Le prix du bien en vente immobilière, action en rescision pour lésion, action en vileté du prix
- camille7694
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Selon les textes du code civil, inchangés depuis 1804, la vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose et l'autre à la payer (article 1582). La vente est parfaite entre les parties, et la propriété acquise de droit à l’acheteur, dès qu’on est convenu de la chose et du prix, quoique la chose n’ait pas encore été livrée ni le prix payée (article 1583).
Mais, le prix de la vente doit répondre à certaines conditions légales qu'une jurisprudence ancienne et constante a précisées.
Première condition relative au prix : celui-ci doit être déterminé ou déterminable
Aux termes de l'article 1591 du code civil, « le prix de la vente doit être déterminé et désigné par les parties ». L'article 1592 ajoute que le prix peut cependant être laissé à l'estimation d'un tiers et qu'à défaut de cette estimation, il ne peut y avoir vente.
La jurisprudence retient cependant qu'il n'est pas obligatoire que le prix soit indiqué dans l'acte de cession, pourvu qu'il soit déterminable, au vu, le cas échéant, de documents complémentaires (Civ, 3ème, 26 septembre 2007, n° 06-14.357, Publié : « une cour d'appel a pu déduire du fait que les vendeurs avaient reconnu dans l'acte avoir reçu paiement du prix que celui-ci avait été déterminé et désigné entre les parties au jour de sa signature et, par une appréciation souveraine des documents complémentaires émanant de l'un des vendeurs et du notaire chargé par l'acquéreur de rédiger l'acte authentique de vente, en déterminer le montant ».
En cas de litige sur le prix de la cession, le juge recherche donc, parmi tous les éléments de fait qui lui sont soumis, si le prix est déterminable par un procédé de calcul ou un raisonnement quelconque (par exemple : Civ, 3ème, 3 mai 2018, n° 17-15.258 ; Civ, 3ème, 25 mars 2014, n° 13-11.112 ; Civ 3ème, 3 mai 2018, n° 17-15.258).
En l'état d'une pluralité de vendeurs, il n'est pas exigé que la part revenant à chacun d'eux soit fixée dans l'acte de vente (Civ, 3ème, 19 mars 1986, n° 84-13.582, Publié).
Il faut rappeler que le juge ne peut pas modifier le prix déterminé par les parties, quelle qu'en soit la raison, et que si le vendeur manque à son obligation de délivrance d'un bien conforme à l'intention commune des parties, seuls des dommages et intérêts pourront être alloués en réparation (Civ, 3ème, 10 mars 2015, n° 13-27.660).
Deuxième condition : le prix déterminé doit être sérieux et non dérisoire
A cet égard, il convient de soigneusement distinguer l'action en vileté du prix, et l'action en rescision pour lésion. Dans les deux cas, le prix de la vente est inadéquat, n'est pas sérieux, est dérisoire ou lésionnaire. Mais les deux actions obéissent à des règles différentes.
Le prix lésionnaire
Le prix lésionnaire, tel que défini à l'article 1674 du code civil, est celui qui est inférieur de plus des 7/12ème à la valeur de l'immeuble au moment de la vente. Par exemple, si la valeur réelle de l'immeuble est de 100.000 euros, les 7/12ème de cette valeur étant 41.666 euros, le prix perçu par le vendeur sera dit lésionnaire s'il est inférieur à cette dernière somme.
En cas de prix lésionnaire, le vendeur peut demander la rescision (la résolution) de la vente, quand bien même, précise le texte, il aurait expressément renoncé dans le contrat à la faculté de demander cette rescision, et qu'il aurait déclaré donner la plus-value.
L'action en rescision doit être engagée dans les deux années qui suivent le jour de la vente (article 1676 du code civil), c'est à dire le jour de l'accord des volontés recueilli dans un acte sous seing privé ou un acte authentique. Il s'agit d'un délai de forclusion (Civ, 3ème, 5 juillet 2011, n° 10-19.280). Les articles 641 et 642 du code de procédure civile sur le calcul des délais de procédure sont applicables au délai de l'action en rescision (Civ, 3ème, 8 décembre 1993, n° 90-22.070, Publié).
