Civ, 3ème, 15 juin 2022, n° 21-13286 Publié
Depuis 2011 et de manière saisonnière, des masses de plus en plus importantes d'algues sargasses brunes s'échouent sur certaines côtes du Mexique, de la Floride et sur certaines côtes des îles caraïbes, comme la Guadeloupe ou la Martinique. Ces algues flottantes menacent les écosystèmes marins et, en se décomposant sur les plages, émettent du sulfure d'hydrogène et dégagent une odeur nauséabonde, alors que les moyens de lutte sont encore quasiment inexistants. Les implications de ces phénomènes sont de nature environnementale, sanitaire et économique. Les causes en sont encore mal connues. Ces phénomènes résulteraient du transport par les courants marins de nutriments issus des engrais massivement utilisés en Amazonie.
C'est en Martinique que, le 4 novembre 2016, jour où la mer était certainement limpide, une personne acquiert une maison d'habitation sur la côte atlantique de l'île (à quarante mètres du littoral, semble-t-il).
Découvrant dix-huit mois plus tard les nuisances liées à l'échouage des algues sargasses et alléguant un défaut d'information de la part de la venderesse, l'acquéreuse l'assigne d'une part en annulation de la vente sur le fondement du dol et, d'autre part, subsidiairement, en résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés. Il est bien établi, en effet, que l'action en garantie des vices cachés n'est pas exclusive d'une action en nullité pour dol.
La cour d'appel de Fort de France déboute l'acquéreuse de ses demandes principale et subsidiaire. La Cour
de cassation est conduite à prononcer une double cassation.
Les motifs de la cour d'appel rejetant la demande d'annulation de la vente pour dol sont, à l'évidence, plutôt maladroits. On sait qu'aux termes des deux premiers alinéas de l'article 1137 du code civil, « le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie ». L'erreur provoquée par le dol est toujours excusable (article 1139 du code civil).
La cour d'appel a relevé que la venderesse avait intentionnellement apporté des réponses mensongères aux demandes répétées de l'acquéreuse relatives à la présence de sargasses et que cette question était un élément déterminant du consentement de l'acheteuse, laquelle était, comme son fils, souffrant d'une pathologie respiratoire. Si la cour d'appel rejette la demande, c'est au motif qu'il n'était pas établi que la venderesse avait eu conscience du caractère déterminant de ses mensonges pour l'acheteuse.
La juridiction a ainsi fait une confusion entre les deux premiers alinéas de l'article 1137. Il n'était pas imputé à la venderesse une dissimulation intentionnelle (deuxième alinéa) qui doit s'accompagner de la connaissance du caractère déterminant de l'information pour l'autre partie, mais des mensonges flagrants et répétés (premier alinéa) ce qui conduisait seulement à rechercher si le consentement de l'autre partie avait été ainsi déterminé.
La Cour de cassation annule l'arrêt sur ce premier moyen, en relevant sèchement que la cour d'appel n'avait pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations.
Le second moyen soumis à la Cour de cassation faisait grief à l'arrêt de rejeter la demande en résolution de la vente sur le fondement de la garantie des vices cachés. On sait que cette garantie légale est définie en ces termes par l'article 1641 du code civil : « le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus ».
La cour d'appel avait rejeté la demande de garantie au motif que les émanations dues aux algues sargasses avaient leur cause dans un phénomène extérieur, naturel et dont la survenue est imprévisible. Un phénomène ayant ces caractères ne peut pas, selon l'appréciation de la cour d'appel, constituer un vice caché. La Cour de cassation casse une seconde fois l'arrêt déféré au motif que la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une restriction qu'elle ne comporte pas, a violé l'article 1641 du code civil.
En l'espèce, le vice allégué n'affectait pas l'immeuble lui-même mais son environnement. Il est établi depuis longtemps en jurisprudence, que le vice caché peut être extérieur au bien vendu.
Un arrêt Civ, 3ème, du 6 octobre 2004 (n° 0312497 Publié) énonçait que « viole l'article 1641 (du code civil) en ajoutant à la loi une restriction qu'elle ne comporte pas la cour d'appel qui, pour rejeter l'action en garantie des vices cachés engagée par les acquéreurs d'un appartement en raison des bruits assourdissants provenant des chaudières de l'immeuble, retient que le vice caché ne saurait résulter d'un trouble ayant son origine dans un élément d'équipement de l'immeuble extérieur à l'appartement vendu ».
Il est encore bien établi que le vice caché peut voir une origine naturelle dont la survenue est sinon imprévisible du moins incertaine. Les désagréments liés aux inondations ou aux coulées de boue ont suscité nombre de litiges (par exemple Civ, 3ème, 22 janvier 1997, n° 95-11045 Publié).
Des incidents antérieurs à la vente ne peuvent être dissimulés à l'acquéreur (Civ, 3ème, 4 janvier 1991, n° 89-13473 Publié ; Civ, 3ème, 3 mars 2010, n° 08-21056 Publié). Il va de soi que le manquement du vendeur à satisfaire honnêtement et complètement à l'obligation légale d'informer l'acquéreur sur les risques technologiques et naturels (article L125-5 du code de l'environnement) le placera en position très défavorable (par exemple Civ, 3ème, 19 septembre 2019, n° 18-16700 Publié).
Ainsi, la nature du phénomène allégué comme caractérisant un vice caché, ou son origine, sont indifférentes, dès lors que l'existence de ce phénomène était connue du vendeur avant la vente, qu'elle a été dissimulée à l'acquéreur et que par sa portée, ce vice caché a rendu la chose vendue impropre à sa destination.
En l'espèce, les mensonges avérés de la venderesse pèsent lourd. Toutefois devant la cour d'appel de renvoi, Fort de France autrement composée, la question se posera du caractère apparent du vice. En effet, le phénomène des sargasses est bien connu en Martinique, en particulier depuis 2015, où les échouages d'algues ont été spectaculaires. Mais il est vrai que ces échouages ne se produisent pas partout, certaines côtes en sont préservées, ni tous les ans, ni toujours avec la même intensité.
A supposer établi le vice caché, la question se posera aussi de sa portée : les échouages sporadiques d'algues comportent-ils de tels désagréments qu'ils rendent l'immeuble acquis impropre à l'usage auquel il était destiné ? Par exemple, un arrêt de la Cour de cassation du 25 janvier 2018 (n° 16-26525) approuve une cour d'appel d'avoir jugé que deux inondations survenues en huit ans ne peuvent caractériser un vice caché. La fréquence, l'ampleur et les conséquences dommageables attachées au phénomène seront évidemment déterminantes.
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