Le manquement du constructeur à son devoir de conseil
- camille7694
- 14 août
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Les constructeurs et autres intervenants à l'ouvrage, tel l'architecte et le maître d'œuvre, comme professionnels supposés qualifiés, sont tenus d'une obligation de conseil au bénéfice du maître de l'ouvrage, possiblement profane. Cette obligation doit être respectée durant tout le processus de construction, jusqu'à et y compris la réception des travaux. En cas de manquement à cette obligation de conseil, la responsabilité du constructeur peut être engagée pour faute contractuelle.
Si, toutefois, le dommage qui découle du manquement à l'obligation de conseil est couvert par l'une ou l'autre des garanties légales des articles 1792 et suivants du code civil, seule cette garantie pourra être actionnée et non la responsabilité contractuelle de droit commun du constructeur. Dans nombre de circonstances, d'ailleurs, le manquement à l'obligation de conseil est un des éléments qui, dans le cadre d'une garantie légale, concourt à établir le lien entre l'activité du constructeur et les dommages et par conséquent la responsabilité de plein droit de ce dernier.
Dès lors que le maître de l'ouvrage établit qu'une information lui était due, il appartient à l'intervenant, débiteur de l’obligation de conseil, de prouver qu’il a satisfait à son obligation auprès de ce maître de l’ouvrage. En effet l'article 1112-4 du code civil, relatif à la formation du contrat, est venu consacrer une jurisprudence ancienne et dispose que : « il incombe à celui qui prétend qu'une information lui était due de prouver que l'autre partie la lui devait, à charge pour cette autre partie de prouver qu'elle l'a fournie. Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir ».
Il va de soi que la portée du devoir de conseil s'apprécie différemment selon le niveau de compétence de ce maître de l'ouvrage.
En jurisprudence, l'obligation de conseil est élargie à une obligation d'information, conseil et information étant généralement confondus (par exemple : Civ, 3ème, 20 juin 1995, n° 93-15.801, Publié). Elle concerne tous les aspects de l'acte de construire, la faisabilité du projet, les choix techniques et les risques qui s'y attachent, le cadre réglementaire et ses évolutions.
En jurisprudence, les exemples sont nombreux de manquements d'un constructeur à l'obligation de conseil. Par exemple :
Civ, 3ème, 11 février 2021, n° 19-22.943, Publié : il incombe au constructeur de maison individuelle avec fourniture du plan de s'assurer de la nature et de l'importance des travaux nécessaires au raccordement de la construction aux réseaux publics.
Civ, 3ème, 11 mars 2015, n° 13-28.351, Publié : un manquement à l'obligation de conseil de l'entreprise était caractérisé par le fait que, bien qu'intervenant pour exécuter les préconisations de l'expert, il lui appartenait de procéder à des vérifications minimales et d'émettre auprès des maîtres de l'ouvrage des réserves sur l'efficacité des travaux prescrits par cet expert.
Civ, 3ème, 24 septembre 2013, n°12-24.642 : « ... l'entrepreneur est tenu, avant d'engager les travaux, à une obligation de conseil qui l'oblige à renseigner le maître d'ouvrage sur la faisabilité de ceux-ci et sur l'inutilité d'y procéder si les mesures, extérieures à son domaine de compétence, nécessaires et préalables à leur exécution ne sont pas prises... ».
Civ, 3ème, 11 juillet 2012, n° 11-15.459 : l'entrepreneur, contractuellement chargé d'édifier un mur en limite de propriété, doit prendre la précaution de s'enquérir de l'emplacement de cette limite.
Civ, 3ème, 3 novembre 2011, n° 09-13.575 : « il appartient à l'entrepreneur de se renseigner sur la destination du local dans lequel il exécute des travaux pour aviser le maître d'ouvrage des problèmes susceptibles de surgir et des précautions à prendre... ».
Civ, 3ème, 27 janvier 2010, n° 08-18.026, Publié : quelle que soit la qualification du contrat, un constructeur, qui est tenu envers le maître de l'ouvrage d'une obligation de conseil et de résultat, est responsable, avant réception, de la mauvaise implantation d'une maison.
Civ, 3ème, 4 juillet 2007, n° 06-14.761 : il appartient au constructeur d'avertir le maître de l'ouvrage des risques inhérents au matériau qu'il installe.
Ci, 3ème, 26 octobre 2005, n° 04-16.405, Publié : iI ne pouvait échapper au constructeur, qui avait aidé des maîtres d'ouvrage dans la recherche et le choix d'un terrain, que le site retenu présentait une vulnérabilité particulière aux nuisances sonores. Ce constructeur reste tenu, nonobstant le respect des normes relatives à l'isolation phonique, d'une obligation de conseil à l'égard de ceux-ci, profanes en la matière.
