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Le bail d'habitation : prêt, sous-location, cession, hébergement d'un tiers



« … En bas, M. Gourd criait :

— Je vous dis que vous ne passerez pas !… Le propriétaire est prévenu. Il va descendre vous flanquer lui-même à la porte.

— De quoi ? à la porte ! répondit une grosse voix. Est-ce que je ne paie pas mon terme ?… Passe, Amélie, et si monsieur te touche, nous allons rire !

C’était l’ouvrier d’en haut, qui rentrait avec la femme, chassée le matin. (...)

Malgré ses mauvaises jambes, madame Gourd était allée chercher le propriétaire (...). Il descendait. Octave l’entendit répéter furieusement :

— C’est un scandale ! c’est une horreur !… Jamais je ne permettrai ça chez moi !

Et, s’adressant à l’ouvrier, que sa présence parut intimider d’abord :

— Renvoyez cette femme, tout de suite, tout de suite… Entendez-vous ! nous ne voulons pas de femmes dans la maison.

— Mais c’est la mienne ! répondit l’ouvrier effaré. Elle est en place, elle vient une fois par mois, quand ses maîtres le permettent… En voilà une histoire ! Ce n’est pas vous qui m’empêcherez de coucher avec ma femme, peut-être !

Du coup, le concierge et le propriétaire perdirent la tête.

- Je vous donne congé, bégayait M. Vabre. Et, en attendant, je vous défends de prendre mon immeuble pour un mauvais lieu… Gourd, jetez donc cette créature sur le trottoir… Oui, monsieur, je n’aime pas les mauvaises plaisanteries. On le dit, quand on est marié… Taisez-vous, ne me manquez pas de respect davantage ! »

Emile Zola, Pot-Bouille, chapitre VI.

 

L'usage du local loué que prévoit le contrat de bail de la loi du 6 juillet 1989 est celui de résidence principale du preneur. La signature d'un bail d'habitation emporte donc obligation, sauf motifs légitimes, d'habiter personnellement les lieux comme résidence principale, même en l'absence d'une clause contractuelle expresse en ce sens.


La loi ne le dit pas expressément mais la jurisprudence dominante est en ce sens depuis longtemps, même s'il existe quelques décisions de cours d'appel en sens opposé. C'est d'ailleurs une curiosité que la solution soit différente en bail commercial : si l'obligation d'exploiter un fonds de commerce est une condition de l'application du statut des baux commerciaux, le défaut d'exploitation n'est pas une cause de résiliation du bail si le bail ne prévoit pas expressément cette obligation (Civ, 3ème, 10 juin 2009, n° 07-18618).


Toutefois, cela ne signifie pas que l'occupation du logement par le preneur doive être permanente. Elle peut être intermittente pourvu que le logement demeure la résidence principale du preneur.


A la différence de la loi de 1948 qui, en son article 10, subordonne le droit au maintien dans les lieux à une occupation effective de huit mois par année de location, la loi de 1989 ne prévoit aucune durée minimale annuelle d'occupation.

 

En cas de litige sur l'occupation des locaux, les juges apprécieront selon les indices que les parties auront pu réunir. S'il est établi que le preneur n'occupe plus le logement comme résidence principale, la conséquence peut en être la résiliation du bail.


On sait que la loi (article 8 de la loi du 6 juillet 1989) prohibe la cession du contrat de bail et la sous-location sauf l'accord écrit du bailleur. Mais, selon les circonstances, le bail peut encore prévoir d'autres restrictions à l'usage des lieux loués.

 

Les cours d'appel admettent couramment que le bail interdise le prêt gratuit même temporaire du logement à un tiers, sauf l'accord exprès et par écrit du bailleur. La Cour de cassation a admis la licéité d'une telle clause (Civ, 3ème, 1er octobre 1997, n° 95-18950), même si cette clause vise aussi des prêts de courte durée (Civ, 3ème, 1er octobre 1997, n° 95-18950) et même si le logement est prêté à un membre de la famille du preneur (Civ, 3ème, 10 mars 2010, n° 09-09412 : « Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel a retenu à bon droit que la stipulation contractuelle interdisant le prêt des lieux à un tiers sans le consentement exprès et par écrit du bailleur, était licite, ne faisait pas obstacle, conformément aux dispositions de l'article 8 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, à ce que le preneur héberge un membre de sa famille mais prohibait qu'il mette les locaux à la disposition d'un tiers, quel qu'il soit, si lui-même n'occupait plus effectivement les locaux »).