Lorsque la vente a été conclue sous conditions suspensives, le jour de la vente est celui de la réalisation de la condition ou de la renonciation à son bénéfice (Civ, 3ème, 16 novembre 2005, n° 04-11.152, Publié).
Selon la loi, la preuve du caractère lésionnaire du prix ne peut se faire que par le rapport de trois experts, nommés d'office par le juge, s'il apparaît des présomptions suffisantes quant à l'existence d'une lésion (par exemple, Civ, 3ème, 20 mai 2014, n° 13-16.948), ou par les parties si elles s'accordent. Leur avis déterminé à la majorité est rapporté dans un procès-verbal et commun. Ce procès-verbal peut mentionner un avis minoritaire mais sans que l'expert minoritaire puisse être identifié (articles 1678 à 1680). Le juge ne pourrait pas retenir la lésion sans se fonder sur le rapport du collège d'experts (Civ, 3ème, 12 octobre 1994, n° 92-19.115), mais sous cette réserve, son appréciation est souveraine (notamment Civ, 3ème, 5 mai 2015, n° 14-14.450).
L'appréciation du prix de l'immeuble est réalisée selon son état, sa valeur et les droits et avantages qui lui sont attachés (constructibilité d'un terrain par exemple ou sa viabilisation) au jour de la vente (Civ, 3ème, 20 novembre 2013, n° 12-24.103 ; Civ, 3ème, 5 décembre 2012, Publié). Elle doit, le cas échéant, prendre en compte les stipulations de l'acte qui peuvent caractériser un avantage pour l'une ou l'autre des parties, par exemple la stipulation au bénéfice de l'acheteur d'un paiement à crédit sur quinze ans, sans intérêts ni indexation (Civ, 3ème, 29 septembre 1999, n° 97-21.738, Publié).
L'acheteur du bien, lui, ne peut agir en rescision pour lésion (article 1683) et, en cas de trop payé, devra recourir à d'autres fondements juridiques, tel le dol par exemple. Le prix, dans les ventes faites par autorité de justice n'est, par hypothèse, jamais lésionnaire (article1684).
L'article 1681 ouvre une option à l'acheteur dans l'hypothèse où l'action en rescision est admise. Il peut soit rendre la chose en contrepartie du prix qu'il a payé, soit conserver l'immeuble en payant le supplément du juste prix avec les intérêts, supplément dont il convient de déduire le dixième du prix total.
Lorsque la juridiction retient que le prix est lésionnaire, elle fixe le délai dans lequel l'acheteur doit trancher sur le droit d'option légal. À défaut, l'acheteur doit se prononcer dans un délai raisonnable (Civ, 3ème, 5 janvier 2022, n° 20-18.918, Publié).
L'action en nullité pour vileté du prix
L'article 1658 du code civil dispose que « indépendamment des causes de nullité ou de résolution déjà expliquées dans ce titre, et de celles qui sont communes à toutes les conventions, le contrat de vente peut être résolu par l'exercice de la faculté de rachat et par la vileté du prix ».
La vileté du prix correspond à une absence de prix, ou selon une jurisprudence classique « un déséquilibre manifeste entre les prestations réciproques des parties » (Civ, 3ème, 13 juin 2019, n° 17-31.151). Elle concerne toutes les ventes, notamment immobilières, et entraîne la nullité de la vente pour défaut de cause.
Cette action pour vileté du prix est bien distincte de l'action en rescision pour lésion et n'est pas soumise au délai de forclusion de deux ans stipulé par la loi pour cette dernière action (Civ, 3ème, 15 décembre 2010, n° 09-16.838, Publié).
