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Le droit de préemption subsidiaire du locataire et la rémunération de l'agent immobilier




On sait que tout travail mérite salaire, mais ce n'est pas toujours vrai pour les agents immobiliers.


La 3ème chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 1er mars 2023 (n° 21-22073, Publié), vient d'en donner une illustration en étendant au droit de préemption subsidiaire sa jurisprudence classique selon laquelle le locataire qui exerce son droit de préemption principal ne peut se voir imposer de régler en sus une commission à l'agent immobilier mandaté par le vendeur. Mais cette doctrine interroge et il n'est pas certain qu'elle ait été bien inspirée.


Dans cette affaire, un propriétaire désireux de vendre une maison donnée à bail a notifié aux locataires un congé pour vendre valant offre d'acquisition pour 400.000 €. Les locataires n'ont pas accepté cette offre et ont quitté les lieux en exécution du congé. Le propriétaire a mandaté un agent immobilier et quelques semaines plus tard, a consenti une promesse de vente à un acquéreur présenté par cet agent immobilier, pour un prix de 380.000 €, inclus 10.000 € de frais d'agence. Le compromis a été signé.


Conformément à la loi, le notaire a alors notifié à l'ancien locataire le nouveau prix du bien. Ce dernier a accepté la nouvelle offre et la vente a été ainsi conclue et le prix payé, y compris la commission d'agence. Près d'un an plus tard, l'acquéreur, réalisant qu'il ne lui appartenait pas de payer cette commission, a assigné l'agent immobilier en remboursement.


La cour d'appel d'Amiens, comme les premiers juges saisis, a rejeté cette action, en retenant en substance que l'agent immobilier mandaté par le vendeur avait réalisé une réelle prestation de recherche d'un acquéreur, que cet agent immobilier avait ainsi permis que soit signé un compromis de vente, que les bénéficiaires du droit de préemption subsidiaire avaient accepté sans faire de réserves, en se substituant aux acquéreurs, d'acquérir aux mêmes conditions et sont donc redevables de la commission d'agence. La Cour de cassation casse cet arrêt au double visa des articles 15, II, alinéa 4, de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 et 6 de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970.


Les droits de préemption, principal et subsidiaire, conférés au locataire sont la contrepartie d'un congé pour vendre et réalisent l'un de ces équilibres délicats entre les droits du propriétaire et ceux du locataire que recherche la loi du 6 juillet 1989.


On sait que lorsque le locataire n'a pas exercé son droit de préemption principal et que le propriétaire décide de vendre à des conditions ou un prix plus avantageux, ce propriétaire ou, à défaut le notaire, doit les notifier à l'ancien locataire qui peut alors exercer son droit de préemption dit subsidiaire avant l'expiration d'un délai d'un mois à compter de la réception de cette nouvelle offre. En cas d'acceptation, la vente doit être réalisée dans le délai de deux ou quatre mois, selon que l'ancien locataire et candidat acquéreur a notifié son intention de recourir à un prêt.


Les juges veillent à l'effectivité des droits de préemption et font généralement une application littérale des dispositions de l'article 15, II, de la loi, dont la méconnaissance est sanctionnée par la nullité de la vente (confère notamment cet arrêt récent : Civ, 3ème, 11 mai 2022, n° 20-15659 inédit).


Par ailleurs, la loi du 2 janvier 1970, dite loi Hoguet, dans son article 6 qui est d'ordre public, dispose que le droit à rémunération de l'agent immobilier détenteur d'un mandat de recherche est subordonné au concours apporté à une opération de cession effectivement conclue et constatée par un acte écrit contenant l'engagement des parties. À défaut d'un tel acte, authentique ou synallagmatique (Civ, 1ère, 9 décembre 2010, n° 09-71205 Publié), la commission n'est pas due. Les mandats de vente prévoient généralement à titre de clause pénale des réparations en cas de faute commise par le mandant ayant privé l'agent immobilier de sa rémunération. Mais de telles clauses du mandat ne peuvent être mises en œuvre que si d'une manière ou d'une autre la vente a été conclue (Civ, 3ème, 7 juillet 2022, n° 21-25661 Publié ; Civ, 1ère, 16 novembre 2016, n° 15-22010 Publié ; Civ, 3ème, 9 juillet 2014, n° 13-19061 Publié).


