Selon la jurisprudence traditionnelle l'exercice du droit de propriété peut être abusif et sanctionné, notamment sur le fondement des troubles anormaux de voisinage. En revanche, la défense du droit de propriété est un droit discrétionnaire, qui ne peut jamais dégénérer en abus.
En conséquence, si un empiétement en surface, en surplomb ou en sous-sol est caractérisé, le juge doit faire droit à la demande de démolition ou de remise en état, sur le fondement de l'art. 545 Code civil, selon lequel nul ne peut être contraint de céder sa propriété (si ce n'est pour cause d'utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité). A cet égard, le juge ne dispose d'aucune latitude d'appréciation.
Dans un arrêt du 21 décembre 2017 (n° 16-25406, P.), la troisième chambre civile de la Cour de cassation relève que « tout propriétaire est en droit d'obtenir la démolition d'un ouvrage empiétant sur son fonds, sans que son action puisse donner lieu à faute ou à abus ; que l'auteur de l'empiétement n'est pas fondé à invoquer les dispositions de l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que l'ouvrage qu'il a construit méconnaît le droit au respect des biens de la victime de l'empiétement ». Les décisions judiciaires mettant en œuvre fidèlement cette doctrine classique sont très nombreuses.
Parmi les conséquences logiques de cette jurisprudence, on notera que les règles posées par l'article 555 du code civil relatives à la construction d'un ouvrage sur le terrain d'autrui et qui permettent notamment l'accession du propriétaire du terrain et l'indemnisation du constructeur de bonne foi, ne s'appliquent pas en cas d'empiétement (Civ, 3ème, 19 décembre 1983, n° 82-15670, Civ, 3ème, 20 juin 2019, n° 18-13242).
Il faut encore mentionner l'éviction des règles relatives à la mitoyenneté qu'il est impossible d'acquérir en cas d'empiétement (Civ, 3ème, 6 juillet 2017, n° 15-17278 ; Civ, 3ème, 19 février 2014, n° 13-12107 ; 19 septembre 2007, n° 16-16384).
Mais l'action visant à faire enlever les branches arbres, arbustes ou arbrisseaux qui avancent sur sa propriété ne relève pas de la défense contre un empiétement mais de l'action spéciale instituée par l'article 673 du code civil, laquelle est aussi imprescriptible (Civ, 3ème, 30 juin 2010, n° 09-16257).
C'est lorsque l'empiétement est minime, qu'il ne crée aucun réel préjudice, que l'action engagée en réparation paraît avant tout vindicative, que ces jurisprudences peuvent avoir des conséquences extrêmes et possiblement déraisonnables.
Dans un tel cas d'empiétement, en réalité négligeable, les juridictions peuvent faire preuve d'absolutisme doctrinal. Ces exemples sont illustratifs :
L'arrêt de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 10 novembre 2016 (n° 15-19561) casse au visa de l'article 545 du code civil, l'arrêt de la cour d'appel qui avait rejeté une action pour empiétement au motif que le débord d'un toit empiétant de 20 centimètres sur le propriété voisine n'était à l'origine d'aucun désordre ni sinistre alors que sa rectification pouvait provoquer des infiltrations dans le mur mitoyen tandis que la démolition des éléments de la toiture était disproportionnée, en l'absence de préjudice, et inadaptée, compte tenu de la configuration des lieux. La Cour de cassation relève que de tels motifs étaient inopérants, dès lors que les demandeurs étaient en droit d'obtenir la démolition de la partie du toit empiétant sur leur propriété,
La Cour de cassation a statué de la même manière par un arrêt du 20 mars 2002, (n° 00-16015), dans une espèce où la cour d'appel avait rejeté une action en violation du droit de propriété au motif que l'empiétement d'une partie de clôture de 0,5 cm sur le fonds voisin était négligeable. Selon cet arrêt, peu importe au juge la mesure de l'empiétement.
De ce que l'action est imprescriptible, il se déduit qu'il importe peu que le propriétaire ait attendu longtemps avant de se plaindre, et le fait même qu'il ait acquis un fonds en connaissance de cause d'un empiétement ne le prive pas d'agir en réparation de cet empiétement (Civ, 3ème, 23 juin 2009, n° 0816184).
La bonne foi de l'auteur de l'empiétement est sans effet. La jurisprudence est constante, Un arrêt non publié du 30 octobre 2013 de la Cour de cassation (n°12-22169) rapporte une situation extrême. Dans cette affaire, un plan de remembrement avait réuni deux parcelles appartenant à G et les avait attribuées à R qui avait redivisé le fonds en deux parcelles. Il avait vendu ces parcelles à des acquéreurs qui les avait jointes à leur propre fonds et y avait construit leur maison.
À la suite d'un recours contre la décision de remembrement, G est redevenu propriétaire des parcelles initiales. Il a assigné les deux acquéreurs pour empiétement. Les juges ont fait droit à cette demande, quand bien même les maisons n'empiétaient que très partiellement, et sur une bande de terrain très étroite qui ne pouvait guère avoir d'usage et alors que G avait été informé être réintégré dans ses droits avant même la construction des maisons et avait attendu l'achèvement des constructions pour faire valoir ses droits.
