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L'acte de réception des travaux

  • camille7694
  • 14 août
  • 10 min de lecture
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Aux termes de l'alinéa 1 de l'article 1792-6, « la réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l'amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement ».

 

L'opération de réception des travaux a de nombreuses implications et, notamment, met un terme aux relations contractuelles entre le maître de l'ouvrage et le constructeur, et caractérise le point de départ des trois garanties légales instaurée par la loi au bénéfice du maître de l'ouvrage, garanties de parfait achèvement, biennale et décennale.

 

Si l'ouvrage est en état d'être reçu, c'est à dire utilisable conformément à sa destination (pour une maison : habitable...), le maître de l'ouvrage ne peut refuser de les recevoir quand bien même les travaux ne seraient pas achevés (Civ, 3ème, 12 juillet 1989, n° 88-11.289, Publié), ou seraient affectés de malfaçons, de défauts de conformité substantiels compromettant l'utilisation et la pérennité de l'ouvrage (Civ, 3ème, 26 janvier 2010, n° 08-70.220).

 

La réception est réalisée :

 

            Avec réserves ou sans réserve,

 

            Amiablement ou judiciairement selon la loi,

 

            Explicitement ou, dans certaines circonstances, tacitement, selon la jurisprudence.

 

La réception partielle par lot n'est pas prohibée par la loi (Civ, 3ème, 16 novembre 2010, n° 10-10.828). Par lot, les juges entendent des tranches indépendantes et cohérentes de travaux (Civ, 3ème, 16 mars 2022, n° 20-16.829, Publié).

 

Les règles relatives à la réception des travaux sont inapplicables au contrat de construction de maison individuelle, lequel n'impose pas une réception par écrit (Civ, 3ème, 21 novembre 2019, n° 14-12.299, Publié). Toutefois, la réception tacite, création jurisprudentielle, est possible (Civ, 3ème, 20 avril 2017, n° 16-10.486, Publié).

 

La réception amiable

 

La réception est une opération contradictoire. Le ou les constructeurs doivent y être conviés par le maître de l'ouvrage, éventuellement assisté du maître d'œuvre, ou représenté par son mandataire, qui en prend l'initiative. Les formes de cette convocation ne sont pas fixées réglementairement, mais les juges, en cas de litige, vérifient qu'elle a été adressée par des moyens effectifs et en temps utile (par exemple : Civ, 3ème, 7 mars 2019, n° 18-12.221). Si plusieurs constructeurs sont intervenus sur l'ouvrage, tous doivent être appelés. 

 

Si le constructeur, bien que dûment convoqué, ne se présente pas, la réception est néanmoins contradictoire (Civ, 3ème, 3 juin 2015, n° 14-17.744, Publié).

 

Le contrat de construction peut organiser les modalités de cette opération de réception, mais, s'agissant d'un contrat conclu entre un professionnel et un particulier, les juges peuvent être appelés à se prononcer sur d'éventuels déséquilibres entre les droits des uns et des autres (Civ, 3ème, 6 mai 2015, n° 13-24.947, Publié).

 

Le contrat peut utilement prévoir une pré-réception, permettant au constructeur de procéder aux reprises nécessaires avant la réception proprement dite.

 

L'opération donne lieu à la rédaction d'un procès-verbal de réception de l'ouvrage.

 

La réception judiciaire

 

Le premier alinéa de l'article 1792-6 dispose qu'à défaut d'être amiable, la réception peut être judiciaire. En conséquence, lorsque les parties ne sont pas disposées à procéder à une réception amiable, la partie la plus diligente peut saisir le juge aux fins qu'il prononce la réception de l'ouvrage, en lui soumettant, de préférence, les constatations détaillées d'un huissier de justice. Cette procédure judiciaire ne peut être conduite que contradictoirement (par exemple : Civ, 3ème, 20 octobre 2021, n° 20-20.428, Publié).

