurrent ne peut être retenue comme une modification des facteurs locaux de commercialité (Civ, 3ème, 25 octobre 2018, n° 17-22129 Publié : « ne constitue pas une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, au sens de l'article L. 145-38 du code de commerce, la modification en faveur d'entreprises concurrentes, intervenue entre la date de la fixation du loyer et celle de la demande de révision, de conventions auxquelles le bailleur et le locataire sont tiers... ».
Bien entendu, la preuve de l'évolution notable des facteurs locaux de commercialité doit être rapportée par celui qui l'invoque (Civ, 3ème, 21 décembre 2017, n° 16-24817).
3. Pour qu'une modification des facteurs locaux de commercialité puisse entraîner le déplafonnement du loyer du bail renouvelé ou révisé, les juges doivent en premier lieu relever son caractère notable.
Notamment : Civ, 3ème, 6 novembre 2001, n° 00-17967 (« qu’en statuant ainsi, sans constater le caractère notable de cette modification, la cour d’appel a violé... »). C'est là, pour les juges, les experts et les avocats une prescription de méthode. Pour autant, les juges des cours et tribunaux apprécient souverainement l’existence ou non d'une modification des facteurs locaux de commercialité et son caractère notable. Cette appréciation échappe donc au contrôle de la Cour de cassation, selon une jurisprudence ancienne et constante.
En second lieu, il faut encore que les juges du fond recherchent, au besoin d’office, en quoi la modification notable des facteurs locaux de commercialité affecte spécifiquement et favorablement l'activité du fonds de commerce en cause. Il peut arriver, en effet, qu'une évolution indiscutable des facteurs locaux de commercialité n'ait pas d'effet significatif sur l'activité du fonds de commerce considéré. L'arrêt de cour d'appel qui s'abstient de conduire cette recherche devra être annulé (Civ, 3ème, 14 septembre 2017, n° 16-19409 ; Civ, 3ème, 13 juillet 2011, n° 10-30870 ; Civ, 3ème, 7 avril 2004, n° 02-17946 Publié).
En l'absence d'une incidence favorable sur l'activité commerciale exercée dans les locaux loués, cette modification notable des facteurs locaux de commercialité ne peut être un motif de déplafonnement (jurisprudence aujourd'hui constante, notamment Civ, 3ème, 14 septembre 2011, n° 10-30825 Publié ; Civ, 3ème, 9 juillet 2008 n° 07-16605 Publié).
Les exemples de décisions jurisprudentielles dans un sens ou l'autre sont nombreux. Il est possible de citer un arrêt Civ, 3ème, 16 Juillet 1998, n° 96-13772 Publié : « ... la cour d’appel qui a souverainement retenu qu’à supposer que la rue de Charenton ait connu au cours du bail expiré une évolution notable des facteurs locaux de commercialité, il n’apparaissait nullement que cette évolution ait pu avoir une incidence significative sur le commerce de miroiterie considéré, exercé, dans le respect de la destination contractuelle, a décidé à bon droit qu’il n’y avait pas lieu à déplafonnement du loyer ».
Ou encore, il a été jugé que l'accroissement de la population d'un quartier du fait d'importants travaux de rénovation d'immeubles, n'avait eu aucune incidence sur l'activité d'un commerce de gros et demis-gros (Civ, 3ème, 8 janvier 1997, n° 94-21483 Publié).
En revanche un accroissement de la population locale pourra avoir une incidence favorable sur une activité de vente à emporter, snack-bar, débit de tabac, presse, loto et jeux (Civ, 3ème, 13 avril 2022, n° 19-24068) comme, d'ailleurs, pour tout commerce de proximité.
L'examen des juges doit être précis et concret. Il ne leur suffirait pas de dire que les aménagements du centre historique de la ville sont favorables à l'activité de restauration. Ils devraient aussi préciser en quoi ces aménagements peuvent concerner le fonds de commerce concerné de restauration (Civ, 3ème, 30 juin 2004, n° 03-10754 Publié). On peut concevoir qu'une évolution qui serait favorable à une activité de vente de plats à emporter n'aurait aucune incidence notable pour un restaurant gastronomique réputé.
On peut encore citer à titre d'exemples :
Civ, 3ème, 13 octobre 2021, n° 20-12901 Publié : l'autorisation municipale accordée au cours du bail expiré d'étendre la terrasse sur le domaine public d'un restaurant-bar-brasserie contribue au développement de l'activité commerciale et peut constituer, par là même, un motif de déplafonnement.
Civ, 3ème, 12 mai 2016, n° 15-13929 : « qu'ayant relevé que, malgré la disparition d'hôtels transformés en résidences ou en copropriété, la construction de six cent quarante-deux logements, au cours du bail expiré, à proximité du commerce considéré (de restaurant, bar, glacier), avait constitué une modification notable des facteurs locaux de commercialité de nature à avoir une incidence favorable sur l'activité commerciale exercée par le preneur dès lors que cette modification avait généré une nouvelle clientèle de touristes étrangers financièrement aisés, la cour d'appel (...) a légalement justifié sa décision (de dire y avoir lieu à déplafonnement) ».