 

En pratique et dans l'esprit des juges, ces clauses contractuelles prohibant le prêt gratuit du logement visent essentiellement à garantir le respect de l'interdiction légale de sous-louer et de céder le bail dont la preuve peut être malaisée à établir.


Toutefois, la Commission des clauses abusives, dans une recommandation n° 2000-01 du 17 février 2000 qui ne concerne que les baux établis par par des bailleurs professionnels, a constaté que « de nombreux contrats interdisent au locataire à peine de résiliation du bail de faire occuper les lieux loués, même temporairement, par des personnes autres que son conjoint, ses ascendants ou descendants à charge vivant habituellement à son foyer et les employés de maison à son service ; que d’autres contrats limitent l’usage du logement « aux personnes déclarées au bail ainsi qu’aux enfants à naître » et formulé l'avis « que de telles clauses, de par leur généralité, sont de nature à entraîner au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ».


À défaut de clause du bail l'interdisant expressément, le prêt du logement à un tiers est permis, pourvu qu'il soit temporaire et gratuit car l'existence d'une contrepartie caractériserait une sous-location (Civ, 3ème, 5 mai 1999, n° 97-15598) et pourvu que le locataire conserve sa résidence principale dans les lieux loués.


L'interdiction que certains baux d'habitation (sans doute du type de celui auquel se réfère le propriétaire de Pot-Bouille) pouvaient faire au locataire d'héberger un tiers dans les locaux loués, a appelé des solutions différentes, puisque dans ce cas de figure, le preneur continue d'habiter les locaux.


Longtemps et jusqu'à une période relativement récente, les juges ont admis qu'une clause du bail interdisant au locataire d'héberger des tiers, quels qu'ils soient, était parfaitement licite (notamment Civ, 3ème, 10 juillet 1991, n° 90-11161).  Ce n'était qu'en l'absence de clause contraire que le locataire pouvait héberger dans les lieux loués des membres de sa famille (un descendant et la famille de celui-ci par exemple).


Par la suite, les juges ont admis qu'aucune clause contractuelle ne pouvait interdire au locataire d'héberger ses descendants, si du moins ce locataire conservait son habitation dans les lieux loués et si l'hébergement familial ne pouvait masquer une sous location prohibée (Civ, 3ème, 14 décembre 1994). Cette jurisprudence est maintenant fondée sur l'article 8§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance »).


Ainsi, les clauses d'un bail d'habitation ne peuvent priver le preneur de la possibilité d'héberger ses proches (Civ, 3ème, 22 mars 2006 ; Civ, 3ème, 6 mars 1996, n° 93-11113).


La loi portant engagement national pour le logement du 13 juillet 2006 a créé un article 4 n) de la loi du 6 juillet 1989 selon lequel doit être réputée non écrite toute clause « qui interdit au locataire d'héberger des personnes ne vivant pas habituellement avec lui ».


En l'état du droit, les règles relatives à l'occupation du logement loué peuvent donc être formulées comme suit :


  • Obligation du preneur d'habiter à titre de résidence principale, fut-ce de manière intermittente, même en l'absence de clause expresse du bail ;

  • Prohibition légale de la cession du bail et de la sous-location sauf accord écrit du bailleur, effective même en l'absence de clause expresse du bail ;

  • Possibilité d'héberger un tiers, quel qu'il soit, toute clause contraire du bail étant réputée non écrite ;

  • Licéité de la clause prohibant, sauf l'accord écrit du bailleur, la mise à disposition du logement à un tiers, quel qu'il soit, si le locataire n'habite pas les lieux.


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