Le droit de visite et de communication du préfet et du maire
- camille7694
- 13 août
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Cour de cassation, 3ème chambre civile, 28 mai 2025, n° 24-16.592, Publié
1. Les faits à l'origine de cette décision sont les suivants :
Les services de l'urbanisme de la commune de Golfe-Juan sont informés que des travaux de construction sont réalisés sans autorisation administrative préalable sur une parcelle appartenant à une personne morale. Le 25 mars 2022, ils établissent un procès-verbal d'infraction qu'ils notifient à la propriétaire de la parcelle. Cette dernière conteste l'infraction.
Le 6 mai 2022, le maire de la commune prend un arrêté d'interruption immédiate des travaux, lesquels sont cependant poursuivis.
La propriétaire fait savoir à la commune qu'elle refuse à ses agents l'accès à sa propriété pour y faire des constatations. En conséquence, la commune de Golfe-Juan saisit le juge des libertés et de la détention du tribunal de Grasse aux fins d'être autorisée à procéder à une visite domiciliaire de la propriété en cause.
Par une ordonnance du 23 novembre 2022, le juge autorise la visite domiciliaire de la propriété pour constater le cas échéant des infractions au code de l'urbanisme. Les opérations de visite domiciliaire sont conduites le 1er décembre 2022 par les agents de la commune. Un procès-verbal du même jour dresse la liste des travaux irrégulièrement réalisés. Ce procès-verbal est notifié dans les jours qui suivent à la société propriétaire de la parcelle.
Cette dernière interjette appel de l'ordonnance du juge des libertés, dont elle conteste la régularité, et demande l'annulation des opérations de visite ainsi que du procès-verbal de constatations.
2. L'article L461-1 du code de l'urbanisme, dispose pour l'essentiel que l'autorité compétente pour délivrer le permis de construire, d'aménager ou de démolir et pour se prononcer sur un projet faisant l'objet d'une déclaration préalable, selon les circonstances soit le préfet soit le maire de la commune, soit un établissement public de coopération intercommunale par délégation, peuvent visiter les lieux accueillant ou susceptibles d'accueillir des constructions, aménagements, installations et travaux soumis aux dispositions code de l'urbanisme, de manière à vérifier que les dispositions légales et réglementaires sont respectées.
Aux termes de l'article L461-3- I du même code, lorsque l'accès à un domicile ou à un local comprenant des parties à usage d'habitation est refusé, les visites peuvent être autorisées par ordonnance du juge des libertés et de la détention. L'ordonnance comporte l'adresse des lieux à visiter, le nom et la qualité des agents habilités à procéder aux opérations de visite ainsi que les heures auxquelles ces agents sont autorisés à se présenter.
3. Par ordonnance du 6 juin 2024, le premier président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence écarte les griefs allégués par la personne morale propriétaire contre l'ordonnance.
S'agissant des opérations de constatation, la société propriétaire faisait valoir que six agents de police municipale et fonctionnaires de la police nationale étaient présents dans les lieux alors qu'ils n'avaient pas été autorisés par l'ordonnance du juge des libertés.
Le premier président refuse cependant d'annuler les opérations de visite au motif que ces personnes présentes bien que non expressément autorisées par le juge, n'ont pas participé activement aux opérations et devaient seulement assurer que ces opérations se déroulent dans un climat apaisé.
4. A l'appui de son pourvoi, la société propriétaire revenait sur l'irrégularité des opérations de constatation et faisait notamment valoir qu'étaient entré dans les lieux des agents qui n'étaient pas au nombre de ceux limitativement autorisés par l'ordonnance du juge des libertés.
La Cour de cassation fait droit à ce moyen. Elle considère, sur le fondement de l'inviolabilité du domicile, que seuls les agents expressément désignés par l'ordonnance du juge des libertés et de la détention sur le fondement de l'article L461-3 du code de l'urbanisme, peuvent, sans l'assentiment exprès de l'occupant, pénétrer dans un domicile ou un local comprenant des parties à usage d'habitation. Elle en déduit que dès lors qu'est constatée la présence dans le domicile de personnes non autorisées par l'ordonnance, les opérations de visite et constatations sont irrégulièrement conduites et doivent être annulées. Il est indifférent, selon la Cour, que ces personnes présentes bien que non autorisées, ne participent pas aux opérations de contrôle et de constatations et que leur présence ait été souhaitée en raison de l'historique des relations très conflictuelles entre la propriétaire des lieux et les agents de la commune.