En l'espèce commentée, la vente avait été conclue. Vendeur et acquéreur, réunis par l'agent immobilier, avaient constaté leur accord définitif sur la chose et le prix par un acte écrit. La rémunération de l'intermédiaire était ainsi due.


Depuis longtemps, s'est posée la question du sort de la rémunération de l'agent immobilier mandaté lorsqu'un tiers se substitue à l'acquéreur dans l'exercice d'un droit de préemption.


S'agissant de l'exercice par une commune ou un établissement public foncier délégué, du droit de préemption prévu par les articles 213-1 et suivants du code de l'urbanisme, une jurisprudence constante de la Cour de cassation retient « que, lorsqu'il exerce son droit, le titulaire du droit de préemption, au profit duquel la vente a été effectivement conclue, est tenu de prendre en charge la rémunération de l'intermédiaire incombant à l'acquéreur pressenti, auquel il est substitué, dès lors que le montant de la commission et la partie qui en est tenue sont mentionnés dans l'engagement des parties et dans la déclaration d'intention d'aliéner » (Civ, 3ème, 12 mai 2021, n° 19-25226 Publié ; Civ, 3ème, 25 novembre 2020, n° 16-22616 Inédit).


Le preneur à bail rural, qui exerce le droit de préemption organisé par l'article L412-8 du code rural, lequel est ouvert lorsque le notaire chargé d'instrumenter lui notifie le prix, les charges, les conditions et les modalités de la vente projetée, est tenu, parce qu'il se substitue à l'acquéreur évincé dans toutes ses obligations, de régler les frais ou honoraires d'intermédiaire mis contractuellement à la charge de cet acquéreur (Civ, 3ème, 18 octobre 1989, n° 88-12929 Publié).


De même, selon la jurisprudence, le coindivisaire, lorsqu'il exerce le droit de préemption de l'article 815-14 du code civil, se substitue à l'acquéreur évincé en tous ses droits et obligations, notamment en son obligation contractuelle de payer une commission à l'agent immobilier, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon que la commission résulte d'un mandat consenti par le vendeur ou d'un mandat consenti par l'acquéreur (Civ, 1ère, 26 mars 1996, n° 9317574 Publié).


Dans le cas d'une clause de préférence inscrite dans un bail commercial au profit du locataire, il a été jugé que l'exercice du droit de préférence ayant pour effet de substituer le locataire dans les droits et obligations de l'acquéreur évincé, ce locataire est tenu de payer la totalité du prix convenu avec l'acquéreur évincé, y compris la commission de l'agent immobilier. Si le locataire n'offre de payer que le prix hors frais d'agence, il n'exerce pas valablement son droit de préférence conventionnel (Civ, 3ème, 28 septembre 2022, n° 21-18007 Inédit).


Pour l'exercice du droit de préemption conféré par la loi au locataire commercial par l'article 145-46-1 du code de commerce, créé par la loi du 18 juin 2014 et étroitement inspiré des dispositions analogues de la loi du 6 juillet 1989, les juges décident que l'offre de vente au locataire commercial ne peut inclure dans le prix offert des honoraires de négociation d'un agent immobilier puisque aucun intermédiaire n'est nécessaire ou utile pour réaliser la vente, laquelle ne résulte que de la loi (Civ, 3ème, 23 septembre 2021, n° 20-17799 Publié ; Civ, 3ème, 28 juin 2018, n° 17-14605 Publié). Les deux arrêts cités se rapporte à l'exercice du droit de préemption principal, non pas au droit de préemption subsidiaire.


En principe donc, le prix offert dans le congé pour vendre ne doit pas inclure des honoraires d'agence. On notera toutefois que la nullité d'un congé pour vendre ne peut être prononcée au motif que le prix offert inclut des honoraires de négociation, que si le demandeur fait la preuve d'un grief, conformément aux dispositions de l'article de l'article 114 du code de procédure civile (Civ, 3ème, 8 octobre 2015, n° 14-20666 Publié).


Cette doctrine relative au droit de préemption du locataire commercial reproduit la jurisprudence constante de la Cour de cassation sur la mise en œuvre du droit de préemption du titulaire d'un bail d'habitation à titre de résidence principale.


