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Le bail commercial et la clause d'échelle mobile



Par un arrêt du 12 janvier 2022 (n° 21-11169, Publié), la Cour de cassation rappelle, puisqu'il en était apparemment besoin, qu'une clause d'échelle mobile fonctionne dans les deux sens, à la hausse comme à la baisse. Elle énonce surtout que la clause d’échelle mobile contestée (stipulant qu’elle ne fonctionne qu’à la hausse) ne peut pas être considérée comme un tout indivisible devant être réputé non écrit en sa totalité. 

 

Sous une forme très légèrement différente, la Cour de cassation avait fait valoir la même doctrine dans un arrêt, lui aussi publié, du 30 juin 2021 (n° 19-23038).

 

Dans cette affaire, le contrat de bail comportait une clause d'indexation annuelle du loyer, laquelle stipulait expressément que cette clause ne s'appliquerait qu'en cas de variation à la hausse de l'indice de référence. La locataire a assigné la bailleresse en annulation de la clause et en restitution des sommes payées au titre de cette même clause.

 

La cour d'appel de Versailles a fait droit aux demandes de la locataire et jugé non écrite la clause dans son entier, retenant que l'intention de la bailleresse était de faire de cette clause, considérée globalement dans ses différents éléments, une condition essentielle et déterminante de son consentement. Dès lors, toutes les stipulations de cette clause ont un caractère essentiel, ce dont il se déduit qu'elles sont indivisibles entre elles et qu'il n'est pas possible au juge d'en dire non écrites certaines et de conserver les autres. Dans toutes ses parties, la clause, selon la cour d'appel, est contraire aux prescriptions d'ordre public de l'article L145-39 du code de commerce.

 

Pour mémoire, cet article L145-39 énonce dans sa première phrase que « ... par dérogation à l'article L145-38 (révision triennale légale du loyer commercial), si le bail est assorti d'une clause d'échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d'un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire ...».

 

Le pourvoi  de la bailleresse faisait deux griefs principaux à cette décision. En premier lieu, ce pourvoi contestait que la clause litigieuse puisse être considérée comme illicite. Le moyen est balayé par la Cour de cassation qui relève simplement que «la cour d'appel a exactement retenu que la clause d'indexation excluant toute réciprocité de la variation en prévoyant que l'indexation ne s'effectuerait que dans l'hypothèse d'une variation à la hausse contrevenait aux dispositions de l'article L145-39 du code de commerce et devait être réputée non écrite par application de l'article L145-15 du même code ».

 

En revanche, la Cour de cassation a accueilli un moyen subsidiaire du pourvoi de la bailleresse qui soutenait que pour dire non écrite la clause d'échelle mobile en son entier et par conséquent condamner le bailleur à restituer les sommes qu'il avait perçues au titre de l'indexation du loyer, que l'intention du bailleur était de faire de cette clause une condition essentielle de son consentement, conduisant à l'indivisibilité de ses termes et empêchant d'opérer un choix entre eux pour n'en conserver que certains, la cour d'appel a méconnu la volonté des parties.

 

Sur ce moyen et au visa de l'article L145-39 du code de commerce, la Cour de cassation a cassé l'arrêt, énonçant laconiquement que la cour d'appel s'était prononcée par des motifs impropres à caractériser l'indivisibilité des différents éléments de la clause d'échelle mobile, alors que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite.

Rappelons qu'aux termes des articles 1217 et 1218 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016, « l'obligation est divisible ou indivisible selon qu'elle a pour objet ou une chose qui dans sa livraison, ou un fait qui dans l'exécution, est ou n'est pas susceptible de division, soit matérielle, soit intellectuelle. L'obligation est indivisible, quoique la chose ou le fait qui en est l'objet soit divisible par sa nature, si le rapport sous lequel elle est considérée dans l'obligation ne la rend pas susceptible d'exécution partielle » (aujourd'hui, la matière est traitée par l'article 1320 du même code, la notion d'obligation à prestation indivisible se substituant à l'ancienne terminologie).

 

Dans l'arrêt du 30 juin 2021, la même cassation était intervenue au visa non pas de l'article L145-39 du code de commerce, mais à celui de l'article 1217 du code civil dans sa rédaction applicable à la date des faits. La portée de cette discordance est incertaine.

 

Un autre interrogation demeure sur cet arrêt du 12 janvier 2022, et celui du 30 juin 2021 : une obligation peut être indivisible par nature, ou elle peut l'être de manière subjective  par la volonté des parties. Rien n'interdit aux parties de convenir de rendre indivisible une obligation par nature divisible. Le juge, si cela lui est demandé, doit interpréter la commune intention des parties. C'est ce qu'ils ont fait dans les deux affaires citées. En principe, et la Cour de cassation le rappelle souvent, l'interprétation d'un contrat relève de l'appréciation souveraine des juges du fond. Or, ici, il semble bien que la Cour de cassation, sous couvert de sanctionner un défaut de base légale, ait substitué sa propre interprétation à celle des cours d'appel.

 

À tout le moins, ces deux arrêts expriment l'attachement de la Cour de cassation à une application stricte des principes qui régissent la clause d'échelle mobile en bail commercial : a) une telle clause fonctionne dans les deux sens, à la hausse et à la baisse et b) que seule la stipulation du contrat de bail écartant le fonctionnement à la baisse de la clause doit être réputée non écrite. 


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