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Bail commercial : la condition d'une clientèle autonome



L’existence d’un fonds de commerce est notamment caractérisée par l'exploitation d’une clientèle autonome. En l'absence d'une telle clientèle, il n'y a pas de fonds de commerce, pas de bail soumis au statut des baux commerciaux et donc, pas de propriété commerciale.

 

La question peut se poser en pratique lorsqu'un commerce est exploité en sous-ensemble d'une structure qui l'intègre plus ou moins étroitement : boutique exploitée dans un hall d'hôtel ou un grand magasin, débit de boissons exploité dans l'enceinte d'un stade etc.

 

En cas de litige entre les parties au bail, comment reconnaître, établir ou contester l'existence d'une clientèle autonome ? La jurisprudence a évolué sur deux points dans un sens plutôt favorable au commerçant.

 

Première évolution jurisprudentielle.


Dans le cas d’une activité exercée dans le cadre d’un hall d’hôtel, il a été longtemps jugé que l’exploitant devait, pour établir son droit à la propriété commerciale, établir le caractère prépondérant ou prédominant de sa clientèle au regard de celle de l’hôtel (Civ, 3ème, 4 novembre 1992, n° 90-19355).

 

Ce critère de la prépondérance d'une clientèle propre et autonome, souvent malaisé à mettre en œuvre, a été par la suite expressément abandonné (Civ, 3ème, 19 mars 2003, n°01-17679 :  La cour d'appel qui relève que les locataires exercent dans les lieux loués un commerce de vente de " casse-croûte " et boissons et qu'ils possèdent, en dehors de la clientèle de la régie des remontées mécaniques, une clientèle propre constituée par les amateurs de ski de fond, les randonneurs, les promeneurs en raquette et les amateurs d'équitation, en déduit exactement, sans être tenue de rechercher si cette clientèle personnelle, dont elle constate souverainement l'existence, est prépondérante par rapport à celle de la régie, que les preneurs bénéficient du statut des baux commerciaux). L'existence d'une clientèle propre n'implique donc pas qu'elle soit prépondérante. Elle doit seulement exister.

 

Seconde évolution jurisprudentielle.


Lorsque l’activité commerciale est exercée en sous-ensemble d’une structure qui l’englobe, la jurisprudence s’était attachée à rechercher si le commerçant disposait d’une réelle autonomie de gestion, en termes d’horaires d’ouverture, d’accès au local, d’approvisionnement ou d’encaissement. À défaut, l'exploitant ne crée pas sa clientèle propre, mais tire profit de la clientèle de l'entité dont il est un sous ensemble intégré :

 

Civ, 3ème, 5 avril 1995, n° 93-14864 : la cour d'appel qui relève que le contrat conclu entre les parties prévoyait la possibilité pour le bailleur de modifier l'emplacement occupé par le preneur, que ce dernier bénéficiait essentiellement de la clientèle du centre commercial, éloigné des habitations, comprenant notamment un « hypermarché » et que soumis au règlement intérieur du groupement d'intérêt économique, bailleur, pour les heures d'ouverture et de fermeture, il devait lui adresser, chaque mois, un état de son chiffre d'affaires quotidien qui pouvait entraîner des rappels à l'ordre et qu'il ne bénéficiait d'aucune autonomie de gestion et qui constate qu'il ne résulte pas des pièces produites une volonté clairement exprimée par les parties de soumettre leurs rapports locatifs aux dispositions du décret du 30 septembre 1953, a pu en déduire que le preneur ne pouvait prétendre au statut des baux commerciaux.

 

Civ, 3ème, 5 février 2003 n° 01-16672 : Ne peut prétendre au bénéfice du statut des baux commerciaux en l'absence d'autonomie de gestion, une société titulaire d'un emplacement dans un centre commercial qui, bien qu'assurant seule la gestion de ses stocks et de ses ventes et réglant directement à EDF son abonnement et ses consommations, est soumise aux horaires d'ouverture du centre commercial, lequel paie les charges, organise la publicité et fixe la politique des prix.

 

Civ, 3ème, 1er octobre 2003, n° 02-11239 : l’exploitant d’un stand de crêpes installé en terrasse d'un café, s’il peut vendre aux passants, ne dispose cependant d’aucune autonomie de gestion dès lors que l’eau, l’électricité, les matériels et ingrédients sont mis à sa disposition par l’exploitant du café.