 

Il a été jugé que cette action est un droit à la disposition des parties, dont l'exercice n'implique pas qu'il soit constaté le refus abusif de l'une des parties de procéder à une réception amiable (Civ, 3ème, 12 octobre 2017, n° 15-27.802, Publié).

 

L'action n'est pas à la disposition de l'assureur dommages-ouvrage, celui-ci n'étant pas partie à l'opération de réception (Civ, 3ème, 23 avril 1997, n° 95-18.317, Publié).

 

Le juge saisi, le plus souvent après avoir commis un expert, vérifiera en premier lieu si l'ouvrage est bien en état d'être reçu (Civ, 3ème, 18 octobre 2018, n° 17-24.278). Il manquerait à ses devoirs s'il refusait de prononcer la réception judiciaire alors qu'il a été établi que l'ouvrage de construction à destination d'habitation, est habitable (Civ, 3ème, 24 novembre 2016, n° 15-26.090, Publié ; Civ, 3ème, 2 février 2017, n° 16-11.677). Il va de soi que les désordres peuvent être d'une telle ampleur que l'immeuble ne puisse pas être mis en service et, en conséquence, faire l'objet d'une réception (Civ, 3ème, 11 janvier 2012, n° 10-26.898).

 

Le juge, s'il y a lieu de recevoir l'ouvrage, fixe ensuite la date de la réception. Cette date sera celle à laquelle l'ouvrage a pu commencer d'être utilisé conformément à sa destination (Civ, 3ème, 8 juin 2010, n° 09-69.241). Les constatations de l'expert seront évidemment déterminantes.

 

Enfin, le juge détermine si la réception judiciaire peut être prononcée sans réserve ou doit l'être avec des réserves, et lesquelles.

 

La réception tacite

 

Il a été jugé que le contrat de construction peut valablement exclure toute réception tacite (Civ, 3ème,  31 janvier 2007, n° 05-18.959, Publié), mais aussi qu'il peut en stipuler précisément les conditions (Civ, 3ème, 4 avril 2019, n° 18-12.410, Publié).

 

La jurisprudence sur les conditions de la réception tacite est assez abondante et relativement complexe. L'expert joue évidemment un rôle décisif. Il revient à celle des parties qui invoque une réception tacite, en règle générale le constructeur, d'en rapporter la preuve.

 

La réception tacite, par hypothèse, implique que soit constatée la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir les travaux. A défaut d'une telle volonté, la réception ne pourra qu'être judiciaire.

 

Les règles jurisprudentielles peuvent être ainsi présentées.

 

Comme en matière de réception expresse ou judiciaire, l'achèvement des travaux n'est pas une condition de la réception tacite pourvu que l'ouvrage puisse être utilisé conformément à sa destination. Si la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir est établie, il importe peu que l'ouvrage ne soit pas achevé (Civ, 3ème, 6 juin 2024, n° 22-24.047). Symétriquement, le seul fait que l'ouvrage soit habitable ne suffit pas à établir la volonté non équivoque de recevoir les travaux (Civ, 3ème, 6 juin 2024, n° 22-23.557).

 

Selon une jurisprudence constante, souvent rappelée, il existe une présomption de réception tacite des travaux lorsque le maître de l'ouvrage a pris possession de l'ouvrage et payé la totalité ou la quasi-totalité des travaux (notamment Civ, 3ème, 30 janvier 2019, n°18-10.197, Publié).

 

Cette présomption ne peut être combattue que par des éléments qui caractérisent une volonté non équivoque de ne pas recevoir l'ouvrage (Civ, 3ème, 13 juillet 2016, n°15-17.208, Publié).

 

Il est généralement retenu que la seule prise de possession de l'ouvrage, en l'absence de règlement du solde du marché, ne permet pas de conclure à une réception tacite (Civ, 3ème, 11 avril 2012, n° 11-12.505), cette prise de possession pouvant être inspirée par d'autres considérations que la volonté de recevoir l'ouvrage (par exemple, Civ, 3ème, 8 avril 2014, n° 13-16.250).

