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Les différents régimes juridiques possiblement applicables aux logements de fonction


L'article 2 de la loi du 6 juillet 1989 énonce que les dispositions du titre 1 de la loi, consacrées aux rapports entre bailleurs et locataires de leur résidence principale, sont d'ordre public mais ne s'appliquent pas, notamment, « aux logements attribués ou loués en raison de l'exercice d'une fonction ou de l'occupation d'un emploi et aux locations consenties aux travailleurs saisonniers, à l'exception de l'article 3-3, des deux premiers alinéas de l'article 6, de l'article 20-1 et de l'article 24-1 ».

 

Les dispositions du titre 1 de la loi du 6 juillet 1989 qui, par exceptions, s'appliquent aux logements de fonction et aux locations saisonnières sont : a) l'obligation de remise d'un dossier de diagnostic technique, annexé au contrat de location (article 3-3 de la loi), b) l'obligation de délivrance d'un logement décent (article 6), et c) les dispositions légales relatives aux processus de conciliation en cas de litige locatif.

 

La notion générale de logement de fonction peut inclure en pratique différents types d'usages et de contrats.




1. Le bail mobilité d'un logement meublé, créé par la loi ELAN du 23 novembre 2018, et traité par les articles article 25-12 et suivants de la loi du 6 juillet 1989, toutes les règles légales énoncées étant d'ordre public


Il s'agit d'un bail consenti à des étudiants, des personnes en mobilité ou en formation professionnelle, des travailleurs saisonniers ou intérimaires, l'énumération de la loi étant limitative et le logement étant alors, indifféremment, leur résidence principale ou une résidence secondaire.

 

Aux termes de l'article 25-12 précité, ce statut n'est applicable que si le locataire justifie être, à la date de la prise d'effet du bail, en formation professionnelle, en études supérieures, en contrat d'apprentissage, en stage, en engagement volontaire dans le cadre du service civique, en mutation professionnelle ou en mission temporaire dans le cadre de son activité professionnelle.

 

Le logement doit être meublé, selon la définition de l'article 25-4 de la loi du 6 juillet 1989 et les dispositions du décret n° 2015-981 du 31 juillet 2015. A défaut du respect de ces prescriptions réglementaires, le juge peut requalifier le contrat en bail en bail d'habitation de droit commun.

 

Le local loué doit aussi être un logement décent, selon les règles légales et les normes réglementaires applicables, et sous peines des sanctions énoncées par l'article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989 (mise en conformité des lieux, réduction ou suspension du loyer, etc).

 

Le bail est conclu pour une période de 1 à 10 mois maximum, il ne peut être ni renouvelé ni reconduit, sauf dans cette limite maximum de 10 mois. En cas de manquement à cette règle, le bail peut être requalifié en bail meublé pour une résidence principale.

 

Un congé n'est pas requis à l'échéance. Le locataire peut donner congé à tout moment avec un préavis d'un mois. Le bailleur le peut aussi à condition de faire valoir un motif légitime, telle une faute du locataire.

 

Le bailleur ne peut pas recevoir un dépôt de garantie. En revanche, il peut exiger un cautionnement, en particulier la garantie Visale Action Logement si le locataire y est éligible. Le loyer est librement fixé mais il ne peut être révisé en cours de bail et se trouve soumis à l'encadrement des loyers dans les zones concernées.  Les charges locatives sont obligatoirement forfaitisées. Les clauses de solidarité entre colocataires sont prohibées.

 

La commission départementale de conciliation n'est pas compétente pour l'examen d'un litige relatif à un bail mobilité.

 

La location d'un local d'habitation selon le bail mobilité ne constitue pas un changement d'usage et ne requiert donc pas une autorisation administrative préalable (Civ, 3ème, 18 février 2021, n° 19-11577).


2. Dans certaines circonstances, le bail saisonnier, ou meublé de tourisme, permet de mettre à la disposition d'un salarié un logement dit de fonction


La location dite saisonnière d'un local d'habitation recouvre différents types d'hébergement (meublé de tourisme, chambres d'hôtes, gîtes ruraux, habitations légères de loisir, emplacements de camping), et est définie légalement comme la location à une clientèle de passage d'un local meublé, pour une période de temps limitée et définie à la nuitée, à la semaine ou au mois. Le locataire n'élit pas domicile dans les lieux loués.

 

La loi Hoguet du 2 janvier 1970 limite à une période de 90 jours consécutifs et non renouvelable la durée d'une location saisonnière conclue par l'entremise d'un agent immobilier. S'agissant des seuls meublés de tourisme, la durée de la location à une même personne est limitée à 120 jours par an.

