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Interdiction de sous-louer plus sévèrement sanctionnée si le logement dans secteur conventionné ?

Dernière mise à jour : 4 nov. 2023

Les impenses doivent-elles être déduites des fruits de la sous-location illicite ?



L'arrêt du 22 juin 2022 de la troisième chambre civile de la Cour de cassation (n° 21-18612, Publié) nous en apprend peu sur l'interdiction de sous-louer mais éclaire la conception que se fait la Cour de cassation de sa mission de contrôle des cours d'appel.

Par ailleurs, sur le remboursement au bailleur des fruits des sous-locations prohibées et la question de l'imputation des impenses selon la stricte orthodoxie du code civil, on voit poindre une sérieuse divergence entre la Cour de cassation et la cour d'appel de Paris

1. La Régie immobilière de la Ville de Paris (RIVP) a consenti un bail d'habitation stipulant l'interdiction de sous-louer à une personne qui, via le site internet AirBnB et sans rechercher l'accord de la bailleresse, a offert à la sous-location, sur une base régulière, une des trois chambres du logement. Le bailleur, après l'avoir fait constater par huissier, a poursuivi la résiliation du bail.

Par jugement du 3 mai 2018, le tribunal d'instance a prononcé la résiliation du bail et ordonné l'expulsion de la locataire. La cour d'appel de Paris, par arrêt du 23 mars 2021, a infirmé ce jugement, débouté la RIVP de sa demande de résiliation, mais condamné la locataire à verser à la bailleresse une somme en restitution des fruits civils perçus pour les sous-locations non autorisées.

En premier lieu, la cour d'appel retient que la faute reprochée à la locataire est, compte tenu des circonstances de fait qu'elle relève, insuffisamment grave pour justifier la résiliation du bail.

En second lieu, la cour d'appel fait droit à la demande de restitution des fruits civils des locations interdites présentée par la RIVP pour la première fois en appel. Toutefois, la cour d'appel, pour limiter le montant de ces restitutions, déduit des fruits perçus pour les locations illicites, les loyers versés à la RIVP correspondant au temps des sous-locations.

2. A l'appui de son pourvoi, la RIVP, dans un premier moyen, reprochait à la cour d'appel d'avoir privé sa décision de base légale en ne prenant pas en compte, pour apprécier la gravité de la faute de la locataire, sa qualité de bailleur social et l'interdiction formelle de sous-louer qui pesait sur cette locataire en application de l'article D353-37 du code de la construction et de l'habitation.

S'agissant d'un bail de droit commun du code civil, le principe est celui de la liberté de sous-louer pour le locataire à moins que le bail en dispose autrement. En revanche, en matière de baux commerciaux, toute sous-location totale ou partielle est interdite, sauf stipulation contraire du bail ou accord du bailleur (L145-31 du code de commerce). De même, s'agissant des baux ruraux, toute sous-location est interdite, seules certaines sous-locations partielles et temporaires pouvant être autorisées par le bailleur (article L411-35 du code rural et de la pêche maritime).

Et s'il s'agit d'un bail d'habitation se rapportant à la résidence principale, l'article 8 de la loi du 6 juillet 1989 dispose que « le locataire ne peut ni céder le contrat de location, ni sous-louer le logement sauf avec l'accord écrit du bailleur, y compris sur le prix du loyer ». Il résulte de l'article 4, g, de la même loi qu'un manquement du locataire à cette interdiction ne peut pas être sanctionné par le biais d'une clause résolutoire inscrite au bail. Une telle clause serait réputée non écrite. Le juge apprécie donc si la faute alléguée par le bailleur justifie la résiliation du bail.

Une disposition particulière se rapporte aux locaux loués pour l'habitation à titre principal et relevant du secteur conventionné (articles L353-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation - CCH). L'article D353-37 du même code énonce que « les logements conventionnés sont loués nus à des personnes physiques, à titre de résidence principale, et occupés au moins huit mois par an. Ils ne peuvent faire l'objet de sous-location (...) et doivent répondre aux conditions d'occupation suffisante telles que définies par l'article L. 621-2 ». Il en résulte qu'à la différence du secteur libre, le bailleur social a l'interdiction d'autoriser le locataire à sous-louer.

On réservera le cas du contrat de cohabitation intergénérationnelle solidaire (article L631-17 et suivants du CCH) par lequel une personne âgée de plus de 60 ans s'engage à louer ou sous-louer une partie de son logement à une personne âgée de moins de 30 ans pour une contrepartie modeste. Ce contrat ou sous-contrat est étranger à la loi du 6 juillet 1989. Il doit être notifié préalablement au bailleur, conventionné ou non, qui ne peut s'y opposer.