5. Cette doctrine de la 3ème chambre civile vise à une protection maximale du domicile du propriétaire visé par les recherches des services locaux de l'urbanisme. A notre avis, la solution ne relevait pas de l'évidence.
En effet, dans le cas d'espèce, les constations autorisées par le juge avaient bien été réalisées par les deux personnes des services de l'urbanisme mentionnées à l'ordonnance du juge des libertés. Le procès-verbal rapportait différentes irrégularités au regard du droit de l'urbanisme. Ce procès-verbal mentionnait aussi la présence, outre du maître des lieux, du directeur de la police municipale et de son adjoint et de quatre fonctionnaires de la police nationale.
Selon l'argumentaire de la commune, la présence de ces policiers était justifiée par le contexte très conflictuel (avec notamment des menaces et plaintes pénales réciproques) dans lequel s'inscrivaient ces constatations. La préoccupation bien compréhensible des services locaux de l'urbanisme était de pouvoir agir sur les lieux en toute sérénité. Il n'était pas allégué que les agents de police aient en quoi que ce soit participé aux constatations. Ces circonstances avaient conduit le premier président de la cour d'appel à valider les opérations.
Rien n'établissait davantage que le propriétaire des lieux s'était opposé à l'entrée dans les lieux des fonctionnaires de police.
6. On pourrait donc s'interroger sur ce qui pourrait être une légère divergence entre la 3ème chambre civile et la chambre criminelle de la Cour de cassation, alors que le même procès-verbal établi selon les règles de l'article L461-1 du code de l'urbanisme peut être à l'origine d'une action administrative ou de poursuites pénales ou des deux.
Dans une affaire jugée par la chambre criminelle le 3 décembre 2019 (n° 19-80613, non publié), un procès-verbal avait été établi par le maire de la commune, personne habilitée au titre de l'article L461-1 du code de l'urbanisme, qui était entré dans les lieux sans opposition du propriétaire ce qui dispensait de requérir une autorisation par ordonnance du juge des libertés. Ce maire était cependant accompagné d'un géomètre-expert, personne non habilitée. Sur ce fondement de la présence d'une personne non habilitée, la régularité du procès-verbal était contestée. Le géomètre-expert avait pris part ou préparé les constatations rapportées par le maire dans son procès-verbal.
La Cour de cassation a rejeté cette contestation au double motif que, d'une part, le propriétaire des lieux n'avait manifesté aucune opposition à la présence d'une tierce personne accompagnant le maire, et d'autre part que seul celui-ci, dûment habilité, après avoir procédé ou fait procéder aux vérifications nécessaires, avait dressé procès-verbal.
On peut se demander si les mêmes considérations auraient pu conduire, dans l'arrêt commenté, la 3ème chambre civile à valider le procès-verbal contesté.
A défaut, cette jurisprudence peut rendre difficile les constations réalisées sur le fondement des articles L461-1 et L461-3 du code de l'urbanisme, dans un contexte conflictuel devenu relativement fréquent. Comme à son habitude, la Cour de cassation ne préconise aucune solution au problème qu'elle pose.
On doit en effet considérer, à notre avis, que le juge des libertés ne tient pas de la loi la prérogative de permettre l'entrée dans les lieux de personnes non habilitées au titre de l'article L461-1. Le magistrat n'aurait donc pu valablement prévoir que des agents et fonctionnaires de police puissent accompagner les personnes habilitées selon la loi.
Reste bien entendu, la possibilité que les agents et fonctionnaires de police stationnent à l'extérieur des lieux pendant les constatations et n'y pénètrent que s'ils sont appelés pour un flagrant délit. Une modalité à rebours des doctrines habituelles qui préconisent la dissuasion et la prévention.
Camille Terrier
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