Biens en déshérence, biens sans maître et biens abandonnés
- camille7694
- 4 août
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Ces notions mêlent droit civil des biens, droit successoral, droit de l'urbanisme et droit public. Les textes permettent à l'État, aux communes ou à certaines autres personnes morales de droit public de devenir propriétaires d'un bien immobilier sans avoir à conclure une cession à titre onéreux.
La matière a été modifiée par la loi ALUR du 24 mars 2014, puis à nouveau par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 portant diverses mesures (prétendument) de simplification de l'action publique locale.
1. Les biens en déshérence sont ceux relevant d'une succession vacante que l'État revendique pour lui-même (article L1122-1 du CGPPP). Ils ne sont pas des biens sans maître.
Aux termes de l'article L1123-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP), les biens sans maître sont :
Soit des biens relevant d'une succession vacante sur une longue durée de temps,
Soit des biens qui n'ont pas de propriétaire connu.
Ces biens reviennent à l'autorité communale ou intercommunale, sauf circonstances particulières (article L1123-3 du CGPPP).
Les biens abandonnés sont ceux qui sont sans occupant à titre habituel et qui, manifestement, ne sont plus entretenus. La commune peut en poursuivre l'expropriation selon une procédure relativement simplifiée.
Les biens en déshérence
2. Une succession est dite vacante en l'absence d'héritier ou lorsque les héritiers y renoncent, et lorsque personne ne la réclame après l'expiration d'un délai de six mois à compter de son ouverture (article 809 du code civil). Dans cette situation, le président du tribunal judiciaire peut être appelé, par toute personne intéressée (par exemple un créancier), à déclarer la vacance et confier la curatelle de cette succession à l'autorité administrative chargée du domaine (article 809-1).
Ce curateur désigné par la loi est la Direction nationale des interventions domaniales et ses représentations territoriales, qui dépendent de la Direction de l'immobilier de l'État constituée au sein de la Direction générale des Finances publiques.
Il semble que le nombre de successions vacantes croisse année après année. Ce nombre était de 18 644 en 2023, ce qui représente 2 à 3% du nombre des successions ouvertes sur l'année. Les actifs mobiliers et immobiliers en cause, pour cette seule année 2023, se sont élevés à la somme de 357 millions d'euros (Le Monde, 15 septembre 2024 : « Les millions d’euros des héritages non réclamés, une manne précieuse pour le patrimoine français »).
Le service curateur recherche les héritiers, dresse l'inventaire des actifs et passifs de la succession, reçoit les déclarations de créance (articles 809-2 et 809-3), et accomplit toutes les diligences que le président du tribunal judiciaire aura précisées dans son ordonnance. Il vend les biens meubles ou immeubles qui peuvent être suffisamment valorisés, et règles les dettes du défunt jusqu'à épuisement de l'actif. S'il existe un boni de liquidation, la Caisse des dépôts en est destinataire (sur la procédure et les obligations faites au service curateur, voir les articles 1342 et suivants du code de procédure civile). Enfin, le service rend compte au juge de sa gestion. Aux termes de l'article 811-3 du code civil, l'État peut être condamné à des dommages et intérêts s'il est établi par un héritier qu'il n'a pas accompli les formalités qui lui incombent.
3. Les successions en déshérence sont les successions vacantes que l'État réclame pour lui-même, à défaut de tout héritier jusqu'au 6ème degré (grands oncles et tantes, cousins et cousines) et de testament. Il en demande l'envoi en possession au tribunal (articles 724, 811 et suivants du code civil). La procédure est précisée aux articles 1354 et suivants du code de procédure civile. Il est en particulier prévu que le tribunal statue quatre mois après que l'administration ait inséré un avis dans un journal d'annonces légales. L'État se trouve alors dans la même situation qu'un héritier saisi.
Cet envoi en possession de l'État n'est pas irrévocable. En effet, selon l'article 811-2 du code civil, la déshérence prend fin lorsque se présente un héritier qui accepte la succession. Ce droit doit être exercé dans la limite du délai d'option de l'héritier à défaut de sommation, qui est de 10 ans (article 780 du code civil - 30 ans pour les décès survenus avant le 1er janvier 2007).
Les biens sans maître
4. Les biens sans maître sont ceux qui ne relèvent ni d'une succession vacante ni d'une succession en déshérence (au sens des textes évoqués plus haut), et qui sont définis à l'article L1123-1 du CGPPP comme étant :
Soit les biens qui font partie d'une succession ouverte depuis plus de trente ans et pour laquelle aucun successible (héritier) ne s'est présenté, ce délai étant réduit à 10 ans pour les biens situés dans le périmètre de certaines opérations d'urbanisme énumérées au texte ; les règles relatives à ces biens sont fixées par l'article 713 du code civil ;
Soit les immeubles qui n'ont pas de propriétaire connu et pour lesquels les taxes foncières n'ont pas été acquittées depuis plus de trois ans ou ont été acquittées par un tiers ; l'article L1123-3 du CGPPP règle les modalités de leur acquisition par l'autorité publique.