Civ, 3ème, 1er juillet 2015, n° 14-13056 Publié : « … qu'ayant constaté que depuis 1996 le port d'Ajaccio avait été aménagé pour recevoir davantage de bateaux de croisière, que le palais des congrès avait été implanté près de la gare maritime, que la zone piétonne, terminée en 2001, concernait principalement la rue Fesch, à l'angle de laquelle se situait le commerce considéré et relevé que l'incidence de ces aménagements sur la fréquentation de ce commerce était indéniable, la cour d'appel, qui a retenu que la modification des facteurs locaux de commercialité était notable, en a , à bon droit, déduit que le loyer devait être fixé à la valeur locative ».
Civ, 3ème, 17 décembre 2013, n° 12-25073 : « … qu'ayant relevé que, durant la période de référence, la population de la commune de Cassis n'avait connu qu'une très légère hausse de 0, 43 %, que l'augmentation de la population des communes limitrophes était sans incidence sur le commerce considéré, que l'augmentation du nombre de logements sur la commune de Cassis était tempérée par une diminution du nombre moyen d'occupants par logement, et que l'augmentation du nombre de touristes s'accompagnait d'une baisse de la durée des séjours, la cour d'appel (...) a pu en déduire qu'il n'y avait pas lieu à déplafonnement ».
Civ, 3ème, 18 septembre 2012, n° 11-22348 : « … qu'ayant relevé que, durant la période de référence, la population de la commune de Cassis n'avait connu qu'une très légère hausse de 0, 43 %, que l'augmentation de la population des communes limitrophes était sans incidence sur le commerce considéré, que l'augmentation du nombre de logements sur la commune de Cassis était tempérée par une diminution du nombre moyen d'occupants par logement, et que l'augmentation du nombre de touristes s'accompagnait d'une baisse de la durée des séjours, la cour d'appel, qui a souverainement retenu l'absence de modification notable des facteurs locaux de commercialité et sans être tenue de procéder à des recherches qui ne lui étaient pas demandées, a pu en déduire qu'il n'y avait pas lieu à déplafonnement ».
L'appréciation reste objective. Il importerait peu qu'une modification notable des facteurs locaux de commercialité ayant eu une incidence favorable sur le commerce considéré ne se soit pas traduite par un accroissement du chiffre d'affaires de ce commerce. Un défaut d'industrie du locataire ne peut faire obstacle à l'application des principes légaux. La stagnation du chiffre d'affaires n'empêche donc pas que le déplafonnement du loyer soit légalement justifié (Civ, 3ème, 11 décembre 1996, n° 95-12169 Publié ; Civ, 3ème, 12 juin 2001, n° 00-13064).
Cependant, une cour d’appel peut se référer à l’évolution du chiffre d’affaires du preneur pour y voir la confirmation d’une évolution notable des facteurs locaux de commercialité favorable au commerce considéré et caractérisée par ailleurs : Civ, 3ème, 1er mars 2000, n° 98-15909). À l'inverse, le juge peut voir dans une dégradation du chiffre d'affaires la confirmation que l'évolution notable des facteurs locaux de commercialité ne pouvaient avoir d'impact favorable sur le commerce en cause (Civ, 3ème, 17 juin 2014, n° 13-15559).
4. Aux termes de l'article L145-35 du code de commerce, les litiges relatifs au loyer du bail renouvelé ou révisé peuvent être soumis à la commission départementale de conciliation composée de bailleurs et de locataires en nombre égal et de personnes qualifiées. Cette commission dispose d'un délai de trois mois pour concilier les parties, au terme duquel elle se trouve dessaisie.
Cette saisine n'est pas un préalable obligatoire à peine d'irrecevabilité de la saisine du juge (Civ, 3ème, 10 mars 2010, n° 09-10344 Publié). Elle n'a d'ailleurs pas d'effet interruptif de la prescription (Civ, 3ème, 18 février 1998, n° 96-14525 Publié).
Toutefois, si la juridiction est saisie parallèlement à la commission, elle ne peut statuer tant que l'avis de la commission n'est pas rendu.
Si un accord est obtenu devant la commission de conciliation et signé par les parties, il revêt une portée obligatoire et aucune de ces parties ne saurait refuser de signer le bail (Civ, 3ème, 14 juin 1995, n° 93-14769 Publié).
5. Les juges statuent généralement sur une demande de fixation du loyer d'un bail renouvelé ou révisé au vu d'une expertise. Il n'est pas impossible que cette expertise ait été établie amiablement (ou officieusement) et de manière non contradictoire, dès lors que le rapport est soumis à la libre discussion des parties (Civ, 3ème, 15 novembre 2018, n° 16-26172 Publié). Cependant, sans manquer au principe de l'égalité des armes, le juge ne saurait fonder sa décision exclusivement sur une expertise non contradictoire établie à la demande de l'une des parties (Ch. Mixte, 28 septembre 2012, n° 11-18710 Publié ; Civ, 3ème, 3 février 2010, n° 09-10631 Publié).
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