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Travaux réalisés par le locataire en lieu et place du bailleur


(ou par le bailleur en lieu et place du locataire)


Selon une jurisprudence ancienne et constante, fondée sur l’ancien article 1144 du code civil (« le créancier peut aussi, en cas d'inexécution, être autorisé à faire exécuter lui-même l'obligation aux dépens du débiteur »), le bailleur n’est pas tenu des travaux, même de ceux qui lui incomberaient aux termes de la loi ou des clauses du bail, que le preneur a, sauf urgence, réalisés ou fait réaliser de son propre chef, sans avoir obtenu son consentement ou, à défaut de ce consentement, sans y avoir été autorisé en justice.


La formule des arrêts est usuellement la suivante «… sauf urgence, le bailleur ne doit rembourser au preneur les travaux dont il est tenu que s'il a été préalablement mis en demeure de les réaliser et, à défaut d'accord, que si le preneur a obtenu une autorisation judiciaire de se substituer à lui » (notamment Civ, 3ème, 9 février 2017, n° 15-19678).


Et réciproquement : il est jugé que dans le cas de travaux rendus nécessaires par un défaut d'entretien incombant au locataire, le bailleur qui s'est substitué à ce dernier pour réaliser les travaux, a perdu le droit d'en demander le remboursement s'il n'avait pas pris la précaution de solliciter une autorisation judiciaire (Civ, 3ème, 23 avril 2013, n° 11-27798).


1. L'obligation dite de délivrance énoncée aux articles 1719 et 1720 du code civil qui imposent à tout bailleur, quelle que soit la nature du bail, de délivrer au preneur la chose louée (et, s'il s'agit de l'habitation principale, un logement décent), de l'entretenir en état de servir à l'usage pour laquelle elle a été louée, et d'en assurer la jouissance paisible par le preneur, est, selon le droit classique des obligations, une obligation de faire. En matière de bail d'habitation à titre principal, l'obligation à la charge du bailleur est énoncée à l'article 6 de la loi du 6 juillet 1989.


Une telle obligation peut donner lieu à exécution forcée en cas de défaillance du débiteur. Cette exécution forcée peut intervenir soit en nature, c'est à dire par la délivrance de ce à quoi s'était engagé le débiteur, soit par équivalent, c'est à dire par le versement au créancier d'une certaine somme d'argent à titre de compensation.


Le code civil de 1804 avait posé la règle générale que toute obligation de faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur (ancien article 1142 du code civil). Toutefois, la demande d'exécution forcée en nature était admise, en quelque sorte par exception, au bénéfice du créancier autorisé à exécuter lui-même l'obligation aux dépens du débiteur (ancien article 1144 du code civil).


Cependant, la jurisprudence a modifié ces équilibres en restreignant le champ d'application de l'ancien article 1142, et en faisant de l'exécution forcée en nature le principe général, sauf impossibilité d'exécution, matérielle, juridique ou morale. La réforme du droit des obligations par l'ordonnance du 10 février 2016 est venue consacrer ces principes jurisprudentiels constants.


Le nouvel article 1221 du code civil consacre la règle que « le créancier d’une obligation peut, après mise en demeure, en poursuivre l’exécution en nature sauf si cette exécution est impossible ou s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier ». La distinction classique des obligations de faire, de ne pas faire et de donner est abandonnée.


Le nouvel article 1222 reprend, en la complétant, la matière de l'ancien article 1144 : « Après mise en demeure, le créancier peut aussi, dans un délai et à un coût raisonnables, faire exécuter lui-même l’obligation ou, sur autorisation préalable du juge, détruire ce qui a été fait en violation de celle-ci. Il peut demander au débiteur le remboursement des sommes engagées à cette fin. Il peut aussi demander en justice que le débiteur avance les sommes nécessaires à cette exécution ou à cette destruction ».


2. Si à ce jour, en matière de gros travaux réalisés par le preneur à bail, la Cour de cassation n'a pas encore eu l'occasion de se prononcer sur le fondement des nouveaux textes du code civil, il n'existe aucune raison que sa jurisprudence évolue.