Par ailleurs, un changement de destination des locaux loués peut caractériser une faute justifiant la résiliation du bail. Aux termes de l'article 1728 du code civil, le locataire a l'obligation, outre celle du paiement des loyers, d'user de la chose louée raisonnablement et selon la destination qui lui a été donnée par le bail. L''article 1729 du même code ajoute que le non respect de cette clause de destination, le bailleur peut, selon les circonstances faire résilier le bail aux torts du preneur (par exemple : Civ, 3ème, 30 mars 2017, n° 15-25161).

Traditionnellement et de manière constante, l'appréciation par les juges du fond de la gravité de la faute reprochée et du bien fondé de la demande de résiliation du bail est souveraine. La Cour de cassation ne se reconnaît pas le droit de la contrôler et d'y substituer sa propre appréciation (par exemple : Civ, 3ème, 9 novembre 2021, n° 20-12347 Inédit ; Civ, 3ème, 6 mai 2021, n° 20-10899 Inédit ; Civ, 3ème, 25 mars 2021, n° 20-13847 Inédit ; Civ, 3ème, 4 mars 2021, n° 20-10912 Inédit ; Civ, 3ème, 17 décembre 2020, n° 18-24823 Publié, etc.).

3. En l'espèce, la cour d'appel, pour rejeter la demande de résiliation du bail, retient que la gravité suffisante du grief allégué n'est pas établie au vu des moyens de preuve produits. Elle relève que la sous-location ne portait que sur l'une des trois chambres du logement que la locataire continuait d'occuper avec ses trois filles, que les 136 commentaires postées sur le site AirBnB sur une période de 38 mois, permettent de déduire que la chambre aurait été sous-louée 3,5 fois par mois, « ce qui n'est pas considérable » commentent les juges, et qu'enfin, la bailleresse ne justifie pas avoir mis en demeure la locataire de cesser cette infraction à la clause du bail lui interdisant la sous-location.

Dans le secteur libre, une telle motivation, aussi aventureuse qu'elle puisse paraître, aurait été reconnue comme souveraine par la Cour de cassation qui aurait donc rejeté le pourvoi. Pour autant, la Cour ne s'arroge pas expressément le pouvoir de contrôler une appréciation de fait. Elle invoque un défaut de base légale et reproche à la cour d'appel de n'avoir pas pris en compte les moyens du demandeur qui invoquait sa qualité de bailleur social, l'interdiction formelle de sous-louer qui pesait sur la locataire en application de l'article D353-37 du CCH, et le fait que l'activité «particulièrement lucrative » de sous-location par l'intermédiaire d'Airbnb était radicalement contraire à la destination d'un logement ouvrant droit à des prestations sociales et destiné à des locataires dont les revenus ne dépassent pas un certain montant. La cour d'appel de renvoi ne pourra pas se méprendre sur ce qu'elle doit juger.

Il en résulte que la même faute d'une sous-location prohibée doit être considérée avec plus de rigueur dans le secteur conventionné que dans le secteur libre. Ce n'est pas illogique, mais cela ne résulte pas clairement des textes et n'avait jamais été dit. En particulier, l'article D353-37 du CCH évoqué plus haut, ne renforce pas l'interdiction de sous-louer, déjà posée par la loi et le contrat lui-même pour tout bail portant sur un local d'habitation à titre principal. Ce que ce texte réglementaire apporte en complément des textes légaux, c'est l'interdiction faite au bailleur du secteur conventionné d'autoriser une sous-location.

Ce qui intrigue surtout c'est que les mêmes raisons pourraient conduire à une position analogue lorsque le grief est celui d'un défaut de paiement des loyers. Ne pas payer son loyer serait une faute plus grave dans le secteur conventionné que dans le secteur libre. Certes, le jeu de la clause résolutoire du bail, dans ce cas, limite la portée de la comparaison, puisque cette clause opère en matière de loyers mais non en matière de sous-location prohibée, mais on peut imaginer des situations où la question pourrait être posée.

On peut se demander si la position de la Cour de cassation n'est pas d'abord morale. Le locataire du secteur conventionné bénéficie de prestations sociales sous condition de ressource, il est bien malvenu de tirer profit de la situation en sous-louant clandestinement. Pourtant, on sait que la morale, comme l'équité, ne sont pas sources de droit.