Civ, 3ème, 2 octobre 2002, n° 99-12.925, Publié : un entrepreneur est tenu, au titre de son obligation de conseil, de s'assurer que le devis estimatif est en concordance avec la construction autorisée par le permis de construire.
Civ, 3ème, 25 février 1998, n° 96-10.598, Publié : l'architecte chargé de la conception d'un projet et de l'établissement des plans du permis de construire, tenu à un devoir de conseil envers le maître de l'ouvrage, doit concevoir un projet réalisable, qui tient compte des contraintes du sol.
Civ, 3ème, 11 février 1998, n° 96-12.228, Publié : encourt la cassation l'arrêt qui retient que l'entrepreneur qui construit un escalier dangereux pour le public, sur les indications du maître d'œuvre chargé de la conception de l'ensemble des travaux d'aménagement de locaux à usage commercial, n'est tenu à aucune obligation de conseil envers le maître de l'ouvrage.
Civ, 3ème, 15 décembre 1993, n° 93-14.001 : si le constructeur est appelé à intervenir sur des existants, il doit, le cas échéant, faire part au maître de l'ouvrage de ses réserves sur la qualité de ces existants et, s'il y a lieu, refuser l'exécution des travaux.
Civ, 3ème, 25 mars 1981, n° 79-16.752, Publié : le constructeur qui a édifié sur terrain inondable une maison inhabitable, prenant en charge les missions d'architecte, d'entrepreneur et de conseil, avait l'obligation d'étudier le terrain, d'informer son client qu'il était impropre à la construction projetée et éventuellement de le dissuader de l'acheter.
Mais il arrive aussi que le maître de l'ouvrage ne soit pas irréprochable. Par exemple, la responsabilité du constructeur n'est pas engagée dans une circonstance ou le maître de l'ouvrage avait une parfaite connaissance des risques liés à l'état du terrain mais a délibérément omis d'en avertir l'architecte et le constructeur, en ne portant pas à leur connaissance les études de sols qu'il avait fait réaliser (Civ, 3ème, 11 mai 2022, n° 21-15.420, Publié).
De même, le maître de l'ouvrage ne peut reprocher au constructeur de ne pas avoir respecté les règles des établissements classés s'il ne l'a pas informé que cette réglementation était applicable (Civ, 3ème, 22 novembre 1989, n° 88-11.188).
Il existe en outre une limite à la protection du maître de l'ouvrage contre les conséquences de son incompétence. En effet « l'obligation de conseil ne s'applique pas aux faits qui sont de la connaissance de tous » (Civ, 3ème, 6 mars 2002, n° 99-20.637). Il a été aussi jugé que le devoir de conseil du maître d'œuvre ne l'oblige pas à rappeler au maître de l'ouvrage l'obligation de respecter les prescriptions du permis de construire, qui s'imposent à lui en vertu de la loi (Civ, 3ème, 14 janvier 2009, n° 07-20.245, Publié).
Un constructeur est aussi tenu d'un devoir de conseil à l'égard des autres entrepreneurs concourant à l'exécution d'un même chantier dès lors que le travail de l'un dépend du travail de l'autre (Civ, 3ème, 31 janvier 2007, n° 05-18.311, Publié).
Un maître d'œuvre professionnel, qui n'est pas débiteur d'une garantie légale, est tenu lui aussi d'une obligation de conseil au bénéfice du maître de l'ouvrage et sa responsabilité contractuelle peut être engagée, notamment pour un défaut de conseil lors de la réception des travaux (pour un exemple : Civ, 3ème, 6 juillet 2023, n° 22-13.281), ou lorsque les dommages découlent du choix par le maître d'œuvre d'une technologie inadaptée à l'environnement de l'ouvrage (Civ, 3ème, 13 avril 2023, n° 22-11.024).
La prescription de l'action en responsabilité contractuelle pour manquement au devoir de conseil, donc hors une mise en cause de la responsabilité légale du constructeur, court à compter de la manifestation du dommage. En pur droit commun, le délai serait de cinq ans. Toutefois, compte tenu des termes de l'article 1792-4-3 du code civil, il semble, même si cela ne paraît pas avoir encore été jugé, que le principe général d'une prescription de dix ans pour les actions en responsabilité contre les constructeurs doit s'appliquer aux actions en responsabilité contractuelle pour manquement au devoir de conseil, de la même manière que les actions en responsabilité pour les désordres intermédiaires.
Camille Terrier
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