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Jours et vues

Dernière mise à jour : 4 nov. 2023

Le code civil de 1804 a consacré, au chapitre des servitudes établies par la loi, les articles 675 à 680 aux jours et vues pratiqués sur la propriété du voisin, dans le souci bien moderne de garantir l'intimité de chacun et la tranquillité de tous. Ces dispositions sont parvenues intactes jusqu'à nous, avec leur terminologie désuète et toute leur logique conceptuelle. Elles sont d'application courante. Mais bien qu'apparemment limpides, elles ont suscité une jurisprudence complexe et il arrive que les juges se fourvoient.

Voisinage et mur mitoyen

1. Le mur mitoyen

Aux termes de l'article 675 du code civil : « l'un des voisins ne peut, sans le consentement de l'autre, pratiquer dans le mur mitoyen aucune fenêtre ou ouverture, en quelque manière que ce soit, même à verre dormant ».

L'article 653 du même code définit ainsi le mur mitoyen : « dans les villes et les campagnes, tout mur servant de séparation entre bâtiments jusqu'à l'héberge, ou entre cours et jardins, et même entre enclos dans les champs, est présumé mitoyen s'il n'y a titre ou marque du contraire ». Le mur mitoyen sert de clôture entre deux fonds contigus et est construit sur la limite séparative. Il appartient à deux propriétaires différents. Selon une jurisprudence constante, ce n'est ni une servitude, ni une indivision mais une copropriété.

S'il n'est pas mitoyen, le mur est privatif. Il en est ainsi du mur édifié par un propriétaire à la limite de son fonds et entretenu par lui. Dans ce cas, le code civil de 1804, très favorable au développement de la mitoyenneté pour les avantages qu'elle procure en termes de développement de l'espace urbain, a prévu que le propriétaire du fonds voisin peut exiger d'acquérir la mitoyenneté du mur ou d'une portion de ce mur en remboursant au « maître du mur » (selon la terminologie du code civil) la moitié de ce que ce mur a coûté (article 661 du code civil). Le « maître du mur » ne peut s'opposer à ce qui a été parfois qualifié d'expropriation à des fins d'intérêt privé.

Un mur étant mitoyen, le code civil interdit donc à l'un des voisins d'y pratiquer, sans le consentement de l'autre, une fenêtre ou quelque ouverture que ce soit, même à verre dormant (une fenêtre à verre dormant ne s'ouvre pas et ne laisse passer que la lumière).

Un dispositif d'ouverture consistant en un châssis basculant est prohibé et le constat que ce dispositif exclut les indiscrétions est inopérant (Civ, 3ème, 25 mars 2015, n° 13-28137 Inédit).

Une ouverture constituée de briques translucides scellées dans le mur mitoyen n'est pas prohibée par l'article 675 (Civ, 3ème, 11 mai 1995, n° 93-15917 Inédit).

Cependant, une ouverture illicite dans un mur mitoyen permet d'acquérir une servitude de vue par possession trentenaire dans les conditions de l'article 2261 du code civil (Civ, 3ème, 21 avril 2022, n° 21-12240 Publié ; Civ, 3ème, 10 avril 1975, n° 73-14136 Publié). En effet, une servitude de vue est apparente et continue (jurisprudence ancienne et constante, notamment Civ, 3ème, 1er février 2018, n° 16-27532 Inédit).

La sanction de travaux prohibés par l'article 675 est, en l'absence de prescription acquise, outre des dommages et intérêts pour le trouble de jouissance subi par le voisin, la remise en état. Le juge apprécie souverainement, dans le respect du principe de proportionnalité, s'il y a lieu de procéder à la démolition de l'ouvrage réalisé de manière illicite (Civ, 3ème, 19 juin 1973, n° 72-13096 Publié).

2. Le mur non mitoyen

Le code civil distingue deux séries de règles selon que le mur privatif, non mitoyen, joint immédiatement le fonds voisin, ou non.

2.1. Si le mur privatif joint immédiatement le fonds voisin, c'est à dire s'il a été construit en limite de propriété, l'article 676 dispose que le propriétaire de ce mur peut y pratiquer des « jours ou fenêtres à fer maillé et verre dormant ». L'alinéa 2 de cet article 676 précise que ces ouvertures « doivent être garnies d'un treillis de fer dont les mailles auront un décimètre d'ouverture au plus et d'un châssis à verre dormant ».

Pour l'application de ce texte, les jours ou fenêtres sont donc des ouvertures qui ne laissent passer que la lumière, ne s'ouvrent pas et ne permettent pas de voir à l'extérieur.

En pratique, il peut y avoir débat quant aux caractéristiques techniques de l'ouverture contestée. Le juge apprécie alors souverainement si ces caractéristiques méconnaissent ou non les prescriptions légales (par exemple : Civ, 3ème ; 26 février 1974, n° 72-13235 Publié).

L'article 677 précise que « ces fenêtres ou jours ne peuvent être établis qu'à vingt-six décimètres au-dessus du plancher ou sol de la chambre qu'on veut éclairer, si c'est à rez-de-chaussée, et à dix-neuf décimètres au-dessus du plancher pour les étages supérieurs ».