4. Le second moyen que la RIVP soulevait devant la Cour de cassation, reprochait à la cour d'appel d'avoir limité la restitution des fruits civils de la location prohibée. La demande était formulée sur le fondement de l'article 546 du code civil, qui garantit le droit d'accession du propriétaire à ce que la chose produit ou à ce qui s'y unit. Sur le principe, et dès lors que les sous-locations étaient irrégulières, le demande ne soulevait aucune difficulté. La Cour de cassation en a confirmé le principe dans un arrêt du 12 septembre 2019 (n° 18-20727 Publié) : « sauf lorsque la sous-location a été autorisée par le bailleur, les sous-loyers perçus par le preneur constituent des fruits civils qui appartiennent par accession au propriétaire... ».

Mais la cour d'appel s'est fondée sur l'article 548 du code civil, selon lequel « les fruits produits par la chose n’appartiennent au propriétaire qu’à la charge de rembourser les frais des labours, travaux et semences faits par des tiers et dont la valeur est estimée à la date du remboursement », pour limiter les restitutions en déduisant du montant des sous-loyers présumés perçus, celui des loyers versés au titre du bail principal, ainsi considérés comme les frais exposés pour percevoir les sous-loyers. Le montant de la demande présentée s'en est trouvée considérablement réduite. Une telle référence à l'article 548, dans ce cadre, qui assimile le paiement d'un loyer à des frais de labours, était pour le moins créative.

Créative mais pas complètement absurde a priori. Les règles du code civil relatives au droit d'accession sur ce qui est produit par la chose distinguent le possesseur de bonne foi qui fait les fruits siens (article 549 du code civil) du possesseur de mauvaise foi qui doit restituer les fruits avec la chose au propriétaire, sous réserve du remboursement des frais exposés (article 548 du même code et Civ, 3ème, 5 juillet 1978, n°77-11157 Publié). Il est évident que le locataire est, au regard de ces dispositions, un possesseur de mauvaise foi puisqu'il n'a pas été autorisé à sous-louer, et par ailleurs, que pour sous-louer, il faut bien louer d'abord, ce qui implique d'exposer des frais pour percevoir des fruits.

Mais la Cour de cassation n'entend pas ici entrer dans la complication des règles classiques de l'accession. Tout d'abord, le locataire qui sous-loue clandestinement est possesseur de mauvaise foi. Il doit donc restituer les fruits au propriétaire. La Cour écarte le raisonnement de la cour d'appel, sans y répondre explicitement, se bornant à affirmer que les sous-loyers, comme les loyers, sont des fruits civils qui reviennent tous et en leur intégralité au propriétaire. Le paiement de son loyer par le preneur n'est pas un investissement pour obtenir les fruits d'une sous-location, au sens de l'article 548 du code civil. Ce loyer a pour seule et unique contrepartie la jouissance des locaux.

Cette position, est peut-être simple et réaliste, mais elle ne paraît pas vraiment fidèle aux dispositions du code civil. C'est ce que l'on doit penser à la Cour d'appel de Paris car cette juridiction persiste.

Dans une affaire jugée le 11 octobre 2022 (n° 20/04285) par la cour d'appel de Paris, un locataire du secteur libre avait sous-loué une chambre de l'appartement via Airbnb et Guestready. Le bailleur, qui avait pu établir un gain illicite de près de 15.000 euros, poursuivait la résolution judiciaire du bail et le remboursement des fruits civils. Sur ce dernier point, la cour d'appel s'est référée aux articles 548 et 549 du code civil pour décider que le locataire devait rembourser les fruits perçus mais qu'il convenait d'en déduire les impenses. Elle retient dans ses motifs : « il est vrai que le fait que le locataire ait dû assumer, durant les périodes de sous-location, le coût du loyer s'analyse en une dépense utile à la perception de fruits destinés aux bailleresses ; il convient donc de déduire des sous-loyers le montant des loyers versés par M. [E] durant les périodes où il n'occupait pas lui-même le logement loué et le mettait à disposition de sous-locataires ».

La cour d'appel procède ensuite au calcul de ces impenses, prenant en compte la durée des sous-location illicites et le fait que le locataire ne sous-louait qu'une des chambres de l'appartement et qu'il continuait d'y habiter pendant ces périodes de sous-locations. En définitive, sur la somme de près de 15000 euros perçue par le locataire, le bailleur ne percevra qu'une somme à peine supérieure à 3000 euros.

Cet arrêt caractérise une rébellion de la part de la cour d'appel de Paris. En cas de pourvoi sur ce point, l'affaire devra être soumise à l'Assemblée plénière de la Cour de cassation. Il n'est pas assuré que cette formation solennelle confirmera la doctrine de la 3ème chambre civile. Dans une proportion notable, il apparaît une divergence entre la première décision de la Cour de cassation et la doctrine qu'arrête l'Assemblée plénière saisie après rébellion. Quoiqu'il en soit, ce type de contentieux étant en croissance, il est important qu'intervienne une jurisprudence claire et stabilisée.


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