 

En effet, ces locaux ne peuvent pas constituer la résidence principale du preneur. Or, la loi du 6 juillet 1989, dans son article 2, définit la résidence principale comme le logement occupé au moins 8 mois par an par le preneur ou son conjoint ou par une personne à charge. La loi fait toutefois réserve des obligations professionnelles, des raisons de santé et des cas de force majeures.

 

Le contrat de location saisonnière est régi par les dispositions du code civil (articles 1709 et suivants). Mais d'autres dispositions légales et réglementaires, en particulier du code de l'urbanisme, du code de la construction et de l'habitation et du code du tourisme, sont applicables qui visent à protéger le locataire considéré plutôt comme un consommateur que comme le titulaire d'un droit au logement. Ces dispositions se rapportent notamment à l'équipement des lieux loués, quand bien même les critères habituels de décence ne sont pas applicables. Ces équipements sont très proches de ceux requis pour une location meublée à titre de résidence principale. Toutefois, les obligations préalables d'information du locataire sur les performances et les risques du logement sont réduites par rapport au droit commun.

 

L'offre à la location d'un meublé de tourisme implique une déclaration préalable auprès de la mairie de la commune (article L324-1-1 du code de tourisme). Conformément aux articles L631-7 et suivant du code de la construction et de l'habitation et dans les communes concernées, le changement d'usage du local d'habitation est soumis à l'autorisation préalable du maire de la commune.

 

La requalification par le juge d'un bail prétendu saisonnier en bail d'habitation de la loi du 6 juillet 1989 est encourue lorsque l'habitation constitue en réalité le domicile principal des locataires, le juge appréciant souverainement la portée des éléments d'appréciation qui lui sont soumis. La requalification rétroagit à la date du premier contrat. Dans la limite toutefois de la prescription triennale posée à l'article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989, le bénéficiaire de la requalification peut obtenir une révision à la baisse du loyer contractuel.


3. Le commodat


Un employeur a parfois recours au commodat, ou prêt à usage, d'un logement pour loger un salarié. Le commodat est régi par les articles 1875 et suivants du code civil. L'institution revêt une certaine souplesse, en particulier quant à la date et aux modalités de l'expiration du prêt.

 

Toutefois, le principe selon lequel le prêt est essentiellement gratuit (article 1876) peut, dans certaines circonstances, susciter le risque d'une requalification en bail d'habitation. Une quelconque contrepartie à l'occupation des locaux, en numéraire ou en nature, peut suffire à exclure la qualification de commodat.

 

La jurisprudence a pu cependant admettre que la mise à disposition du gardien d'un centre commercial d'une loge pour habiter, ne constituait pas la contrepartie d'un travail, n'avait pas de caractère onéreux et constituait un prêt à usage auquel le propriétaire pouvait mettre un terme selon les seules règles du commodat (Civ, 3ème, 22 mars 2018, n° 16-26150). Cet arrêt, non publié, a cependant tous les caractères d'un arrêt d'espèce et il serait aventureux d'y voir une évolution libérale de la jurisprudence généralement rigoureuse sur le caractère par essence gratuit du prêt à usage.


4. Le bail consenti à une société (ou bail société), laquelle, soit mettra le logement à la disposition d'un membre de son personnel pour des séjours temporaires, soit procédera à sa sous-location pour une occupation plus durable


Les baux consentis à des personnes morales sont exclus du champ de la loi du 6 juillet 1989. Un tel bail est donc soumis aux dispositions du code civil (articles 1708 et suivants). Cependant, les parties peuvent convenir du contraire.


L'occupant est sous-locataire, le sous-bail relevant aussi des dispositions du code civil dès lors que les locaux ne servent pas à l'habitation principale du collaborateur, ou se trouvant soumis aux dispositions de la loi du 6 juillet 1989, dans le cas contraire.

 

Un tel bail comporte pour le propriétaire d'importants avantages en termes de liberté contractuelle et de souplesse, de sécurité et de rentabilité. Il est cependant recommandé au bailleur de vérifier la situation financière de la société, ainsi que la capacité de son représentant à signer le bail et engager la personne morale.


5. Le bail consenti par l'employeur, personne morale, accessoirement au contrat de travail


Un employeur, le plus souvent une grande entreprise ou institution, peut mettre à la disposition d'un salarié, généralement pour la durée du contrat de travail, un logement qui lui appartient.

 

L'occupation du logement doit cesser au terme du contrat de travail, sauf si l'employeur-propriétaire et bailleur accepte de consentir à son ancien salarié un bail d'habitation régi par la loi du 6 juillet 1989.

