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L'obligation de délivrance du bailleur est une obligation continue

  • camille7694
  • il y a 11 minutes
  • 5 min de lecture

Cour de cassation 3ème Civ 10 juillet 2025 n° 23-20491, Publié


La question du point de départ du délai de prescription est un sujet de thèse inépuisable, en droit civil, aussi bien qu'en droit pénal. Ici, la Cour de cassation a tenu à rappeler les caractères de l'obligation de délivrance imposée à tout bailleur, quelle que soit la nature du contrat de bail, par l'article 1719 du code civil, et à mettre en lumière les conséquences qui en découlent au regard de la prescription de l'action en justice.

 

Selon le texte, la délivrance comprend :

 

            L'obligation de délivrer au preneur la chose louée, c'est à dire telle que le contrat s'y réfère ou la décrit ; en bail commercial, les locaux doivent être en état, physiquement et juridiquement, de servir à l'activité contractuellement prévue ;

 

            L'obligation d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée ;

 

            L'obligation d'assurer au preneur une jouissance paisible ;

 

            Et, d'application moins courante aujourd'hui, l'obligation d'assurer la permanence et la qualité des plantations.

 

L'arrêt commenté se rapporte à un bail commercial. Mais les principes mis en œuvre par la Cour sont tout aussi applicables à un bail du code civil, à un bail d'habitation ou à un bail rural.

 

1.  En l'espèce, un bail commercial avait été conclu pour un terrain, deux hangars et des bureaux à usage d'exploitation forestière, négoce de bois d'œuvre et d'industrie, et scierie.

 

Reprochant au bailleur d'avoir amputé d'un tiers l'assiette du bail en y construisant un hangar et un parking loués à un tiers et empêché l'accès aux bâtiments loués, la locataire l'a assigné en résiliation du bail, en indemnisation de son préjudice de jouissance et en paiement de l'indemnité d'éviction.

 

Le tribunal judiciaire de Colmar avait fait droit aux demandes de la locataire et condamné donc la bailleresse. Devant la cour d'appel, cette dernière reprenait la fin de non-recevoir au titre de la prescription de l'action, que le tribunal avait écartée.

 

La cour d'appel, dans son arrêt du 17 mai 2023, s'est interrogée sur le point de départ de la prescription quinquennale, s'agissant d'une faute du bailleur qui a un caractère continu et non pas ponctuel. Elle évoque deux arrêt de la Cour de cassation qui lui paraissent contradictoires :

 

            Civ, 3ème, 1er février 2018, n° 16-18.724, Publié : dans le cas d'un bail rural, le bailleur poursuivait la résiliation du bail et l'expulsion du preneur pour défaut d'exploitation personnelle et sous-location ou coexploitation avec un tiers. La Cour de cassation relève que la prescription n'a pu commencer à courir qu'à compter de la cessation du manquement imputé au preneur et tenant à la cession du bail ou à une sous-location. 

 

            Civ, 3ème, 24 mai 2017, 16-16.541, non publié : dans le cas d'un bail commercial, le bailleur reprochait au preneur d'avoir créé sans autorisation une véranda et demandait que soit prononcée la résiliation du bail. La Cour de cassation a approuvé la cour d'appel d'avoir retenu que le délai de prescription de cette action en résiliation du bail courrait à compter du jour où le bailleur a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer l'action.

 

Se croyant confrontée à des jurisprudences contradictoires, la cour d'appel s'est référée au droit commun de la prescription, en l'espèce à l'article 2224 du code civil selon lequel le point de départ de la prescription est le « jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». Il en résultait, en l'espèce, que l'action était partiellement prescrite.

 

2.  Mais ce n'était pas la bonne option.

 

La Cour de cassation casse cet arrêt de la cour d'appel pour violation des textes du code civil sur l'obligation de délivrance du bailleur, ici en cause puisque le bailleur avait d'autorité réduit la surface louée et rendu plus difficile l'accès au hangar loué.

 

L'obligation de délivrance à la charge du bailleur est une obligation continue exigible pendant toute la durée du bail. Le manquement du bailleur à cette obligation est un fait qui permet au locataire d'exercer l'action en résiliation du bail.

 

En l'espèce, aussi longtemps que la réduction de la surface louée persistait, le délai de la prescription quinquennale ne pouvait commencer de courir.

 

Cette doctrine s'inspire, peut-être, du droit pénal qui distingue les infractions instantanées et les infractions continues. L'infraction instantanée est celle qui se consomme, comme on dit usuellement, en un trait de temps : le vol par exemple. Le délai de la prescription commence à courir à compter du jour de ce vol. Tandis que l'infraction continue implique un comportement ou des actes qui se prolongent dans le temps et impliquent la persistance de la volonté coupable : le recel par exemple. Le délai de prescription ne court alors, selon la jurisprudence classique de la chambre criminelle, qu'à partir du jour où l'état délictueux cesse dans ses actes constitutifs et dans ses effets.

 

3.  Que l'obligation de délivrance pèse sur le bailleur tout au long de l'exécution du contrat de bail, la Cour de cassation l'a dit de façon constante (notamment : Civ, 3ème, 10 septembre 2020, n° 18-21.890, et récemment Civ, 3ème, 10 avril 2025, n° 23-14.974, Publié).

 

Elle en a tiré les conséquences, en particulier s'agissant des travaux d'entretien, d'adaptation des locaux à l'activité prévue au bail, ou de mise en conformité avec les normes administratives.

 

Par le présent arrêt, la Cour en déduit logiquement que le point de départ du délai de la prescription d'une action du preneur fondée sur un manquement du bailleur à l'obligation continue de délivrance, est le jour où ce manquement cesse. Est ainsi écartée, dans un tel cas, la règle générale de l'article 2224 du code civil qui retient que le point de départ d'un délai de prescription est le jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer ce droit.

 

On observera que les obligations contractuelles essentielles du bailleur sont des obligations continues. Certaines des obligations du preneur le sont aussi, telle l'obligation d'exploiter les locaux si cette obligation a été inscrite au bail commercial.

 

Mais la plupart des obligations du locataire ne peuvent donner lieu qu'à des manquements instantanés, tels le non paiement des loyers, ou des travaux non autorisés, comme dans l'arrêt de la Cour de cassation du 24 mai 2017, 16-16.541évoqué plus haut et dont, en l'espèce commentée, la cour d'appel avait cru pouvoir s'inspirer au bénéfice du bailleur.


Camille Terrier


 
 
 

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