En effet, il est classiquement jugé que le locataire qui accepte l'offre incluse dans le congé pour vendre, d'acquérir le bien qu'il habite n'est pas présenté au propriétaire par l'agent immobilier mandaté par le propriétaire. Le locataire ne peut se voir imposer le paiement d'une commission renchérissant le prix du bien (Civ, 3ème, 3 juillet 2013, n° 12-19442 Publié ; Civ, 1ère, 14 juin 1988, n° 86-17557 Publié). Au demeurant, aucune disposition de la loi Hoguet ne pourrait justifier, dans ces circonstances, une rémunération de l'agent immobilier. Cette jurisprudence est parfaitement justifiée.


La même règle n'avait pas été énoncée dans le cas de l'exercice par le locataire du droit de préemption subsidiaire. C'est chose faite par un attendu de principe de l'arrêt commenté du 1er mars 2023, ainsi libellé : « ... le locataire qui exerce son droit de préemption subsidiaire en acceptant l'offre notifiée par le notaire, qui n'avait pas à être présentée par l'agent immobilier mandaté par le propriétaire pour rechercher un acquéreur, ne peut se voir imposer le paiement d'une commission renchérissant le prix du bien... ».


Pourtant, cela ne va pas de soi. S'il est incontestable que le locataire qui exerce son droit de préemption principal ne peut se voir imposer de régler des frais d'intermédiation en sus du prix du logement, les circonstances du droit de préemption subsidiaire sont bien différentes :


a) L'agent immobilier a rempli son mandat, puisqu'il a présenté un acquéreur au propriétaire ;

b) Un acte authentique ou synallagmatique ayant été dressé, qui constate l'accord des parties sur la chose et le prix, les conditions posées par la loi Hoguet à la rémunération de l'agent immobilier sont satisfaites ;

c) Si, par hypothèse, le prix retenu dans l'acte est inférieur au prix proposé au locataire dans le congé pour vendre, c'est le résultat d'une négociation à laquelle l'agent immobilier a activement concouru et à laquelle le locataire, qui en recueille les fruits, est demeuré totalement étranger ;

d) Lorsque l'exercice du droit de préemption conduit à évincer l'acquéreur, comme c'est le cas du droit de préemption dit subsidiaire du preneur à bail d'habitation, la jurisprudence retient en principe que celui qui exerce le droit se substitue à l'acquéreur en tous ses droits et obligations, y compris pour le paiement des frais d'intermédiation si cet acquéreur en a accepté la charge contractuelle.


Il existerait ainsi une exception à ce principe général de substitution, au bénéfice du preneur à bail d'habitation qui évince l'acquéreur sans se substituer à lui. On voit mal le fondement doctrinal d'une telle exception, et le souci des intérêts du locataire, présumé partie faible face au propriétaire, à l'acquéreur et à l'agent immobilier, ne le justifie que faiblement.


Quoiqu'il en soit, en l'état de cet arrêt publié, et si l'acquéreur avait accepté, dans le cadre de la négociation sur le prix, de prendre à sa charge les honoraires de l'agent immobilier, le locataire, qui exerce le droit de préemption subsidiaire, n'y est pas tenu mais tire le meilleur profit de la négociation sur le prix et des diligences de l'agent immobilier. Le locataire n'évince pas seulement l'acquéreur mais aussi cet agent immobilier dont le travail ne mérite aucun « salaire ».


La 3ème chambre civile devra, en bonne logique et le moment venu, étendre cette jurisprudence au cas de l'exercice du droit de préemption subsidiaire par le locataire commercial, et elle y aura peut-être un scrupule car en ce domaine il n'est guère possible de soutenir que toujours et par principe le locataire est en position de faiblesse.


Pour le mandataire immobilier, les moyens de garantir sa rémunération lorsque le locataire du bien s'est vu notifier un congé pour vendre et peut se voir notifier un droit de préemption subsidiaire, sont incertains. En particulier, le procédé qui consisterait à spécifier dans le mandat que les frais d'agence sont à la charge du vendeur et mentionner dans l'acte un prix incluant ces frais mais sans les spécifier, paraît plutôt scabreux et risqué, outre que cela accroît l'assiette des droits d'enregistrement.


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