D'une façon générale, il est jugé que le défendeur à une action pour empiétement n'est pas recevable à invoquer le principe de proportionnalité, dès lors que l'empiétement porte atteinte au droit de propriété (Civ, 3ème, 9 juillet 2020, n° 18-11940).
La seule institution qui puisse empêcher la défense contre un empiétement est la prescription acquisitive de l'article 2261 du code civil (Civ, 3ème, 20 juin 2019, n° 18-14754).
Toutefois, un arrêt relativement récent du 10 novembre 2016 (n° 15-25113) pourrait traduire une amorce d'évolution de la Cour de cassation. Dans cette affaire où l'expert avait conclu à un empiétement représentant une bande d'une superficie de 0, 04 m ², la cour d'appel avait ordonné la démolition de la construction litigieuse. Cet arrêt est cassé, faute pour la cour d'appel d'avoir recherché, comme il le lui était demandé, si un rabotage du mur n'était pas de nature à mettre fin à l'empiétement.
En raison de l'éviction du principe de proportionnalité, le juge ne peut pas procéder à la balance des intérêts en cause dans une situation d'empiétement, comme il le fait habituellement si un propriétaire se plaint que son voisin construit sans respecter les règle d'urbanisme ou les prescriptions de son permis de construire. Le juge ne peut davantage apprécier les mesures de réparation appropriées compte tenu des circonstances. Peu importe le coût de la démolition au regard de la valeur du terrain empiété. Selon la formule du professeur Carbonnier, ces jurisprudences traduisent l'attachement candide de la Cour de cassation au droit de propriété. Elles ont en revanche, comme toute règle excluant l'appréciation du juge, le mérite incident de renforcer la sécurité juridique.
Mais à une époque où, d'une part, le caractère absolu du droit de propriété est bien atténué et cède souvent devant l'intérêt général et où, d'autre part, en raison de la densification de l'habitat, de la réduction en surface des parcelles construites, des techniques d'ancrage au sol des bâtiments de grande hauteur, les risques d'empiétement sont de plus en plus présents, ces jurisprudences suscitent la résistance de certaines juridictions du fond qui acceptent mal ses conséquences simplistes et radicales, parfois contraires à l'équité, à la rationalité, voire au bon sens, en particulier lorsqu'il faut bien relever un déséquilibre manifeste entre le préjudice réel subi par la victime de l'empiétement et le préjudice que subira le constructeur de bonne foi du fait de la remise en état. Dans ces situations, les juges du fond peuvent préférer à accorder une indemnisation, plutôt que de devoir ordonner la démolition.
De plus, ces jurisprudences sont isolées en Europe. En droit allemand, suisse, autrichien, italien, des textes spécifiques règlent la question par des mécanismes d'indivision forcée, de servitude d'empiétement, ou de cession forcée contre indemnisation. En Belgique, la jurisprudence admet l'abus de droit en matière de défense contre un empiétement.
Le débat en doctrine est donc actif sur les mérites de ces jurisprudences. Une évolution est souhaitable dont un premier signe pourrait être un arrêt du 19 décembre 2019, (n° 18-25113). La situation n'était pas celle d'un empiétement, mais les circonstances étaient tout de même voisines. En l'espèce, une servitude conventionnelle de passage avait été instituée sur une parcelle au bénéfice du fonds voisin. Le propriétaire du fonds servant avait construit une maison empiétant sur l'assiette de cette servitude. La cour d'appel a ordonné la destruction de la maison mais la Cour de cassation a cassé cet arrêt pour cette raison que la cour d’appel aurait dû rechercher, « comme il le lui était demandé, si la mesure de démolition n’était pas disproportionnée au regard du droit au respect du domicile ».
Il est manifeste que l'atteinte à une servitude n'équivaut pas à une atteinte à l'exclusivité de la propriété d'autrui, protégée par les articles 544 et 545 du code civil. Néanmoins, la possibilité pour le juge, saisi d'une action pour empiétement, de procéder à un contrôle de proportionnalité de la demande de remise en état, de faire ainsi la balance des intérêts en cause, et de substituer le cas échéant une indemnisation du propriétaire lésé à la mesure de destruction qu'il demande, est certainement la voie d'évolution la plus naturelle et la plus prometteuse. On pourrait certes soutenir qu'il s'agirait d'une expropriation dans un intérêt privé mais après tout ce type de dispositif existe déjà avec l'acquisition forcée de la mitoyenneté d'un mur, organisée par l'article 661 du code civil.
D'autres pistes d'évolution jurisprudentielle sont possibles, tel l'abus de droit. En revanche, une solution législative paraît plus difficile à concevoir. L'avant-projet de réforme du droit des biens élaboré en 2008 dans le cadre de l'association Henri Capitant, a traité la question sans susciter l'enthousiasme. Soustraire, comme il était proposé, au principe de l'article 545 du code civil, tout empiétement inférieur à 0,3 m, n'est pas de nature à régler grand chose. En revanche, introduire des délais d'action semble intéressant : si l'action est engagée plus de deux ans après l'empiétement, le juge pourrait ordonner le transfert de propriété de l'assiette de l'empiétement contre une indemnité.
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