 

Cette présomption est de peu de secours, en cas de travaux sur l'existant, lorsque le maître de l'ouvrage n'a pas quitté les lieux (Civ, 3ème, 23 mai 2024, n° 22-22.938, Publié).

 

D'autres indices peuvent être pris en compte : par exemple, la décision du maître de l'ouvrage d'achever lui-même les travaux, ou l'envoi au constructeur d'une lettre de réclamation détaillée, ou la décision de l'entreprise de quitter le chantier (par exemple : Civ, 3ème, 17 juin 2009, n° 08-14.933).

 

Mais ces différents indices doivent tous traduire la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir les travaux (Civ, 3ème, 13 janvier 2009, n° 08-10.254 ; Civ, 3ème, 4 octobre 1989, n° 88-12.061, Publié).

 

En principe, le refus du maître de l'ouvrage de régler le solde des travaux ne permet pas au juge de constater une réception tacite (par exemple : Civ, 3ème, 24 mars 2009, n° 08-12.663). Du fait que le maître de l'ouvrage a contesté fortement la qualité des travaux, peut se déduire, de manière non équivoque l'absence de volonté de recevoir l'ouvrage (Civ, 3ème, 1er avril 2021, n° 20-14.975, Publié ; Civ, 3ème, 14 décembre 2017, n° 16-24.752, Publié), et cela même s'il a réglé le solde des travaux (Civ, 3ème, 24 mars 2016, n° 15-14.830, Publié).

 

Si les conditions d'une réception tacite tenant à la volonté non équivoque de l'ouvrage de recevoir lui paraissent réunies, le juge fixe la date de cette réception. Lorsque plusieurs événements successifs concourent à établir la volonté de recevoir, le juge retient que la date de la réception tacite est celle du dernier de ces événements (Civ, 3ème, 12 novembre 2020, n° 19-18.213, Publié). Bien entendu, le juge doit encore se prononcer sur l'existence ou non de réserves.

 

Les conséquences de la réception

 

La réception, avec ou sans réserve, met fin au contrat d'entreprise liant le constructeur et le maître de l'ouvrage (Civ, 3ème, 6 septembre 2018, n°17-21.155, Publié).

 

A compter du jour de la réception, le maître de l'ouvrage assume tous les risques de l'ouvrage (incendie, vol, dégradations par exemple).

 

La réception constitue le point de départ des délais de mise en jeu des garanties légales, tant vis à vis du ou des constructeurs que de leurs assureurs, pourvu que :

 

-       Soit les désordres n'étaient pas apparents au moment de la réception, mais sont apparus avant le terme du délai de garantie et ont été dûment notifiés au constructeur,

 

-       Soit, si ces désordres étaient apparents à la réception, qu'ils aient fait l'objet de réserves expresses. Le maître de l'ouvrage ne pourra plus faire valoir les garanties légales à l'encontre du constructeur pour les désordres apparents mais non réservés. Ces désordres apparents doivent être tous énumérés et décrits au procès-verbal de réception avec le plus grand soin. Les désordres réservés sont couverts par la garantie de parfait achèvement (Civ, 3ème, 1er février 1989, n° 87-18.555, Publié). Mais la levée des réserves fait disparaître cette garantie de parfait achèvement et ne laisse subsister que les garanties biennale et décennale.

 

Il faut rappeler qu'à défaut de réception, les garanties légales ne peuvent être mobilisées, et le maître de l'ouvrage ne peut mettre en cause que la responsabilité contractuelle pour faute prouvée du constructeur (Civ, 3ème, 7 février 2012, n° 11-11.449).

 

La réception des travaux est également une condition de mise en œuvre de la retenue légale de garantie de 5 % sur le montant des travaux (loi du 16 juillet 1971), si celle-ci a été prévue au contrat de construction, et le point de départ du délai d'une année prescrit pour sa restitution.

