Bail d'habitation : clause résolutoire et délai
- camille7694
- 12 juin
- 3 min de lecture
La réduction de deux mois à six semaines du délai minimal imparti au locataire pour s'acquitter de sa dette après la délivrance d'un commandement de payer visant la clause résolutoire, par la loi du 27 juillet 2023, n'a pas pour effet de modifier les délais figurant dans les clauses contractuelles des baux en cours au jour de l'entrée en vigueur de la loi.
Avis rendu le 13 juin 2024 par la 3ème chambre civile de la Cour de cassation

L'article 10 de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023, visant à protéger les logements contre l'occupation illicite, a notamment modifié l'article 24 de la loi du 6 juillet 1989 sur les effets de la clause résolutoire du bail d'habitation, en réduisant de deux mois à six semaines le délai dont dispose le locataire pour payer sa dette après un commandement de la payer, délai au terme duquel, et à défaut de paiement, la clause résolutoire du bail produit tous ses effets.
Dans une très banale affaire contentieuse où, pour l'exécution d'un bail d'habitation conclu le 21 juin 2016 et prévoyant le délai de deux mois de la loi alors applicable pour s'acquitter des causes d'un commandement de payer, le bailleur avait notifié le 4 août 2023 à son locataire un commandement de payer lui accordant le délai de six semaines de la loi nouvelle pour s'acquitter de sa dette, le juge, embarrassé, a recouru à la procédure réglementaire de demande d'avis pour éclairer la question de l'application de cette disposition de la loi nouvelle au baux en cours lors de sa promulgation.
La question méritait d'être posée et était d'ailleurs débattue en doctrine. Soit il était soutenu que le nouveau délai devait s'appliquer immédiatement au motif qu'il est un effet légal d'un contrat régi par une loi d'ordre public, soit au contraire le caractère d'ordre public de protection de la loi sur les baux d'habitation conduisait à faire survivre les dispositions contractuelles plus favorables aux locataires.
L'avis rendu par la Cour de cassation est parfaitement orthodoxe et s'en tient aux fondamentaux.
1) Aux termes de l'article 2 du code civil, la loi ne dispose que pour l'avenir et n'a point d'effet rétroactif. Selon une jurisprudence ancienne et constante, la loi nouvelle règle les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées (notamment, Civ, 3ème, 17 novembre 2016, n° 15-24.552, Publié), mais elle est en principe sans effets sur les contrats en cours (Civ, 3ème, 5 juillet 1995, n° 93-11.330, Publié).
2) Si ce principe civil de non rétroactivité de la loi nouvelle n'a pas de valeur constitutionnelle et que le législateur peut y déroger, tel n'est pas le cas en l'espèce, la loi du 27 juillet 2023 ne comportant aucune disposition transitoire relative à l'entrée en vigueur de la disposition nouvelle modifiant le délai de la clause résolutoire du contrat.
3) Et en conséquence : les dispositions contractuelles des baux en cours, stipulant qu'un délai de deux mois est imparti au locataire pour régler les causes d'un commandement de payer notifié au visa de la clause résolutoire du contrat, survivent à la loi nouvelle.
Cette solution est conforme aux principes régissant l'application de la loi nouvelle en matière contractuelle. L'insertion dans un bail d'une clause résolutoire est bien un effet de la volonté des parties qui peuvent, aussi bien, y renoncer. Cette clause, insérée au contrat, régie par l'article 1225 du code civil, est soumise aux principes posés par les articles 1103 et 1104 du même code : elle tient lieu de loi aux parties, elle doit être exécutée de bonne foi. La loi nouvelle ne peut remettre en cause ces prévisions contractuelles qu'en le prévoyant expressément.
De ce fait, en bonne logique, si le contrat de bail, conclu antérieurement à la loi du 27 juillet 2023, inclut une clause résolutoire mais ne prévoit pas de délai pour l'acquisition de cette clause résolutoire, ce délai est alors, non pas une prévision contractuelle arrêtée par les parties, mais un effet légal du contrat, et la loi nouvelle réduisant ce délai doit trouver à s'appliquer immédiatement.
Camille TERRIER
Comments