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Le départ à la retraite du locataire commercial

Usuellement, la personne qui exploite un fonds de commerce dans des locaux pris à bail et décide de prendre sa retraite, va céder son fonds avec le droit au bail. Le bailleur ne peut s'opposer à cette opération qui bénéficie d'ailleurs d'une exonération des plus-values à certaines conditions. Mais la clause de destination du bail, qui oblige l'acquéreur, peut être un obstacle à une telle cession et il est alors plus avantageux pour le commerçant de ne céder que le droit au bail, s'il obtient la déspécialisation de l'activité autorisée dans les lieux.


Dans cette perspective, le statut des baux commerciaux comporte deux dispositions visant à faciliter le départ des locataires souhaitant prendre leur retraite, qui n'ont pas trouvé de repreneur et entendent ne céder que le seul droit au bail.



Le congé pour retraite


La première de ces dispositions est énoncée à l’article L.145-4 du code de commerce (relatif à la durée du bail commercial), alinéa 4, et dispose que le preneur qui a demandé à bénéficier de ses droits à la retraite du régime social auquel il est affilié ou qui a été admis au bénéfice d’une pension d’invalidité attribuée dans le cadre de ce régime social, peut donner congé à tout moment, et donc même s'il n'est pas au terme d'une période triennale, en respectant toutefois certaines conditions de délais (préavis de six mois au moins) et de forme (lettre recommandée avec accusé de réception ou acte d'huissier).


Cette disposition simple et claire ne suscite pas en général de difficulté. La condition de forme (LRAR) est impérative. Un congé par lettre simple serait de nul effet (Civ, 3ème, 23 juin 2009, n° 08-10366).


Un tel congé implique bien entendu pour le locataire de renoncer à toute chance de percevoir une indemnité d'éviction. Par ailleurs, les aménagements réalisés pendant le cours du bail deviennent la propriété du bailleur.

Sont concernés par ces dispositions les commerçants, personnes physiques, mais aussi, et limitativement, à l'associé unique d'une entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, ou au gérant majoritaire depuis au moins deux ans d'une société à responsabilité limitée, lorsque celle-ci est titulaire du bail (L.145-4 dernier alinéa).

Il a été jugé que le dispositif bénéficie également au locataire en situation de cumul de la retraite de base et d'une activité professionnelle dans les conditions de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 et qui demande à bénéficier de sa retraite complémentaire (Civ, 3ème, 23 novembre 2011, n°10-25108 Publié).


La Cour de cassation a encore jugé que lorsque des époux sont cotitulaires d'un bail commercial, la circonstance que seul l'un des deux demande à bénéficier de ses droits à la retraite, les autorise à demander le bénéfice du dispositif (Civ, 3ème, 30 janvier 1991, n°89-11313).


Depuis la loi Pinel du 18 juin 2014, les ayants droit du preneur décédé peuvent également notifier ce congé.


La cession déspecialisation


La seconde disposition du statut des baux commerciaux qui vise à faciliter le départ à la retraite du commerçant locataire, est la matière de l’article L.145-51 qui organise une voie particulière de déspécialisation des locaux loués, en permettant au preneur qui a demandé à bénéficier de ses droits à la retraite ou a été admis au bénéfice d’une pension d’invalidité, de céder son seul droit au bail tout en le valorisant par un changement d’activité.


On sait que les baux commerciaux comportent une clause de destination, plus ou moins précise, visant l’activité ou les activités dont l’exercice est autorisé dans les locaux loués. Une telle clause oblige le locataire, et, le cas échéant, son successeur, et toute violation peut être sanctionnée par la résiliation du bail. Si, aux termes de l’article L.145-47, le preneur peut adjoindre à l’activité prévue au bail des activités connexes ou complémentaires, il doit en aviser le bailleur qui peut en contester le caractère connexe ou complémentaire.


Cette procédure est généralement désignée comme une déspécialisation partielle.


La déspécialisation plénière est le droit que le bailleur accorde au preneur de changer totalement d’activité (avec création d’un nouveau fonds de commerce) ou d’ajouter à son activité première une nouvelle activité sans rapport avec cette dernière. Les conditions et la procédure en sont précisées par les articles L.145-48 et suivants du code de commerce, toutes dispositions qui sont d’ordre public. Il a été jugé que les dispositions de l'article L.145-51 du code de commerce sont applicables à l'usufruitier du droit au bail commercial qui est immatriculé au registre du commerce et des sociétés pour le fonds qu'il exploite dans les lieux loués et qui justifie de l'accord des nus-propriétaires pour la cession du bail (Civ, 3ème, 6 février 2013, n° 11-24708 Publié).