La prescription acquisitive, si ses conditions sont réunies, sont toujours opposables à l'autorité publique.
5. Aux termes de l'article 713 du code civil, un bien sans successible connu sur une durée de 30 ou 10 ans (selon que le bien est ou non situé dans le périmètre de certaines opérations d'urbanisme), appartient de plein droit à la commune sur le territoire de laquelle il est situé, ou à défaut, à un établissement de coopération intercommunale à fiscalité propre (EPCI).
Si la commune et l'EPCI renoncent à exercer leurs droits, la propriété est transférée, selon les cas définis au texte, soit au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres lorsqu'il en fait la demande, à défaut au conservatoire régional d'espaces naturels agréé s'il en fait la demande, et à défaut à l'État.
6. S'agissant des biens dont le propriétaire n'est pas connu et dont la taxe foncière n'a pas été acquittée de plus de trois ans ou l'a été par un tiers, l'article L1123-3 du CGPPP prévoit en premier lieu qu'un arrêté du maire, ou du président de l'EPCI, constate la situation du bien au regard des critères de l'article L1123-1. Si le bien est habité ou exploité, l'arrêté est notifié à l'intéressé. De même, il est notifié au tiers qui s'acquitterait de la taxe foncière.
Si le propriétaire ne se fait pas connaître dans le délai de six mois, l'immeuble est, selon la loi, présumé sans maître. L'article 713 du code civil est alors applicable. La commune ou l'OPCI peuvent alors, sur décision de leur organe délibérant, l'incorporer à leur domaine. A défaut d'une telle décision dans le délai de six mois, la propriété du bien est conférée à l'État, sauf l'un ou l'autre des attributaires particuliers visés au texte, selon l'emplacement du bien.
7. L'acquisition par une autorité publique des biens sans maître définis à l'article L1123-1 du CGPPP peut, aux termes de l'article L2222-20 du CGPPP, être remise en cause si le propriétaire ou ses ayants droits en réclament la restitution.
Mais si la restitution de l'immeuble n'est pas possible pour une quelconque raison (par exemple parce qu'il a été revendu), le véritable propriétaire perçoit une indemnisation représentant la valeur de l'immeuble, à la condition toutefois que ce dernier règle les charges pesant sur le bien et éludées, ainsi que les frais engagés par l'autorité publique pour sa conservation. A défaut d'accord, le juge de l'expropriation est appelé à se prononcer.
Les biens en état d'abandon manifeste
8. Les articles L2243-1 à L2243-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT) traitent du sort des biens immobiliers qui sont sans occupant à titre habituel et qui, manifestement, ne sont plus entretenus. Les voies privées faisant l'objet d'une servitude de passage public sont également visées.
Les textes permettent à une collectivité locale de contraindre un propriétaire à remédier à l'état d'abandon de son immeuble ou, à défaut, de procéder à son expropriation selon une procédure simplifiée.
En premier lieu, le maire de la commune prend un procès-verbal, dit procès-verbal provisoire d'abandon manifeste, faisant état des désordres qui affectent le bien et des mesures qui doivent être prises pour y remédier. Ce procès-verbal fait l'objet des mesures de publicité habituelles. Il doit être notifié au propriétaire si celui-ci peut être identifié.
Pendant ce délai, le propriétaire a pu mettre fin à la situation d'abandon manifeste de son bien en prenant l'engagement de faire les travaux nécessaires. Cet engagement fait l'objet d'une convention avec le maire et fixe le délai de leur réalisation.
Si la situation d'abandon manifeste du bien se trouve confirmée au terme d'un délai de trois mois, ou si le propriétaire s'abstient de réaliser les travaux convenus, le maire prend un nouvel arrêté constatant définitivement l'abandon manifeste du bien et saisit le conseil municipal qui peut décider de poursuivre l'expropriation du bien soit au profit de la commune, soit à celui d'un autre opérateur public ou concessionnaire d'une opération d'aménagement.
La loi précise que l'expropriation ainsi engagée ne pourra poursuivre qu'une opération de construction ou de réhabilitation aux fins d'habitat, ou tout objet d'intérêt collectif relevant d'une opération de restauration, de rénovation ou d'aménagement, y compris, le cas échéant, en vue de l'implantation d'installations industrielles, ou enfin la création de réserves foncières (article L2243-3, premier alinéa, du CGCT).
La procédure d'expropriation simplifiée qui doit alors être mise en œuvre est définie, dans tous les détails de sa chronologie, par l'article L2243-4 du CGCT.
Les effets de cette procédure sont exactement ceux de toute procédure d'expropriation. Tous droits réels ou personnels existant sur le bien exproprié se trouvent éteints (article L222-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique).
Camille Terrier
