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L’exception d’inexécution en bail d'habitation




En droit des contrats, l'exception d'inexécution permet à une partie au contrat de refuser d'exécuter, ou de suspendre l'exécution de son obligation si l'autre partie n'exécute pas la sienne, ou n'exécutera pas la sienne à l'échéance, et si cette inexécution est suffisamment grave (articles 1219 et 1220 du code civil tels qu'ils résultent de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016).


La jurisprudence se montre relativement exigeante quant aux conditions d'exercice de l'exception, notamment dans l'appréciation de la nécessaire gravité de l'inexécution. La partie qui soulève l'exception, plutôt que de saisir le juge, le fait toujours à ses risques et périls. Les juges, en effet, voient souvent dans l'exception la volonté de se faire justice à soi-même et ne l'approuvent qu'avec réticence.

 

En droit des baux, l'exception d'inexécution existe au bénéfice du locataire mais à certaines conditions, plus drastiques encore qu'en droit général des contrats.  En effet, la doctrine ancienne de la Cour de cassation, fondée sur l'article 1728 du code civil, veut que l'obligation de paiement du loyer au terme convenu soit centrale dans l'exécution du contrat de bail.

 

Traditionnellement, l'exception n'est admise au bénéfice du locataire qu'à une double condition, que le juge saisi doit expressément relever :


1) que le preneur se trouve dans l'impossibilité d'utiliser les lieux loués et ;

2) que cette situation résulte d'un manquement du bailleur à ses obligations contractuelles.

En d'autres termes, seul le manquement complet du bailleur à son obligation de délivrance peut justifier l'arrêt du paiement des loyers sur le fondement de l'exception d'inexécution.

 

Par exemple, cet arrêt Civ, 3ème, 16 février 2000, n° 98-12435 : « … le non-respect de ses obligations par le bailleur ne permet au locataire de ne pas remplir les siennes que lorsque ce manquement rend impossible la jouissance des lieux loués ... ». Il suffit alors de constater que les locaux ont été habités pour que le locataire soit condamné à payer les loyers (et des dommages et intérêts, outre, le cas échéant, à quitter les lieux).

 

Au moindre doute, le locataire doit, avant de suspendre le paiement, saisir le juge pour obtenir l'autorisation de consigner les loyers. Ainsi, ce locataire n'encourt pas le grief de vouloir se faire justice à lui-même (Civ, 3ème, 5 octobre 2017, n° 16-19614 : « … qu'ayant relevé (...) que M. et Mme Y... se plaignaient de l'existence de désordres affectant les lieux loués, leur interdisant une jouissance paisible, et avaient d'autorité interrompu tout règlement de loyers, sans solliciter l'autorisation judiciaire afin de les consigner, se faisant ainsi justice à elle-même, la cour d'appel (…) en a souverainement déduit que M. et Mme Y... ne pouvaient opposer au bailleur l'exception d'inexécution ».

 

Il ne peut suffire pour le locataire d'invoquer un manquement du bailleur à son obligation contractuelle d'entretien et de travaux (Civ, 3ème, 28 juin 2018, n° 16-27246 : « ... qu'ayant retenu que, si le logement présentait des désordres affectant l'installation électrique et des problèmes d'humidité et d'infiltrations, M. et Mme Y... ne démontraient pas avoir été dans l'impossibilité totale d'habiter les lieux dans lesquels ils s'étaient maintenus jusqu'en juin 2014, la cour d'appel en a souverainement déduit que les locataires ne pouvaient se prévaloir de l'exception d'inexécution pour refuser le paiement des loyers »). Il va de soi que si le locataire est lui-même responsable ou pour partie responsable de la situation qu'il dénonce, il n'est pas admis à invoquer l'exception.