Il est jugé de manière constante que lorsque le contrat de travail se termine par le décès du salarié, son conjoint ou partenaire pacs bénéficie, dans les conditions de l'article 1751 du code civil qui est d'ordre public, de la cotitularité du bail si le logement est à usage exclusif d'habitation (Civ, 3ème, 10 janvier 2007, n° 05-19914 ; Civ, 3ème, 6 avril 2023, n° 21-17888). Ainsi, la stipulation d'un bail de logement de fonction, selon laquelle la cessation du contrat de travail entraîne sa résiliation, ne peut faire obstacle au droit légal de maintien dans les lieux du conjoint.

 

La question du droit au logement de fonction a suscité un contentieux relativement abondant.

 

Aux termes de l'article L7211-2 du code du travail définit les concierges, employés d'immeubles, femmes ou hommes de ménage d'immeuble à usage d'habitation, comme ceux qui, logeant dans l'immeuble au titre d'accessoire au contrat de travail, sont chargés d'en assurer la garde, la surveillance et l'entretien ou une partie de ces fonctions.

 

La convention collective qui régir ces professions se réfère à ce texte dont il se déduit que l'employeur d'un salarié engagé au titre du régime légal des concierge doit assurer son logement dans l'immeuble où il exerce ses fonctions, même si le contrat de travail ne le prévoit pas. Dans les litiges qui peuvent opposer les syndicats de copropriétaires à leurs salariés, les juridictions veillent au respect de l'obligation conventionnelle de fournir à ces salariés un logement de fonction (par ex. Cass Soc, 12 décembre 2012, n° 11-20653, Publié).

 

En revanche, hors le cas particulier de ces professions, si le contrat de travail ne prévoit pas la mise à disposition du salarié d'un logement de fonction, et qu'au surplus l'employeur n'est pas le bailleur et que le bail ne se réfère pas au contrat de travail, le salarié, en dépit de circonstances particulières, ne pourra pas valablement soutenir que le logement loué est un accessoire gratuit de son contrat de travail (Civ, 3ème, 6 mai 2021, n° 20-10869).

 

Le maintien du salarié dans les lieux après la cessation de son contrat de travail est aussi une cause fréquente de contentieux. Lorsque, tardivement, l'employeur s'avisera de récupérer le logement de fonction, il pourra se voir opposer la novation du bail en bail d'habitation de la loi du 6 juillet 1989. Souvent, la question se pose après que le salarié ait fait valoir ses droits à la retraite.

 

En principe, la novation contractuelle ne se présume pas, la volonté de l'opérer doit résulter clairement d'un acte (article 1330 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 10 février 2016).  Usuellement, la personne se maintient dans les lieux au seul bénéfice d'une tolérance plus ou moins explicite. Le sort du litige tient alors beaucoup aux circonstances de fait. Si l'occupant est maintenu dans les lieux plusieurs années après la fin du contrat de travail, que des quittances de loyers lui sont ponctuellement remises et que des régularisations de charges interviennent sans autres observations du propriétaire, les juges pourront retenir l'existence d'un accord des parties sur un bail de droit commun faisant suite au bail de logement de fonction (par exemple : Civ, 3ème,  23 septembre 2014, n° 13-14958). A tout le moins, les juges vont rechercher les différents indices qui, ensemble et dans les faits, traduiront l'intention de nover.

 

Enfin pour récupérer un logement de fonction après la cessation du contrat de travail, l'employeur dispose, selon une jurisprudence constante, de la faculté de délivrer congé à l'échéance du bail pour motif grave et légitime, lequel est, aux termes de l'article 15 de la loi du 6 juillet 1989, l'un des trois motifs légaux de congé au locataire de son habitation principale.

 

Le logement doit alors être attribué comme logement de fonction à un autre salarié (Civ, 3ème, 7 février 1996, n° 93-20135 Publié ; Civ, 3ème, 4 février 1997, n° 95-11878 ; Civ, 3ème, 4 juillet 2001, n° 99-19905).


6.  Le régime légal particulier des baux d'habitation consentis par l'Assistance publique-hôpitaux de Paris, des Hospices civils de Lyon et de l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille


La  loi du 6 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, pour renforcer l'attractivité des métiers de santé dans les grandes agglomérations, a prévu que les baux consentis par les seuls établissements publics de santé de Paris, Lyon et Marseille, à leurs personnels à raison de l'exercice d'une fonction ou de l'occupation d'un emploi, seraient soumis à un régime spécifique, inscrit à l'article 14-2 de la loi du 6 juillet 1989, texte d'ordre public comme toutes les dispositions du titre 1 de cette loi.

