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Bail, obligation de délivrance et urbanisme

Dernière mise à jour : 4 nov. 2023



L'obligation de délivrance


L'arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 1er juin 2022 (n° 21-11602 Publié) illustre à nouveau l'importance qu'il convient d'attacher à l'obligation de délivrance qui incombe au bailleur, en particulier en matière de bail commercial.

Dans cette affaire, le locataire de locaux à usage commercial de vente de pizzas à emporter avait, au motif que ces locaux avaient été construits sans permis de construire, demandé la résolution du bail pour manquement du bailleur à l'obligation de délivrance. La cour d'appel a débouté le locataire après avoir relevé que ce locataire, depuis le début du bail, exploitait les locaux conformément à leur destination, que ces locaux étaient d'ailleurs exploités commercialement depuis 1996, et que l'administration ne l'avait pas enjoint de quitter les lieux en raison de leur situation administrative.

La Cour de cassation casse cet arrêt au visa de l'article 1719 du code civil, fondement légal de l'obligation de délivrance qui pèse sur le bailleur en toutes matières. Elle relève que la cour d'appel n'a pas tiré toutes les conséquences légales qui se déduisaient de ses propres constatations. En effet, les juges du fond ont retenu que le défaut de permis de construire affectant le local commercial, dont il n'est pas démontré qu'il puisse être régularisé, est source de troubles d'exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement du commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir.

En d'autres termes, même si le défaut qui affecte les locaux est d'une nature qui n'interdit nullement leur exploitation quotidienne conformément à la clause de destination du bail, mais dès lors que ce défaut suscite des incertitudes quant à l'avenir, voire une menace diffuse ou éventuelle quant à la sécurité juridique du locataire et la certitude de pouvoir continuer d'exploiter, le manquement du bailleur à son obligation de délivrance est alors avéré et la résolution du bail encourue.

L'arrêt commenté est, comme toujours, avare de précisions factuelles. Il est cependant mentionné que les locaux ont été irrégulièrement construits en 1996. À défaut de plus amples précisions, on observera que le trouble subi par le preneur du fait de la situation de l'immeuble au regard des règles de l'urbanisme est plus éventuel que certain. On sait qu'en cette matière, l'action civile visant à faire ordonner la démolition ou la mise en conformité d'un ouvrage édifié ou installé sans l'autorisation exigée le code de l'urbanisme, ou en méconnaissance de cette autorisation, se prescrit par dix ans à compter de l'achèvement des travaux (article L480-4 du code de l'urbanisme). Cette date d'achèvement des travaux peut être établie par un faisceau d'indices concordants (Crim, 24 octobre 2017, n° 16-85066). Lorsque la construction a été réalisée sans le permis de construire alors requis, ne sont imprescriptibles que les droits de l'administration de refuser un permis de construire ou une déclaration de travaux se rapportant au même bâtiment (article L421-9 du Code de l'urbanisme), de refuser son raccordement aux réseaux et sa reconstruction après un sinistre. Ces désagréments, a priori, visent davantage le propriétaire que le locataire commercial.

Quoiqu'il en soit, ce n'est pas la première fois que le non respect par le bailleur d'une prescription générale légale ou réglementaire est considérée par le juge comme un manquement à l'obligation de délivrance.

Le site internet de la Cour de cassation mentionne le seul précédent suivant : Civ, 3ème, 19 décembre 2012, n° 11-28170 Publié. Dans cette affaire, une propriété immobilière constituée d'un ensemble de parcelles en nature de terre, bois et landes avait été donnée à bail pour l'exploitation d'une activité de parc de chasse. Le preneur s'était vu notifier par la direction départementale de l'agriculture une interdiction d'exploiter fondée sur les dispositions de l'article L. 424-3 du code de l'environnement, selon lequel « le propriétaire ou possesseur peut, en tout temps, chasser ou faire chasser le gibier à poil dans ses possessions attenant à une habitation et entourées d'une clôture continue et constante... ». Or, les terres louées ne comportaient pas l'habitation mentionnée par le texte. La cour d'appel avait rejeté la demande au motif inopérant que le bail mettait à la charge du preneur la mise en conformité des lieux avec la réglementation en vigueur. Son arrêt est donc cassé pour manquement du bailleur à l'obligation de délivrance, puisque, dès l'origine, les terres louées ne pouvaient être utilisées conformément à la destination de parc de chasse prévue au bail.

On peut encore citer, sans prétendre être exhaustif :


Civ, 3ème, 10 juin 2015, n° 14-15961 Publié, rendu au visa de l'article L 631-7 du code de la construction et de l'habitation (CCH) qui prévoit l'interdiction dans certaines zones d'affecter un local d'habitation à un autre usage sans autorisation administrative préalable. Dans cette affaire, des locaux à usage d'habitation avaient été donnés à bail pour l'installation d'un office notarial, le preneur faisant son affaire de l'obtention des autorisations nécessaires. Mais ce preneur a préféré assigner la bailleresse en nullité du bail pour violation des dispositions de l'article L 631-7 du CCH. L'arrêt de la cour d'appel qui avait rejeté cette demande est annulé. En effet, selon l'arrêt de la Cour de cassation, l'autorisation administrative exigée par la loi aurait dû être obtenue, par le propriétaire, préalablement à la signature du bail. C'est une déclinaison du principe jurisprudentiel ancien et constant que le bailleur ne peut déléguer au locataire la charge de satisfaire à son obligation de délivrance. En outre, aux termes de la loi, sont nuls de plein droit tous accords ou conventions conclus en violation des dispositions de l'article L 637-1 du CCH.

Civ, 3ème, 28 mai 2008, n° 07-11413, arrêt de cassation rendu au visa de l'article 1719 du code civil. Un bail commercial se rapportant à des parcelles en nature de terre, bois et landes à usage de parc de chasse à rénover disposait que s'il était impossible d'obtenir un certificat d'urbanisme pour la reconstruction des bâtiments existant, le bailleur pourrait délivrer congé avec préavis. Après notification de ce congé, le preneur assigné le bailleur, notamment en dommages et intérêts. La cour d'appel l'a débouté en retenant que l'interdiction d'exploiter n'était pas le fait du bailleur mais celui de la direction départementale de l'agriculture. Un tel motif était à l'évidence inopérant. Le bailleur ne pouvait, sans manquer à l'obligation de délivrance, faire dans le bail réserve d'une autorisation administrative à obtenir.

Civ, 3ème, 28 novembre 2007, n° 06-17758 Publié, rendu dans une espèce où quelques semaines après la signature d'un bail portant sur des locaux commerciaux, le maire de la commune a ordonné la fermeture du commerce pour des raisons de sécurité de l'accueil du public. Le locataire a assigné le bailleur en résiliation du bail et dommages et intérêts. La cour d'appel, approuvée par la Cour de cassation, a fait droit à cette demande au motif en particulier que le bailleur vit commis une faute constitutive d'un manquement à l'obligation de délivrance en ne vérifiant pas, avant le bail, s'il existait un obstacle administratif à l'opération projetée.


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