 

Les mêmes principes sont applicables en bail commercial ou professionnel lorsque les locaux sont inexploitables conformément à la clause de destination du bail ou, selon la formule des arrêts, impropres à l'usage auquel il étaient destinés, et ce par la seule faute du bailleur qui a manqué à son obligation de délivrance (Civ, 3ème, 27 février 2020, n° 18-20865 ; Civ, 3ème, 19 novembre 2015, n° 14-24612  ; Civ, 3ème, 9 décembre 2008, n° 07-20985 ; Civ, 3ème, 11 février 2004, n° 02-18162).

 

Le développement ces dernières années des normes relatives au logement (le logement indécent, insalubre, dangereux...), la reconnaissance du droit au logement décent comme objectif de valeur constitutionnelle (Conseil Constitutionnel 19 janv. 1995, n° 94-359 DC) n'ont pas conduit les juges à faire évoluer leur jurisprudence, bien que l'obligation de délivrance qui pèse sur le bailleur s'entend aujourd'hui comme l'obligation de délivrance d'un logement décent.

 

Le locataire d'un logement qui ne remplit pas les critères de décence ne peut donc, sur ce seul fondement, soulever l'exception d'inexécution et suspendre le paiement des loyers. Il lui faut encore prouver que les locaux sont totalement inhabitables en conséquence de l'indécence, par la faute exclusive du bailleur. Un arrêt de la Cour de cassation du 28 mars 2019 (n° 15-17260) évoque la nécessité d'établir « l'impossibilité d'habiter les lieux » pour justifier l'exception d'inexécution soulevée par le locataire à raison de l'indécence des locaux loués. L'arrêt du 28 juin 2018 (n° 16-27246) évoqué plus haut, se réfère à « l'impossibilité totale d'habiter les lieux ».

 

Certes l’arrêt Civ, 3ème, 17 décembre 2015, n° 14-22754 est apparemment dissonant. Cet arrêt énonce « qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que le logement loué avait une surface inférieure à 9 mètres carrés et ne répondait pas aux règles d'habitabilité prévues par la loi et que M. X... n'avait pas respecté son obligation de délivrer un logement décent, la cour d'appel, procédant à la recherche prétendument omise, a souverainement retenu que ce manquement autorisait le locataire à suspendre le paiement des loyers et a légalement justifié sa décision de ce chef ». Dans ce cas de figure d'une surface insuffisante, la Cour de cassation n'exige pas, semble-t-il, la démonstration de l'impossibilité d'habiter pour justifier l'exception d'inexécution. Mais cette situation est bien particulière dans la mesure où le bailleur ne peut remédier à la cause d'indécence et qu'en réalité c'est la légalité du bail qui est en jeu. Ainsi, outre que la décision de publication se rapporte à une autre question traitée par l'arrêt, il vaut mieux s'abstenir en l'état de tirer de cet arrêt quelque conséquence que ce soit.


 Dans un arrêt publié du 6 juillet 2023 (n° 22-15923), la Cour de cassation a réitéré sa doctrine en ces termes : « ne donne pas de base légale à sa décision au regard des articles 1184, alinéa 1, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et 1719 du code civil, la cour d'appel qui retient que l'exception d'inexécution opposée par le locataire est justifiée par le manquement du bailleur à une obligation essentielle du bail sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les locaux loués avaient été rendus impropres à l'usage auquel ils étaient destinés ».


En définitive, et sauf à pouvoir démontrer l'impossibilité absolue d'occuper les lieux loués du fait de la faute du bailleur ou à prendre le risque d'une résiliation du bail par le jeu de la clause résolutoire, le locataire doit s'abstenir de prendre seul l'initiative de suspendre le paiement des loyers sur le fondement de l'exception d'inexécution. Il sera plus avisé de saisir, sur le fondement de l'article 20-1 de la loi du 6 juillet 1989, le juge qui pourra ordonner les travaux nécessaires et jusqu'à la pleine exécution de ces travaux, réduire le montant du loyer ou en suspendre le paiement, avec ou sans consignation.  


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