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Les désordres futurs

  • camille7694
  • 14 août
  • 4 min de lecture

La doctrine des désordres futurs est une facilité aménagée par la jurisprudence au bénéfice des maîtres d'ouvrage qui assignent le constructeur sur le fondement de la garantie décennale en réparation de dommages qui n'ont pas (pas encore) acquis les caractères d'un dommage décennal. Dans un autre domaine que le droit de la construction, il leur serait répondu : revenez plus tard lorsque les désordres que vous alléguez auront acquis les caractères légaux que requiert une action engagée sur le fondement de la garantie décennale et de la présomption de responsabilité du constructeur.

 

Rappelons qu'aux termes de l'article 1792 du code civil « tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination ». Le constructeur est déchargé des responsabilités et garanties pesant sur lui après dix ans à compter de la réception des travaux (article 1792-4-1 du même code).

 

Le désordre futur qui permet d'anticiper les conditions de l'action décennale :

 

            Doit être certain dans son principe,

 

            Doit être en voie d'aggravation,

 

            Et acquerra à coup sûr le caractère de dommage décennal, c'est à dire portera atteinte à la solidité de l'ouvrage ou le rendra impropre à sa destination, avant le terme du délai d'épreuve de dix ans à compter de la réception de l'ouvrage.

 

S'il apparaît que l'ouvrage remplira son office pendant toute la durée de la garantie décennale, celle-ci ne peut pas être mobilisée (Civ, 3ème, 24 mai 2005, n° 04-13.210).

 

Il va de soi que c'est l'expert qui permettra au juge de se prononcer sur une telle demande. L'expert seul (en principe) est en mesure de dire si l'aggravation des désordres actuels compromettront la solidité de l'ouvrage ou le rendront impropre à sa destination avant le terme du délai décennal. Le juge ne pourra pas se satisfaire d'un peut-être ou d'un probable. L'expert doit être formel.

 

Dans une affaire où la cour d'appel avait, sur l'action précoce des maître de l'ouvrage alléguant des désordres en couverture, condamné le constructeur au titre de la garantie décennale, au motif que l'expert avait constaté des désordres d'exécution caractérisés tels qu'il était certain que des défauts d'étanchéité avec dégâts des eaux dans les pièces habitables apparaîtraient inéluctablement lors de pluies intenses avec bourrasques de vent, la Cour de cassation a cassé l'arrêt au motif que la cour d'appel n'avait pas constaté que les désordres devaient atteindre de manière certaine, dans les dix ans après la réception de l'ouvrage, la gravité requise pour la mise en œuvre de la garantie décennale (Civ, 3ème, 21 septembre 2022, n° 21-15.455).

 

Dans un arrêt du 4 mars 2021 (n° 1920280), la Cour de cassation a énoncé :

 

D'une part que le juge interprète souverainement le rapport d'expertise ambigu ou insuffisamment précis, et peut retenir que la preuve n'est pas rapportée que les désordres auront atteint la gravité décennale dans le délai de la loi ; mais, du moins, il est tenu de s'expliquer sur les raisons pour lesquelles il écarte les conclusions de l'expert (Civ, 3ème, 18 mai 2017, n° 16-16.006) ;

           

D'autre part, dans cette situation d'une expertise insuffisamment probante, c'est dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire (c'est à dire, sans avoir à donner ses raisons) que le juge décide ou non d'interroger l'expert ou d'ordonner un complément d'expertise.

 

Il n'est donc pas rare que le juge, en cette matière, se montre très exigeant, voire critique, à l'égard de l'expert (par exemple : Civ, 3ème, 21 mai 2003, n° 01-17.784, Publié). En tout cas, il examine ses opérations et résultats avec un extrême attention (par exemple : Civ, 3ème, 25 juin 2020, n° 19-15.610).

 

Il est donc vivement recommandé aux parties de suivre avec une particulière attention les opérations de l'expertise contradictoire.

 

Dès lors qu'il est acquis que les désordres auront revêtu le degré de gravité requis dans le délai décennal, le juge statue sans attendre sur les réparations nécessaires.

 

Cette doctrine dite des désordres futurs ne doit pas être confondue avec celle des désordres évolutifs. Ces derniers sont ceux qui, dénoncés dans le délai décennal, remplissent d'ores et déjà les conditions de gravité de l'article 1792 du code civil, mais qui continueront d'évoluer et de s'aggraver après le terme de ce délai décennal. Ainsi l'écoulement du délai d'épreuve n'empêche pas le juge de devoir prendre en compte ces évolutions dans les réparations qu'il ordonne.

 

Il faut noter que le Conseil d'État applique les mêmes textes de façon un peu différente. Il mêle, quant à lui, les deux notions : la garantie décennale est due même si les désordres dénoncés n'acquerront la gravité décennale qu'après le terme du délai d'épreuve (par exemple : CE, 31 octobre 2010, n° 317006).


Camille Terrier


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