La nullité d'un contrat pour vileté du prix, qui porte atteinte aux seuls intérêts privés du vendeur, relève du régime des nullités relatives et se prescrit par cinq ans (Civ, 3ème, 21 septembre 2011, n° 10-21.900, Publié ; Civ, 3ème, 11 février 2014, n° 12-25.756 ; Com, 22 mars 2016, n° 14-14.218, Publié). La jurisprudence de la Cour de cassation, qui a longtemps hésité entre la nullité absolue, avec sa prescription trentenaire, et la nullité relative avec la prescription quinquennale de droit commun, est maintenant fixée sur cette dernière.
Le point de départ du délai de prescription est en principe le jour de la signature du contrat. Si les parties en conviennent, le point de départ de la prescription peut être la date de la publication de la vente à la conservation des hypothèques (Civ, 3ème, 5 novembre 2020, n° 19-10.833).
Les juges apprécient souverainement, sans être soumis au formalisme de l'action en rescision pour lésion, le caractère réel et sérieux du prix convenu (s'agissant d'une vente viagère : Civ, 3ème, 12 juin 1996, n° 94-16.988, Publié). Pour apprécier les caractères du prix, les juges doivent se placer à la date à laquelle ce prix a été fixé (Civ, 3ème, 20 novembre 2013, n° 12-24.103).
Ils doivent, le cas échéant, prendre en compte tous les éléments de la convention qui assurent ou visent à assurer son équilibre (Civ, 3ème, 15 septembre 2016, n° 15-22.250). Ainsi, le prix lui-même peut être symbolique et n'est pas vil pour autant, si l'économie générale du contrat permet d'identifier des contreparties réelles à la charge de l'acheteur, l'ensemble de ces obligations s'inscrivant dans un tout indivisible (Civ, 3ème, 3 mars 1993, n° 91-15.613, Publié ; Civ, 3ème, 5 novembre 2008, n° 07-19.855).
Le prix en matière de vente avec rente viagère
Le contrat de rente viagère fait l'objet des articles 1968 et suivants du code civil, qui donnent peu d'indications sur le prix, sauf quant à l'aléa qui doit le caractériser en substance. Une jurisprudence ancienne et constante retient que le prix, dans ses différentes composantes additionnées, doit être réel et sérieux, et, en même temps, comporter un aléa (par exemple, Civ, 3ème, 12 juin 1996, n° 94-16.988, Publié).
Ainsi, la vente avec rente viagère est nulle si le montant des arrérages est égal ou inférieur aux revenus de l’immeuble vendu ou aux intérêts qui produirait un capital égal à la valeur de l'immeuble, dès lors que l'acheteur ne se trouve plus confronté à un aléa alors que la perte est certaine pour le crédit rentier, l'ensemble des conditions de la vente devant toutefois être considérées (Civ, 3ème, 16 juillet 1998, n° 96-12.720, Publié).
Quant au défaut d'aléa conduisant le juge à prononcer l'annulation de la vente, il peut résulter de la connaissance qu'a l'acquéreur de l'état de santé désespéré du vendeur (par exemple (Civ, 3ème, 2 février 2000, n° 98-10.714, Publié).
Un arrêt isolé de la Cour de cassation semble avoir retenu que la vente viagère, stipulée avec la réserve d’un droit d’usage et d’habitation et le service d’une rente viagère, obligations par nature d’une durée et d’un coût total indéterminés, revêt un caractère aléatoire et ne peut donc faire l’objet d’une rescision (Civ, 3ème, 5 novembre 2008, n° 07-17.106).
Toutefois, un arrêt plus récent retient qu'en cas de vente viagère, le prix de vente, dont le caractère lésionnaire est allégué, résulte de l'addition du bouquet et du capital représentatif de la rente réelle dont il convient de déduire la valeur du droit d'usage et d'habitation (Civ, 3ème, 10 octobre 2012, n° 11-11.069). Il a encore été jugé que si le vendeur invoque la lésion, il ne peut en tirer comme conséquence que la rescision de la vente et non la majoration de la rente, seul l'acquéreur pouvant offrir une revalorisation du prix pour éviter que la vente ne soit rescindée (Civ, 3ème, 6 juin 2007, n° 06-14.773, Publié).
Camille TERRIER
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