Le texte prévoit que la déspécialisation peut être autorisée eu égard à la conjoncture économique et aux nécessités de l’organisation rationnelle de la distribution. En d’autres termes, le texte ouvre au preneur la possibilité d’exercer une activité plus rentable que celle définie au bail. La nouvelle activité envisagée doit être cependant compatible avec les caractères et la destination de l’immeuble. Elle implique l'autorisation du bailleur.


La procédure de déspécialisation est assez stricte. La loi exige une demande du locataire, formalisée par LRAR ou acte d'huissier, le bailleur devant y répondre dans le délai de trois mois, faute de quoi il serait réputé l’avoir acceptée (article L.145-49). Le refus du bailleur doit être fondé sur un motif grave et légitime, faute de quoi le tribunal judiciaire peut l'autoriser (article L.145-52). La contrepartie de la déspécialisation plénière consentie par le bailleur peut tenir, d’une part, au paiement par le preneur d’une indemnité, d’autre part, à une modification du prix du bail (article L.145-50). Ces dispositions sont aujourd’hui peu utilisées dans la pratique.


L’article L.145-51 institue donc une voie particulière de cession du droit au bail avec déspécialisation plénière, au bénéfice du commerçant âgé désireux de prendre sa retraite. Certains de ces commerçants peuvent rencontrer des difficultés à céder un fonds de commerce, peut-être ancien et manquant d’attrait. La cession du seul droit au bail, sans le fonds de commerce, pour l’exercice par le cessionnaire d’une nouvelle activité, est l'ultime chance pour le commerçant de capitaliser une vie de travail.


La condition légale à la cession / déspécialisation est que le preneur ait demandé à bénéficier de ses droits à la retraite du régime social auquel il est affilié, ou d’être admis au bénéfice d’une pension d’invalidité attribuée par le régime d'assurance invalidité-décès des professions artisanales ou des professions industrielles et commerciales. Ces conditions sont identiques à celles prévues à l’article L.145-4 pour le congé à tout moment.


La procédure est définie par les articles L.145-51 et suivants du code de commerce, qui doivent être scrupuleusement observés. Elle oblige le bailleur à faire des choix de gestion du bail qui ne sont pas toujours simples. Pendant le cours de cette procédure, le locataire doit respecter ses obligations contractuelles, notamment l'obligation d'exploiter si le bail la stipule (Civ, 3ème, 7 novembre 1990, n° 8914561 Publié).


Le preneur doit signifier au bailleur (ainsi qu’aux créanciers inscrits sur le fonds de commerce), par acte extrajudiciaire, son intention d’user de la faculté de l’article L.145-51, c’est à dire de céder son seul droit au bail pour l’exercice d’une autre activité que celle prévu au bail. Il doit indiquer la nature des activités dont l’exercice est envisagé dans les locaux loués, ainsi que le prix de la cession envisagée. Il a été jugé que la convention projetée entre le locataire cédant et le cessionnaire éventuel du droit au bail, n'a pas à être communiquée au bailleur (Civ, 3ème, 16 janvier 2002, n° 00-15252 Publié).


La nature des activités dont l'exercice est envisagé doit être compatible avec la destination, les caractères et la situation de l'immeuble (L.145-51, alinéa 2). Cette prescription légale est importante et c'est sur elle que se nouent le plus souvent les litiges.


Les options ouvertes par la loi au bailleur


Le bailleur doit choisir l'une de ces trois options :


Il peut accepter expressément la cession/déspécialisation notifiée par le locataire, ou s'abstenir de toute réaction, son accord étant alors réputé acquis au terme d'un délai de deux mois ;


Ou, dans le délai de deux mois, le bailleur peut faire connaître au preneur son intention d’acquérir par priorité le droit au bail aux conditions fixées dans la signification ;


Ou, dans ce même délai de deux mois, il exerce un droit d’opposition en invoquant un motif grave et légitime, et assigne le locataire devant le tribunal judiciaire.


Le bailleur, à moins d’établir une fraude du locataire, qui, en réalité, ne prendrait pas sa retraite, ne peut fonder son opposition à la cession/déspécialisation que sur l’incompatibilité entre la nouvelle activité envisagée et les caractères, la destination et la situation de l’immeuble.


