top of page

Construction : sur les modalités de la réparation des dommages, c'est le maître de l'ouvrage qui impose son choix au juge

  • camille7694
  • 14 août
  • 4 min de lecture

Cour de cassation, 3ème Civ 16 janvier 2025 n° 23-17265, Publié


Dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt du 16 janvier 2025, une société La Dormoise, qui avait fait construire un bâtiment de stockage de grains, a souhaité installer sur la couverture de ce bâtiment des panneaux solaires. Le 16 juin 2020, elle a conclu avec une société Hanau Energie Concept un marché d'installation d'une centrale de production d'électricité photovoltaïque. La mise en service de l'installation est intervenue en juillet 2011.

 

En mai 2013, le maître de l'ouvrage a constaté et documenté des fuites importantes sous les panneaux et des désordres tenant à l'humidité. A défaut d'un accord amiable, la société La Dormoise a assigné en réparation devant le tribunal de commerce de Chalons en Champagne, la société Hanau Energie Concept et son assureur décennal, la société Axa France IARD.

 

L'expert judiciaire, désigné en référé, a mis en cause les techniques employées par la société Hanau Energie Concept et préconisé le remplacement total de la couverture. Le premier juge a rejeté pourtant les demandes de la société La Dormoise, la considérant responsable des malfaçons, en particulier pour n'avoir pas posé d'écran sous toiture, ce qui relevait de sa responsabilité.

 

Devant la cour d'appel de Reims, la société La Dormoise demandait le bénéfice de la garantie décennale des constructeurs et la condamnation in solidum de son assureur. Ses adversaires demandaient la confirmation du jugement.

 

Dans son arrêt du 28 février 2023, sur les différents points en discussion, la cour d'appel a retenu, sans ici entrer dans le détail de la décision, que l'installation des panneaux, qui incluait l'étanchéité de la couverture du bâtiment, caractérisait bien un ouvrage de construction ; que cette couverture n'était pas étanche et qu'il en est résulté des infiltrations ; que la responsabilité décennale du constructeur était bien engagée.

 

Sur la réparation intégrale des préjudices causés par les infiltrations sous toiture, la cour d'appel a affirmé détenir un pouvoir souverain d'appréciation pour en déterminer les modalités les meilleures et les mieux proportionnées.

 

La société La Dormoise demandait l'allocation d'une somme permettant le remplacement complet de la couverture photovoltaïque. Mais la cour relève que l'expert a proposé une solution technique, connue, fiable et moins onéreuse, soit un kit de réparation qui pourrait être mise en œuvre rapidement par la société Hanau Energie Concept et à ses frais, modalité de réparation quelle juge adaptée, proportionnée et qu'elle retient de préférence à l'allocation de la somme demandée par la société La Dormoise.

 

Cette dernière a formé pourvoi. Devant la Cour de cassation elle a soulevé un premier moyen reprochant à la cour d'appel d'avoir écarté du champ de la garantie décennale certains de ses chefs de préjudice sans avoir recherché si les désordres ainsi visés ne rendaient pas l'ouvrage impropre à sa destination, le stockage de grains. La réponse de la Cour est ici classique, inévitable, l'arrêt de la cour d'appel étant à l'évidence insuffisamment motivé. Mais ce n'est pas sur ce point que l'arrêt de la Cour de cassation est publié.

 

C'est la réponse au second moyen de cassation qui importe.

 

La société La Dormoise reprochait à la cour d'appel d'avoir violé les articles 1792 et suivants du code civil, c'est à dire les règles relatives à la responsabilité légale des constructeurs (sans plus de précision...), en retenant un mode de réparation en nature alors qu'elle s'y opposait et demandait une réparation par équivalence, c'est à dire par l'allocation d'une certaine somme à titre de dommages et intérêts.

 

La Cour de cassation fait droit à ce moyen, casse une seconde fois l'arrêt de la cour d'appel, et accorde à ses motifs les honneurs d'une publication au Bulletin des arrêts.

 

La Cour énonce le principe selon lequel l'entrepreneur, responsable de désordres de construction sur le fondement des articles 1792 et suivants du code civil, ne peut imposer à la victime la réparation en nature de son préjudice si elle ne le souhaite pas.

 

L'arrêt cite un précédent faisant jurisprudence : Civ, 3ème, 28 septembre 2005, n° 04-14.586, Publié. Dans cette affaire, la cour d'appel d'Orléans avait condamné un constructeur a réparer en nature les désordres dont il était responsable, alors que le maître de l'ouvrage s'y opposait en raison d'une perte de confiance.

 

L'arrêt est cassé au visa de l'article 1147 du code civil, alors applicable (devenu en 2016 l'article 1231-1) posant en droit contractuel le principe du paiement de dommages et intérêts à raison soit de l'inexécution de l'obligation soit d'un retard dans l'exécution : l'entrepreneur, responsable de désordres de construction, ne peut imposer à la victime la réparation en nature du préjudice subi.

 

Traditionnellement, et ceci n'est pas remis en cause, il est reconnu aux juges du fond un pouvoir souverain pour apprécier les modalités techniques de réparation en nature des désordres (notamment Civ, 3ème, 11 avril 2012, n° 10-26.971 ; Civ, 3ème, 18 janvier 2023, n° 21-20.027), dans les limites des principes de la réparation intégrale et de la proportionnalité. C'est de ce pouvoir souverain que se prévalait expressément la cour d'appel de Reims dans la présente affaire. Mais elle le comprenait de manière trop extensive.

 

La règle selon laquelle, une réparation en nature ne pourrait pas être imposée au maître de l'ouvrage, qui lui préférerait une réparation en équivalent (dommages et intérêts) paraît relativement récente (2005) et fondée essentiellement sur l'idée d'une perte de confiance. Il peut en effet n'apparaître pas opportun de prolonger un face à face sans doute très dégradé entre les parties au contrat de construction.


Camille Terrier


Posts récents

Voir tout
Les désordres futurs

La doctrine des désordres futurs est une facilité aménagée par la jurisprudence au bénéfice des maîtres d'ouvrage qui assignent le...

 
 
 

Commentaires


bottom of page