 

Court également à compter de la réception des travaux, le délai de dix ans prévu par la loi (article 1792-4-3 du code civil) pour engager la responsabilité contractuelle des constructeurs et de leurs sous-traitants pour les désordres dits intermédiaires.

 

Ces désordres intermédiaires sont les malfaçons non apparentes lors de la réception et apparues avant le terme de ce délai de dix ans, qui ne portent pas atteinte à la solidité de l'immeuble et ne le rendent pas impropre à sa destination, si bien que les constructeurs ne peuvent en être présumés responsables sur le fondement de la garantie décennale (Civ, 3ème, 10 juillet 1978, n° 77-12.595, Publié ; Civ, 3ème, 16 avril 2013, n° 12-18.230 ; Civ, 3ème, 16 janvier 2020, n° 18-22.748). La responsabilité du constructeur ne peut alors être engagée que sur faute prouvée.

 

La perte de l'ouvrage avant la réception des travaux

 

Pour régler la situation d'une perte de l'ouvrage (quelle qu'en soit la cause, par incendie, par exemple) avant sa réception, c'est à dire avant le transfert au maître de l'ouvrage des risques de cet ouvrage et aussi longtemps que l'entrepreneur en conserve la garde, le code civil invite à distinguer selon que l'ouvrier (les textes sont inchangés depuis 1804) a fourni la matière (c'est à dire les matériaux utilisés pour la construction), ou non.

 

Si les matériaux ont été fourni par le constructeur, l'article 1788 du code civil dispose que lorsque la construction vient à périr avant d'être livrée, « la perte en est pour l'ouvrier, (ou son assureur), à moins que le maître ne fût en demeure de recevoir la chose ». Concrètement, le constructeur doit soit restituer au maître de l'ouvrage le coût de la construction, soit reconstruire l'ouvrage (Civ, 3ème ; 28 octobre 1992, n° 90-16.726, Publié). Il ne peut prétendre à aucune rémunération pour les travaux réalisés avant le sinistre (Civ, 3ème, 15 novembre 1995, n° 94-12.100, Publié).

 

Dans le cas d'une maison endommagée par une tempête de grêle avant sa réception, il a été jugé que l'article 1788 du code civil a vocation à s'appliquer même lorsqu'une reconstruction complète de l'ouvrage n'est pas nécessaire (Civ, 3ème, 25 mai 2022, n° 21-15.883, Publié).

 

Cette disposition du code civil n'est pas applicable dans le cas où la perte ou la détérioration de la chose est due à l'inexécution fautive de ses obligations par le constructeur (Civ, 3ème, 13 octobre 2016, n° 15-23.430, Publié). La responsabilité contractuelle de ce constructeur est alors seule engagée.

 

Toutefois, l'article 1788 du code civil n'étant pas d'ordre public, un marché de travaux peut prévoir qu'il y sera dérogé.

 

Dans l'hypothèse (peut-être résiduelle aujourd'hui) où le constructeur n'a pas fourni les matériaux, et si la chose vient à périr avant la réception, le constructeur, aux termes de l'article 1789 du code civil, « n'est tenu que de sa faute ». Dans ce cas, le risque de l'immeuble n'a pas été transféré à l'intervenant.

 

Le texte du code civil instaure en réalité une présomption de responsabilité à la charge du constructeur. Celui-ci doit établir que la disparition de la chose n'est pas de sa faute.

 

Dans une espèce où un incendie était survenu alors que l'entrepreneur était sur les lieux pour poser un radiateur, l'arrêt de la cour d'appel qui l'avait exonéré faute de preuve que l'utilisation d'un chalumeau soit à l'origine du sinistre, est cassé au motif que la cour d'appel n'avait pas constaté que l'entrepreneur rapportait la preuve que l'incendie était survenu sans sa faute (Civ, 3ème, 17 février 1999, n° 95-21.018, Publié ; dans le même sens : Civ, 3ème, 19 mai 2009, n° 18-13.467).


Camille Terrier



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