 

La loi confère aux trois établissements publics de santé concernés un véritable droit unilatéral d'éviction de leurs locataires, soit à l'échéance du bail, soit en cours de ce bail, sans devoir en attendre l'échéance. Mais une telle prérogative, totalement exorbitante du doit commun et contraire aux principes et objectifs de la loi sur les baux d'habitation à titre principal, ne peut être mise en œuvre que pour réattribuer le logement à un autre agent des services de santé géré par ces bailleurs, lui-même demandeur d'un logement.

 

Ainsi, le texte dispose que la résiliation du bail prononcée par le bailleur ne peut « produire effet avant l'expiration d'un délai de six mois à compter de la notification de sa décision par l'un des établissements publics de santé susmentionnés à l'occupant. Cette décision comporte le motif de la résiliation et la nature des fonctions occupées par la ou les personnes auxquelles le bailleur envisage d'attribuer ou de louer le logement ».

 

Le texte de l'article 14-2 énonce encore que dans le cas où le logement n'est pas loué à l'une des personnes mentionnées dans la notification de la résiliation de son bail au locataire, l'établissement public de santé bailleur est tenu, si ce locataire le demande, de conclure avec ce dernier un nouveau contrat de location pour une durée de six ans, conformément aux dispositions de l'article 10 de la loi du 6 juillet 1989.

L'article 137 de la loi du 26 janvier 2016 précise que le nouvel article 14-2 de la loi du 6 juillet 1989 « est applicable aux contrats de location en cours à la date de publication de la présente loi. La notification de la décision de l'établissement public de santé concerné doit alors intervenir dans un délai de huit mois avant la date d'effet de la résiliation. Le locataire qui répond aux conditions de ressources annuelles équivalentes ou inférieures au plafond prévu pour les prêts locatifs sociaux, mentionné au III de l'article 15 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs et portant modification de la loi n° 86-1290 du 23 décembre 1986, titulaire d'un contrat de location à la date de publication de la présente loi, n'est pas concerné par les présentes dispositions ».

Autrement dit, le préavis de six mois à compter de la notification de la décision de l'établissement public, n'est applicable qu'aux baux conclus après l'entrée en vigueur de la loi du 26 janvier 2016. Les locataires dont les baux sont antérieurs à cette entrée en vigueur bénéficient d'un préavis de huit mois.

En outre, le bailleur établissement public ne peut mettre en œuvre sa prérogative d'éviction à l'égard d'un locataire dont les revenus sont inférieurs au plafond mentionné dans la loi.

Un arrêt de la cour d'appel de Paris, Pôle 4, chambre 4 du 16 novembre 2021 n° 19/10524 a aussi admis que le nouvel article 14-2 n'interdit pas aux établissements publics de santé de donner congé à l'échéance du bail sur le fondement du motif légitime et sérieux de l'article 15-I de la loi du 6 juillet 1989. Cet arrêt retient en outre que si l'établissement public de santé agit avant l'échéance du bail, il doit se fonder sur l'article 14-2, mais s'il agit à l'échéance du bail, il doit donner congé sur le fondement du motif légitime et sérieux de l'article 15-I. Toutefois, cette doctrine manque de logique : le locataire serait moins protégé en cours de bail qu'à l'échéance...

 

Saisi par la Cour de cassation (Civ, 3ème, 16 janvier 2018, n° 17-40059), le Conseil constitutionnel, par décision n° 2018-697 QPC du 6 avril 2018, a jugé que le  nouvel article 14-2 de la loi du 6 juillet 1989 est conforme à la Constitution sous cette réserve, que la loi ne mentionne pas que les établissement publics ne peuvent pas mettre en œuvre ces prérogatives exorbitantes à l'égard d'agents qui sont en activité pour ces établissements, mais seulement à l'égard de ceux qui ne sont plus employés par l'établissement public.

 

S'agissant de l'article 137 de la loi du 26 janvier 2016, qui étend et alourdit même les dispositions nouvelles pour les contrats conclus antérieurement à cette loi, le Conseil a retenu que, compte tenu des objectifs poursuivis par le législateur, il ne méconnaît pas le droit au maintien des contrats légalement conclus.

 

Logiquement, les dispositions dérogatoires relatives à la gestion des baux des établissements publics de santé ne s'appliquent qu'aux logements qui sont la propriété de ces établissements, qu'ils relèvent de leur domaine public ou de leur domaine privé (environ 9200 logements pour l'AP-HP de Paris). Ces dispositions ne peuvent pas s'appliquer aux baux des bailleurs sociaux qui ont conclu avec un établissement public de santé une convention conférant des droits de réservation.




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