En conséquence, pour le locataire, et quelle que soit la nature du bail, en présence d'un bailleur qui s'abstient de réaliser les travaux de réparation ou de gros entretien qui lui incombent, la manière de faire, orthodoxe et sûre est donc :


a) de mettre en demeure le bailleur, par courrier recommandé, de réaliser les travaux qui lui incombent et dans un délai raisonnable fixé,

A ce stade, preneur et bailleur peuvent convenir que le premier fera réaliser les travaux que le second financera, ou tout autre accord les satisfaisant.


et b) en l'absence de réaction du bailleur au terme de ce délai raisonnable, de l'assigner pour se voir autorisé à procéder soi-même aux travaux et voir condamner le bailleur à les financer en avançant les sommes provisionnelles nécessaires à leur exécution.


Il ne semble pas, et c'est logique, que le juge puisse être valablement saisi en l'absence de mise en demeure préalable.


Le coût des travaux que le bailleur peut être condamné à avancer au preneur ne caractérise pas l'indemnisation d'un préjudice, mais une avance sur l'exécution des travaux. Si ces travaux ne peuvent être réalisés, par exemple si le preneur à bail commercial est placé en liquidation judiciaire, la créance n'est pas acquise au bénéfice de la liquidation (Civ, 3ème, 6 avril 2023, n° 19-14118, Publié). Il en résulte aussi que le bailleur qui a versé l'avance sur travaux à un preneur qui, sans motif légitime, s'abstient de les réaliser, peut demander la condamnation de ce preneur à réaliser sous astreinte les travaux financés (Civ, 3ème, 21 décembre 2017, n° 15-24430 Publié).


Le locataire peut aussi, et c'est la règle usuelle, demander à cette occasion l'indemnisation de son trouble de jouissance.


Le preneur peut encore demander que le bailleur soit condamné à réaliser lui-même sous astreinte les travaux qui lui incombent (Civ, 3ème, 21 décembre 2017, n° 15-24430, Publié).


Dans l'hypothèse où les locaux loués sont, en raison de l'inaction du bailleur à réaliser les travaux qui lui incombent, impropres à l'usage auquel ils sont contractuellement destinés, le preneur peut demander au juge de prononcer la diminution du montant des loyers ou la suspension de leur paiement, avec ou sans consignation, aussi longtemps que les travaux n'auront pas été réalisés. En pratique, cette diminution du loyer est subordonnée à une double condition de durée des travaux et de privation d'une partie de la chose louée (par exemple, Civ, 3ème, 6 juillet 2017, n° 15-25975).


Il a été jugé que l'allocation au preneur par le juge de la mise en état d'une provision en vue de la réalisation de travaux incombant au bailleur, vaut nécessairement autorisation de les effectuer (Civ, 3ème, 7 juillet 2016, n° 15-18306, Publié).


Faute pour le locataire d'observer cette manière de faire, le bailleur pourrait obtenir d'être dispensé du financement de ces travaux, voire la condamnation du locataire à remettre les lieux en l'état. L'erreur du preneur qui prendrait l'initiative des travaux revenant au bailleur en escomptant en être ensuite remboursé, est évidemment une aubaine pour ce bailleur.


3. En principe, il importe peu que les travaux en cause aient un caractère légalement obligatoire, comme par exemple des travaux de mise aux normes d'accessibilité pour les personnes handicapées (Civ, 3ème, 30 juin 2021, n° 20-17399). Ce caractère obligatoire ne dispense nullement le preneur d'observer la procédure décrite ci-dessus. Il en va de même dans le cas de travaux dont le caractère nécessaire aurait été établi dans le cadre d'une opération d'expertise (Civ, 3ème, 29 septembre 2015, n° 14-17913).


Seule l'urgence à réaliser les travaux justifie que le locataire qui les a réalisés soit dispensé d'une autorisation judiciaire préalable. Il a été jugé que des travaux de sécurité incendie prescrits par une commission communale de sécurité pouvaient présenter ce caractère d'urgence (Civ, 3ème, 13 décembre 2018, n° 17-27676) ; de même s'agissant du remplacement d'un chauffe-eau vétuste et hors service dans un local d'habitation en raison de la carence du bailleur (Civ, 3ème, 12 juin 2001, n° 99-21127).


Néanmoins, et si la question est soulevée devant lui, le juge devra rechercher si les travaux, même justifiés par l'urgence, ont été réalisés au meilleur coût, faute de quoi ils pourraient n'être que partiellement remboursés (l'arrêt cité n° 99-21127 du 12 juin 2001).


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