La jurisprudence a réduit le champ de ce texte en posant pour règle que le juge, qui constate souverainement que les jours dont la suppression est demandée offrent au fonds sur lequel ils donnent des garanties de discrétion suffisante, n'a pas à vérifier leur hauteur par rapport au plancher (Civ, 3ème, 27 mai 2009, n° 08-12819 Publié). En l'espèce, c'est l'utilisation d'un matériau translucide (mais opaque, précise bizarrement cet arrêt), ne permettant que la diffusion de la lumière, qui a été considéré comme présentant des garanties suffisantes de discrétion (dans le même sens : Civ, 3ème, 23 mai 2012, n° 11-15428 Inédit).

2.2. Si le mur privatif ne joint pas immédiatement le fonds voisin et se trouve donc en retrait de la limite séparative, le propriétaire a le droit d'y pratiquer des vues, c'est à dire des fenêtres qui peuvent s'ouvrir et permettent de regarder au dehors. Mais des règles de distances sont alors applicables, qui sont énoncées aux articles 678 à 680 du code civil.

Ces règles ne permettent pas de déroger à celles énoncées dans les plans locaux d'urbanisme ou le règlement d'un lotissement, qui peuvent être plus contraignantes. En revanche, il peut y être dérogé avec l'accord du voisin, un tel accord donnant naissance à une servitude de vue conventionnelle.

Cette servitude de vue, apparente et continue, peut également s'acquérir par prescription trentenaire. Alors qu'en principe nul ne peut prescrire en vertu d'une possession s'établissant sur des actes illicites ou irréguliers (Civ, 3ème, 13 novembre 1969, n° 67-13790 Publié), la Cour de cassation a posé ici une règle distincte : l'absence de déclaration préalable d'urbanisme et le défaut d'autorisation des travaux de percement du mur extérieur d'un immeuble soumis au statut de la copropriété par l'assemblée générale des copropriétaires ne font pas obstacle à l'acquisition par prescription d'une servitude de vue sur le fonds voisin (Civ, 3ème, 21 avril 2022, n° 21-12240 Publié).

Toutefois, en bonne logique, la seule possession trentenaire d'un jour pratiqué dans un mur en limite de propriété, ne fait pas naître, à la charge du voisin, une servitude de vue. Un jour de souffrance, qui ne permet pas la vue, n'est pas susceptible de créer une servitude de vue grevant le fonds voisin (Civ, 3ème, 23 novembre 2022, n° 21-16757 inédit).

Selon une jurisprudence constante, ces règles ne s'appliquent que si les fonds sont contigus. La condition de contiguïté implique deux fonds se joignant et appartenant à des propriétaires différents. Si les fonds sont séparés par un espace privé ou public appartenant à un tiers, les différentes règles énoncées par les articles 676 et suivants du code civil, vues droites, vues obliques, ne peuvent trouver à s'appliquer (Civ, 3ème, 22 mars 1989, n° 87-16753 Publié ; Civ, 3ème, 28 septembre 2005, n° 04-13942 Publié).

Cependant, si l'espace qui sépare les deux fonds est une propriété commune, par exemple dans le cadre d'un ensemble en copropriété, les règles trouvent application (Civ, 3ème, 14 janvier 2004, n° 02-18564 Publié). Il ne suffirait pas que cet espace séparatif entre les deux fonds soit seulement d'un usage commun (Civ, 3ème, 23 novembre 2017, n° 15-26240 Publié).

La première règle, énoncée par l'article 678, se rapporte aux vues droites, autrement dit ce qui peut être vu par un observateur qui se tient à sa fenêtre sans tourner la tête. Une vue droite ne peut être aménagé à moins de 1m90 de la limite de propriété.

L'article 679 énonce la seconde règle qui se rapporte aux vues obliques, c'est à dire ce que voit l'observateur à sa fenêtre en tournant la tête d'un côté ou de l'autre. Dans ce cas, la distance ne doit pas être inférieure à 0,6 m.

L'article 680 apporte une précision sur la mesure de ces distances. La distance se compte depuis le parement extérieur du mur où l'ouverture est faite et, s'il y a un balcon ou une quelconque saillie sur ce mur, depuis leur ligne extérieure jusqu'à la limite de propriété.

Mais la jurisprudence a accru le champ du texte d'origine en retenant que « les limites de création des vues droites s'appliquent aux terrasses et exhaussements » (Civ, 3ème, 22 septembre 2016, n° 15-19790 inédit).

Si ces dispositions légales n'ont pas été respectées, le voisin qui en subit les conséquences peut demander la suppression ou la transformation de l'ouverture irrégulière. Le juge qui constate le caractère irrégulier de la vue créée ne peut qu'ordonner une mesure, quelle qu'elle soit, de nature à supprimer la vue irrégulière. A défaut, il méconnaîtrait ses pouvoirs (Civ, 3ème, 10 septembre 2020, n° 19-12638).

Le juge des référés est le juge naturel de la plupart des litiges qui surviennent à propos des jours et vues. Il peut retenir des circonstances de fait qui lui sont soumises un trouble manifestement illicite et ordonner la mise en conformité des ouvertures (Civ, 3ème, 23 mars 2022, n° 20-21878 inédit ; Civ, 3ème, 12 juillet 2018, n° 16-13601 inédit).

Enfin, il faut se souvenir que des vues, même si elles respectent les règles du code civil et, le cas échéant, celles des documents d'urbanisme applicables, peuvent, selon la configuration des lieux, avoir pour effet de priver le voisin de toute intimité et causent un trouble anormal de voisinage dont il peut être demandé réparation au juge (par exemple : Civ, 3ème, 18 janvier 2011, n° 09-72282 Inédit).


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