 

Là encore, une évolution a pu être notée : il n'est plus exigé une autonomie de gestion mais l'absence de contraintes incompatibles avec le libre exercice de l'activité (Civ, 3ème, 19 janvier 2005, n° 03-15283 - s'agissant d'un local inclus dans le périmètre d'un hôtel : « Mais attendu que le statut des baux commerciaux s'applique aux baux de locaux stables et permanents dans lesquels est exploité un fonds de commerce ou un fonds artisanal, ces fonds se caractérisant par l'existence d'une clientèle propre au commerçant ou à l'artisan, que, toutefois, le bénéfice du statut peut être dénié si l'exploitant du fonds est soumis à des contraintes incompatibles avec le libre exercice de son activité ; qu'ayant relevé que la réalité de l'activité commerciale de Mme X... Y... et l'existence de marchandises offerte à la vente n'étaient pas contestées, que le magasin était accessible à une clientèle autre que celle de l'hôtel et que lui était adressée par des tiers une clientèle extérieure variée de touristes et de résidents Saint-Martinois et retenu que les contraintes imposées à Mme X... Y... par le règlement intérieur de l'hôtel ne constituaient pas une entrave effective à son activité commerciale, faisant ressortir ainsi l'absence de contraintes incompatibles avec le libre exercice de celle-ci, la cour d'appel, qui en a justement déduit que, Mme X... Y... était fondée à se prévaloir du bénéfice du statut des baux commerciaux, a légalement justifié sa décision ».

 

Par ailleurs, on sait que le statut des baux commerciaux ne s'applique qu'à la location d'immeubles ou de locaux dans lesquels est exploité un fonds de commerce (article 145-1 du code de commerce). Classiquement, le local commercial doit donc être une construction immobilière stable et permanente. Une abondante jurisprudence a exclu du statut des baux commerciaux les contrats de location d'emplacements commerciaux. Ces emplacements commerciaux ne permettent pas à l'exploitant de se créer une clientèle propre, distincte au moins pour partie de celle de l'ensemble au sein duquel il exploite.

 

Civ, 3ème, 5 juillet 1995, n° 93-17674 : justifie légalement sa décision d'écarter l'application du statut des baux commerciaux, la cour d'appel qui relève l'absence de gestion indépendante et de clientèle propre et retient exactement que l'espace délimité sur le sol de l'hypermarché par des cloisons légères à hauteur d'homme ne constituait pas un local au sens du statut des baux commerciaux.

 

Civ, 3ème, 24 janvier 1996, n° 94-10322 : justifie légalement sa décision de débouter les bailleurs de leur demande en expulsion la cour d'appel qui, ayant constaté que les lieux loués ne constituaient pas un simple emplacement mais des locaux commerciaux disposant d'une vitrine et d'une entrée indépendante, que les contrats litigieux précisaient que le preneur agirait à ses risques et périls et ne lui imposaient aucune contrainte horaire et que ce dernier avait une pleine autonomie de gestion et une clientèle propre, distincte de celle du supermarché, a souverainement retenu qu'en suscitant la conclusion de quarante baux successifs pendant une durée de plus de 3 ans et en louant des locaux commerciaux qualifiés faussement d'emplacements, les sociétés bailleresses avaient commis une fraude en vue d'éluder les dispositions du statut des baux commerciaux.

 

Enfin, il peut arriver que les juges soient appelés à interpréter les dispositions du contrat qui lient le propriétaire du local et l'exploitant, ce dernier demandant qu'il soit qualifié bail commercial. Ainsi, dans le cas d'un débit d boissons et de nourriture exploité dans le cadre d'un chalet ou refuge de montagne, Civ, 3ème, 9 juillet 2008, n° 07-15534 : Mais attendu qu'ayant, par une interprétation souveraine exclusive de dénaturation, que l'ambiguïté des termes du contrat du 5 septembre 1990 rendait nécessaire, retenu que M. X... fournissait aux usagers du refuge des prestations de nourriture et de repas dans le cadre d'une obligation de faire subordonnée à un mandat de gestion, la cour d'appel, qui en a déduit exactement qu'il ne pouvait exister de ce fait une clientèle indépendante attachée à un fonds de commerce qu'il aurait créé, et qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, a légalement justifié sa décision ».

 

La question d'une clientèle propre a aussi été discutée pour un commerce franchisé. Les juges ont retenu que le commerçant franchisé se crée, par son activité et les moyens qu'il met en œuvre, une clientèle propre qui n'est pas celle de son franchiseur et qu'en conséquence, la propriété commerciale lui est acquise (Civ, 3ème, 27 mars 2002, n° 00-20732 : « Une cour d'appel qui relève à bon droit que si une clientèle est, au plan national, attachée à la notoriété de la marque du franchiseur, la clientèle locale n'existe que par le fait des moyens mis en œuvre par le franchisé, parmi lesquels les éléments corporels de son fonds de commerce, et l'élément incorporel que constitue le bail, et que cette clientèle fait elle-même partie du fonds de commerce du franchisé puisque, même si celui-ci n'est pas le propriétaire de la marque et de l'enseigne mises à sa disposition pendant l'exécution du contrat de franchise, elle est créée par son activité, avec des moyens que, contractant à titre personnel avec ses fournisseurs ou prêteurs de deniers, il met en œuvre à ses risques et périls, en déduit exactement que le locataire franchisé est en droit de réclamer le paiement d'une indemnité d'éviction à la suite du non-renouvellement de son bail »). 


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