La jurisprudence n'a pas clairement tranché la question de savoir si l’article L.145-5I institue un régime de déspécialisation autonome ou si les autres dispositions générales relatives à la déspécialisation lui sont applicables, en particulier celles de l’article L.145-50 qui ouvre au bailleur le droit à une indemnité (à la condition d’établir un préjudice) et à une modification du prix du bail.


Des décisions divergentes ont été prises et la doctrine n'est pas unanime. Mais il semble bien que l'esprit de la loi, qui vise à faciliter le départ à la retraite des commerçants âgés, conduit à écarter la possibilité pour le bailleur de demander une modification du prix du bail et/ou une indemnité à l’occasion d'une cession/déspécialisation.


D'autant que cette déspécialisation ouvrira au bailleur le droit de demander le déplafonnement du loyer lors du prochain renouvellement du bail. Il a été jugé en effet que si la cession du droit au bail dans les conditions de l'article L.145-51 du code de commerce emporte, malgré la déspécialisation, le maintien du loyer jusqu'au terme du bail, elle ne prive pas le bailleur du droit d'invoquer le changement de destination intervenu au cours du bail expiré au soutien d'une demande en fixation du loyer du bail renouvelé (Civ, 3ème, 15 février 2013, n° 21-25849 Publié).


L'abus de droit commis par le bailleur


L'opposition du bailleur à la cession/déspécialisation peut avoir cet effet de faire échouer la cession du droit au bail envisagée par le preneur, l'acquéreur du droit au bail pressenti se retirant sous l'effet de l'incertitude suscitée par la position adoptée par le bailleur. En outre, le locataire, qui a liquidé ses droits à la retraite, doit cesser son activité et peut perdre ainsi irrémédiablement la valeur du droit au bail. Si le bailleur n'est pas en mesure de justifier des motifs graves et légitimes invoqués, il peut être condamné à réparer le préjudice qu'il aura ainsi causé au locataire. Les juges sont souvent, à son égard, plutôt sévères.


C'est sur le fondement de l'abus de droit que la responsabilité du bailleur peut être retenue. Le préjudice indemnisable du preneur est caractérisé par la perte de chance de voir la cession du droit au bail réalisée, et de préparer son départ à la retraite dans de bonnes conditions.


Il existe différents exemples en jurisprudence.


Un arrêt de la Cour de cassation (Civ, 3ème, 16 janvier 2002, n° 00-15252 Publié) est ainsi motivé : « Attendu que les consorts Janer font grief à l'arrêt de les condamner in solidum à payer à M. Magot la somme de 80 000 francs à titre de dommages-intérêts toutes causes de préjudice confondues alors, selon le moyen, que ce n'est que lorsqu'il dégénère en abus que le droit d'ester en justice peut être sanctionné par des dommages et intérêts ; qu'en condamnant les consorts Janer à payer à M. Magot une indemnité toutes causes de préjudice confondues, y compris en réparation du préjudice lié aux tracas de la présente procédure, sans constater en quoi ils auraient commis un abus dans l'exercice de leur droit de s'opposer à la demande de déspécialisation de leur locataire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; /


Mais attendu qu'ayant relevé que l'opposition des bailleurs apparaissait d'autant plus injustifiée et de mauvaise foi qu'ils produisaient eux-même un courrier d'une étude de notaire et une attestation d'où il résultait que, dans l'immeuble en cause, était déjà pratiquée une activité d'esthéticienne, ce qui ruinait leur argumentation sur la destination de l'immeuble, la cour d'appel a légalement justifié sa décision de ce chef en en déduisant que ce refus injustifié était générateur de responsabilité et conduisait à la condamnation des consorts Janer au paiement de dommages et intérêts ».


La Cour de cassation veille à ce que les juges caractérisent précisément, par un examen serré des circonstances de fait, la faute du bailleur et la perte de chance de voir la cession aboutir subie par le locataire (par exemple, Civ, 3ème, 23 novembre 2011, n° 10-25108 Publié ; Civ, 3ème, 1er avril 2008, n° 07-11736 Inédit ; ou Civ, 3ème, 30 janvier 1991, n° 89-11313 Inédit).

L'exercice du droit d'opposition par le bailleur à la cession/déspécialisation doit donc être envisagé avec prudence et ne peut se fonder que sur une incompatibilité de la nouvelle activité avec les caractères, la destination et la situation de l’immeuble, documentée et incontestable.


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